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— Nous en avons bien plus qu’eux, s’esclaffa le capitaine du Terrible. Près d’un milliard.

— C’est vrai. Mais, même si nous exercions des représailles sur tous, ça ne ramènerait pas nécessairement les nôtres en vie. » Tous opinèrent derechef. Au moins cette logique leur était-elle accessible. « Des questions ? »

S’ensuivit un long silence. Geary les laissa réfléchir. Il tenait à ce que tout, dans la mesure du possible, fût abordé ici même.

« Capitaine Geary, j’aimerais que vous réagissiez à une horrible rumeur qui court dans la flotte et qui est parvenue à mes oreilles, avança avec réticence le capitaine du Vambrace. Anonymement, bien entendu, puisque ceux qui la répandent n’ont pas le courage de se montrer. » Une onde parcourut l’assemblée, due aux réactions diverses des autres commandants. « Ce sont ceux qui prétendent que le portail de l’hypernet aurait été délibérément détruit. »

Geary écarquilla les yeux, cherchant à comprendre le sens de la question. « Bien sûr qu’il l’a été délibérément. Tous vos vaisseaux ont vu les Syndics ouvrir le feu sur lui.

— Non, capitaine. Cette rumeur prétend qu’il fonctionnait encore mais que vous l’auriez détruit vous-même. » Le capitaine du Vambrace fit la grimace. « Il fallait que vous sachiez que ça se dit.

— Pourquoi aurais-je voulu le détruire s’il fonctionnait encore ? s’étonna Geary, trop stupéfait pour se mettre en colère.

— Toujours selon cette rumeur, capitaine… parce que vous vouliez garder le commandement et que vous craigniez qu’on ne vous le confisque après le retour de la flotte. »

Partagé entre explosion de fureur et rire incrédule, Geary abattit sa paume sur la table. « Insensé ! Permettez-moi de vous affirmer, à vous comme à tous les autres, que nul ne désire plus que moi le retour de cette flotte dans l’espace de l’Alliance ! »

À peine avait-il terminé sa phrase qu’un autre officier prenait la parole, la voix blanche d’émotion. « Qui diable pourrait croire à une chose pareille ? »

Sidéré, Geary détourna les yeux et aperçut le commandant du Diamant, puis se rendit compte que ce vaisseau se trouvait encore à vingt secondes-lumière et que cette réflexion ne concernait donc pas sa dernière déclaration mais celle qui l’avait précédée.

« Cette rumeur est pis que méprisable, continua le commandant du Diamant. Mon vaisseau se trouvait sur place et tous ceux qui voudraient consulter son journal de bord y sont aimablement invités. Ce portail était déjà en train de s’effondrer quand nous l’avons atteint. » Il tourna le regard vers Geary. « Je vais vous faire un aveu. Je faisais partie de ceux qu’inquiétait le capitaine Geary, ce qu’il entreprenait et sa manière d’agir. Nombre d’entre vous le savent. Je ne le trouvais pas assez agressif. Mais nous avons chargé vers ce portail ! Nous l’avons chargé à tombeau ouvert et nous avons descendu ces Syndics aussi vite que nous le pouvions, mais ils avaient déjà commis trop de dégâts. Vérifiez sur le journal de bord du Diamant si vous ne me croyez pas. Et, pendant que vous y serez, examinez les relevés de l’intérieur du portail à l’instant de son effondrement. Incroyable, c’est tout ce que je peux en dire. Le capitaine Geary a fait tout ce qu’il fallait. Je me tenais avec lui devant cette porte de l’enfer et j’y retournerai si besoin. »

Un grand silence accueillit la fin de cet exposé. Conscient qu’il lui restait quelque chose à ajouter, Geary prit une longue et lente inspiration. « Mesdames et messieurs, je vous ai déjà dit que j’admirais la vaillance du personnel de cette flotte. Je reconnais volontiers avoir eu des difficultés à appréhender certains des changements, engendrés par un siècle de guerre, qui se sont produits dans la flotte depuis mon époque. Mais je peux à présent vous certifier qu’il y a une chose au moins que je n’ai comprise qu’aujourd’hui. »

Il s’interrompit pour chercher les mots justes. « La flotte que j’ai connue était plus réduite, plus professionnelle et mieux entraînée. Mais elle n’avait pas connu l’épreuve du feu. Pas comme vous, en tout cas. Et, quand l’Indomptable, l’Audacieux et le Diamant se sont plantés devant ce portail et ont campé sur leurs positions sans une seconde d’hésitation alors qu’ils affrontaient une menace si terrifiante que je n’aurais jamais imaginé son existence, j’ai enfin réellement compris à quel point votre courage était grand. Chacun des matelots et des officiers de cette flotte a amplement mérité le droit de se tenir aux côtés des meilleurs hommes et femmes qu’elle a connus. Vous ne pourriez honorer davantage vos ancêtres que vous ne l’avez déjà fait par votre abnégation, votre sens du devoir et votre persévérance devant une guerre apparemment interminable, votre résolution à vous charger du fardeau de la défense de vos foyers. Moi-même, je m’estime infiniment flatté de m’être vu confier le droit de vous commander. Je ramènerai cette flotte chez elle, ne serait-ce que parce les hommes et les femmes que vous êtes méritent amplement que leurs exploits soient rapportés à leurs familles, tout comme vous méritez de rentrer chez vous sains et saufs. Je vous ramènerai à la maison. Vous avez ma parole. »

Il s’interrompit de nouveau, craignant d’avoir trahi trop d’émotion dans ce speech impromptu et spontané, et d’avoir pu leur paraître stupide ou paternaliste. Mais tous le fixaient sans mot dire, le visage solennel. Le commandant du Vambrace reprit finalement la parole. « Merci, capitaine. Tout l’honneur est pour nous. » Nul ne le contredit. Pas à voix haute, tout du moins.

Geary resta assis après la fin de la réunion, quand la présence virtuelle des autres officiers se fut évanouie ; ne restait plus que le capitaine Desjani. Elle sourit, salua et prit congé à son tour, laissant à ses seuls geste et expression le soin de parler pour elle.

Geary s’était souvent demandé pourquoi le destin l’avait fourré dans cette situation, pourquoi il avait perdu tout ce qu’il connaissait et s’était brusquement retrouvé avec un commandement qui dépassait de très loin ses anciennes responsabilités. L’idée qu’il dût s’estimer reconnaissant d’avoir connu tout cela ne lui avait jamais traversé l’esprit. Mais, au souvenir de la solide présence de l’Indomptable, de l’Audacieux et du Diamant devant ce portail, il marmonna une brève prière de remerciements, soulagé d’avoir des vaisseaux et des spatiaux d’un tel calibre à ses côtés.

La nuit avait commencé à bord. Assis dans sa cabine, Geary regardait dans le vague, la tête pleine de souvenirs de la bouche de l’enfer qui béait dans le portail de l’hypernet, quand l’alarme de son écoutille carillonna. S’attendant à voir apparaître le capitaine Desjani, il sursauta à l’entrée de Victoria Rione, dont le visage trahissait une intense émotion. Je devrais sans doute lui en vouloir mortellement de m’avoir sans cesse compliqué la vie depuis Sutrah, mais, comparé à ce que m’a fait Falco, ce n’est pas grand-chose. Rione ne causera pas la perte de nombreux vaisseaux. Il se leva donc et s’exprima courtoisement.

« Madame la coprésidente. Je reconnais volontiers que votre visite me surprend. Vous n’étiez pas passée ici depuis un bon moment.

— Sauf quand vous y avez insisté, répondit-elle calmement.

— Certes. J’espère que vous n’avez pas l’intention de me soumettre le même genre de problèmes que celui dont je vous ai entretenu lors de notre dernière rencontre ici.