Выбрать главу

Geary remit de l’ordre dans ses pensées puis appuya sur la touche des communications. « Capitaine Duellos, ici le capitaine Geary. On s’inquiète ici des dangers que pourrait représenter pour vos vaisseaux une approche par trop imprudente d’une planète à la puissante infrastructure, qui pourrait encore disposer, sous ce nuage de poussière qui obère la visibilité de la surface, de systèmes anti-orbitaux encore opérationnels. Veuillez, s’il vous plaît, déployer les drones RECCE de vos vaisseaux pour tenter de découvrir s’il existe toujours des menaces sous cette épaisse couche de nuages. Maintenez vos vaisseaux en orbite haute. Et scannez constamment les couches supérieures de l’atmosphère en quête de drones du Syndic ou d’autres activités de reconnaissance qui pourraient fournir à leurs armes encore actives en surface des informations permettant de vous acquérir pour cible. Prenez toutes les mesures de précaution que vous jugerez indispensables et tenez-moi informé. » Dois-je ajouter autre chose ? Non. Duellos sait ce qu’il fait. Il n’a pas besoin que je lui fasse un sermon sur la nécessité de se montrer prudent et d’éviter de perdre des vaisseaux. « Geary. Terminé. »

Il se radossa en se frottant le front. En rompant la formation de la flotte, j’avais oublié que j’allais perdre la communication en temps réel avec la plupart de mes vaisseaux. Au moins n’ai-je plus à m’inquiéter des âneries de Numos. Hélas, en dépit de son faible pouvoir de réconfort, cette pensée ne manqua pas de lui rappeler la quarantaine de vaisseaux qui avaient préféré suivre Falco et devaient donc être déjà détruits.

Desjani secoua la tête. « Avec votre permission, capitaine Geary, je vais descendre m’accorder deux petites heures de vrai sommeil. Pour l’heure, je perds mon temps ici. »

Geary, machinalement, revérifia son écran. De nouveau regroupée autour de l’Indomptable, la formation Delta se trouvait encore à près d’une journée des installations orbitales de son objectif, la troisième planète. Ne restait plus dans le système aucune trace de circulation de bâtiments syndics, à la seule exception de sa force Alpha déjà bien malmenée, qui se cantonnait entre les orbites des septième et huitième planètes, hors d’atteinte, en maintenant entre elle et les plus proches vaisseaux du détachement Furieux une grande et prudente distance. Geary se demanda dans quel délai son commandant prendrait conscience que la survie de sa flottille intacte, alors que la flotte de l’Alliance pillait tranquillement son système stellaire, ne risquait pas de lui valoir une promotion. « Pourquoi ne pas vous reposer un peu plus longtemps ? Je vais m’attarder ici un bon moment. »

Desjani sourit. « Merci, mais je reste le commandant de ce bâtiment, même quand vous êtes sur la passerelle.

— Et si je vous ordonnais de vous accorder au moins quatre heures de sommeil ?

— Je ne peux pas désobéir à un ordre direct, j’imagine, admit-elle avec une réticence manifeste avant de se lever et de s’étirer. Vous avez l’air de vous sentir beaucoup mieux, capitaine. Sauf votre respect.

— Le repos y est pour beaucoup. » La coprésidente Rione choisit ce moment pour débarquer sur la passerelle. Elle salua fraîchement Desjani d’un signe de tête puis l’inclina sans mot dire vers Geary. Il lui retourna la politesse, l’accueillant plus aimablement qu’il ne l’avait fait depuis plusieurs semaines. Lorsqu’il se retourna vers Desjani, il constata qu’elle arquait un sourcil, tandis que son regard allait alternativement de Rione à lui. Voyant qu’il la fixait, elle baissa précipitamment le sourcil en affectant une expression impassible. Desjani s’en est déjà aperçue ? Serait-ce à ce point flagrant ? Nous ne nous sommes encore rien dit.

Desjani se tourna vers son officier de quart la plus haut gradée. « Je serai dans ma cabine. En train de me reposer. » Sur ce dernier mot, elle lança à Geary un long regard en biais, en même temps qu’un coin de sa bouche se crispait comme pour tenter vainement de réprimer un sourire. Elle s’arrêta devant Rione en sortant. « C’est un plaisir de vous savoir à bord, madame la coprésidente. » Autant que Geary s’en souvînt, c’était la toute première fois que Desjani faisait part à la politicienne d’un tel sentiment.

En dépit de l’air amusé que prit Rione pour regarder sortir le capitaine, il sentit poindre une nouvelle migraine. « Comment ? demanda-t-il à Rione à voix basse.

— Je crains que cette information ne soit strictement confidentielle, répondit-elle très prosaïquement.

— En d’autres termes, c’est une affaire de femmes.

— Si vous préférez le voir sous cet angle. »

Il se pencha en arrière pour montrer l’écran. « Qu’en pensez-vous ? Le colonel Carabali craignait que la formation Bravo ne frôle de trop près la quatrième planète. Voyez-vous autre chose d’alarmant ?

— Je vais jeter un coup d’œil. Vous ne me prêtez pas la capacité d’analyser militairement la situation, j’imagine ?

— Non. Mais il arrive parfois aux gens qui ont reçu un entraînement militaire de ne pas voir un détail qui sauterait aux yeux d’un civil. Vous n’avez pas l’air très inquiète. J’ai pris l’habitude, depuis que nous sillonnons les systèmes stellaires du Syndic, de vous entendre jouer les Cassandre.

— Et ça vous plaît ?

— Eh bien… je m’y suis fait, en tout cas. En outre, vous avez bien souvent raison. »

Rione lui décocha un très bref sourire puis hocha la tête et se pencha sur son propre hologramme. Geary consulta l’heure. Vingt minutes encore avant que Duellos ne reçoive son message. Et une heure au moins avant que la réponse ne lui parvienne.

Qui aurait imaginé que la guerre pût être aussi rasoir ? Du moins jusqu’à ce qu’elle vous fiche une trouille du diable.

Duellos accusa réception des ordres de Geary et ajouta qu’il maintiendrait, autant que possible, ses vaisseaux à mi-chemin de la planète et de ses installations orbitales. Les Syndics eux-mêmes n’iraient probablement pas jusqu’à tirer sur leurs propres possessions.

La formation à laquelle appartenait l’Indomptable traversa tranquillement l’orbite de la quatrième planète pour s’enfoncer plus profondément à l’intérieur du système en direction de la troisième. Au plus proche de la formation Bravo, celle de Geary s’en trouvait éloignée de quatre minutes-lumière. Sur son écran, de petites images affichaient les données sur la quatrième planète transmises par les drones RECCE des fusiliers ; les parasites engendrés par le nuage de poussière des couches supérieures de son atmosphère brouillaient de temps à autre la transmission.

En visuel, elles révélaient une planète assez hospitalière, aux nombreuses grandes villes, avec de vastes étendues sauvages parfois balafrées d’excavations minières ou autres. Mais les images donnaient aussi l’impression d’un monde pratiquement déserté, aux rues et aux routes vides d’habitants et de véhicules. Les rares qu’on repérait étaient visiblement officiels et se déplaçaient fréquemment en convois. Le reste de la population se terrait sans doute, encore que les immeubles, caves et abris n’offriraient aucune protection si l’Alliance décidait sérieusement de bombarder la planète.

Çà et là, des cratères marquaient le site des impacts du bombardement cinétique. Toutes les images provenant des régions de la face diurne présentaient un grain grisâtre, un aspect délavé, comme par une journée très nuageuse. Celles de la face nocturne étaient d’un noir d’encre : la poussière interdisait à la lumière des étoiles d’atteindre la surface.