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— Non, capitaine. »

Geary secoua la tête. « Je ne vois pas d’alternative. Ces forces spéciales syndics nous acculent à un mur. Dommage que nous ne disposions pas de balles intelligentes qui ne toucheraient que les méchants !

— Les généraux en rêvent depuis l’aube des temps, me semble-t-il, capitaine, fit remarquer Carabali. Sauf les méchants généraux, bien sûr.

— Faites, colonel. Laissez aux civils autant de temps pour évacuer que vous le jugerez prudent, mais ne risquez pas inutilement la vie de vos hommes. » Il n’avait pas prononcé ces mots qu’il s’en rendait compte : il venait de donner deux ordres contradictoires, de ceux qui le rendaient naguère dingue de frustration quand on les lui adressait. Davantage de clarté : il devait au moins ça à Carabali. « Une demi-heure, ça vous ira ?

— Un quart d’heure serait préférable, capitaine. Le secteur dont nous avons besoin devrait être dégagé dans ce délai. »

Pas question de me substituer à la principale responsable de ces soldats. « D’accord. Quinze minutes.

— Aurons-nous ensuite la permission d’employer toute la force requise dans cette zone tampon ?

— Tant que vous ne perforerez pas l’enceinte extérieure de la cité. Je ne tiens pas à voir son atmosphère s’échapper dans l’espace. »

Carabali sourit ; une bonne humeur manifeste avait remplacé sa sinistrose de tout à l’heure. « Non, capitaine. Je vais transmettre ces ordres à l’instant. Merci.

— À votre service. » Geary se rejeta en arrière à la fin de la communication et constata que Rione était arrivée sur la passerelle et le regardait.

« Je viens de faire le bonheur d’un fusilier spatial, dirait-on, expliqua-t-il.

— Oh ? Va-t-elle réussir à tuer des gens ?

— Probablement. » Il hésita un instant et scruta l’hologramme en quête d’autres menaces en germe. Mais nul signe ne laissait encore entendre que la force syndic Alpha avait l’intention de s’enfoncer à l’intérieur du système, et l’on ne décelait aucune autre activité. Rassuré, il afficha l’hologramme de la troupe de débarquement et vit s’aligner les images des vues qui s’offraient à chacun des chefs de section présents sur la cité orbitale. Il en prit un au hasard et effleura son image pour l’agrandir.

Le lieutenant par les yeux duquel il avait choisi d’observer la scène fixait un groupe d’immeubles au fond d’une petite cour. Derrière, Geary voyait s’incurver vers le haut, dans le lointain, une autre partie de la cité, conçue de façon classique et rationnelle comme un cylindre en rotation afin de s’épargner l’impératif d’une pesanteur artificielle.

Un éclair brilla brusquement dans un des immeubles et la vision du lieutenant tressauta, tandis qu’il se rejetait en arrière. Des débris volèrent de l’édifice, ébréché par un projectile métallique, derrière lequel il s’abritait. Geary appuya sur la touche SON et il perçut les échos de la déflagration. D’autres coups de feu sporadiques retentissaient de toutes parts. Puis une voix tonna et se réverbéra contre les immeubles : « Cette zone doit être évacuée immédiatement. Ordre est donné à tous les citoyens des Mondes syndiqués de se retirer sur-le-champ dans le secteur par-delà la cinquième rue. Toutes les personnes présentes de ce côté-ci de la cinquième rue s’exposent à passer pour des combattants ennemis. »

L’annonce se réitéra encore et encore. Par les yeux du lieutenant, Geary vit se déverser des immeubles des hommes, des femmes et des enfants qui s’enfuyaient à toutes jambes. La silhouette d’un homme armé d’un fusil surgit d’un bâtiment plus éloigné et gesticula de façon menaçante pour tenter d’arrêter l’exode. « Descendez-le ! » ordonna le lieutenant. Geary entendit un tir se déclencher non loin et, quelques secondes plus tard, l’homme sautait de côté comme s’il avait reçu un coup de poing puis s’abattait, inerte. Les civils se ruèrent à nouveau et dépassèrent son corps dans une bousculade effrénée.

Geary passa à d’autres points de vue et assista à peu près aux mêmes scènes. Des coups de feu continuaient de partir des immeubles qui faisaient face aux fusiliers, mais, une fois les quinze minutes de trêve expirées, ces bâtiments commencèrent d’exploser sous le déluge de feu de leurs armes lourdes. Ai-je vraiment approuvé cela ? Oui, n’est-ce pas ?

Des civils syndics mouraient sans doute dans ces immeubles, mais le choix lui avait été imposé. Le savoir n’ôtait assurément rien à son malaise. Combattre un adversaire qui ne cesse de vous pousser à commettre des atrocités, à s’efforcer de vous y contraindre, est un effroyable pensum. Je ferai ce qu’il faut mais pas davantage, tas de salauds sans cœur. Vous ne pourrez pas nous reprocher la mort de ces innocents, ni à moi ni à la flotte que je commande.

Décharger des divers entrepôts les vivres et le matériel dont la flotte aurait besoin exigea près d’une journée ; les navettes se chargeaient ensuite de les répartir entre les vaisseaux de guerre, alors qu’ils continuaient d’esquiver des tirs sporadiques de la surface et d’y riposter. Aucune des batteries au sol ne fit mouche et aucune ne survécut à ces tentatives avortées. Mais on avait l’impression qu’il en restait toujours une autre planquée quelque part.

Vingt heures après l’arrivée sur la troisième planète, Geary donna l’ordre d’en décoller, tout en collationnant, le cœur léger mais las, les listes des fournitures « réquisitionnées ». Quelque peu endommagée par les combats entre les fusiliers de l’Alliance et les forces spéciales syndics, la cité orbitale était désormais parfaitement sécurisée. Mais il en allait tout autrement des entrepôts en orbite. Geary se fit confirmer que tout le personnel en avait été évacué et ordonna leur destruction. Rien de ce qu’en avait laissé l’Alliance ne pourrait servir aux Syndics. Les entrepôts eux-mêmes ne leur feraient plus d’usage.

Sancerre n’était pas le seul système qui fournissait des vaisseaux de guerre à l’ennemi. De nombreux autres construisaient des bâtiments lourds et des unités plus légères, épuisant toutes les ressources d’une puissance interstellaire qui s’étendait sur de nombreux systèmes. Mais la perte de ces chantiers ferait son petit effet : pendant un bon bout de temps au moins, l’aptitude des Syndics à remplacer leurs pertes serait grevée.

« À tous les vaisseaux. Beau travail. » En bâillant, Geary confirma à la formation qu’elle devait se diriger vers une nouvelle position, au-delà de l’orbite de la troisième planète. « Mesdames et messieurs, je vais aller prendre un peu de repos. » Desjani le regarda quitter la passerelle de l’Indomptable avec un sourire las ; de toute évidence, elle-même s’apprêtait à se retirer.

Il regagna sa cabine, épuisé mais satisfait, en se demandant si Victoria Rione l’y attendrait.

« Ici Geary. » Il cligna des yeux pour en chasser le sommeil et vérifia qu’il avait bien pensé à couper la vidéo.

« Vous avez demandé à être tenu informé du retrait de la formation Bravo de l’Alliance de la quatrième planète, capitaine. On nous signale que c’est en train. Le mouvement de ses vaisseaux le confirme.

— Merci. » Geary se recoucha, conscient qu’il n’aurait plus à s’inquiéter pendant un bon moment de ces batteries de rayons à particules, et enchanté de recevoir, pour une fois, de bonnes nouvelles n’exigeant pas son intervention immédiate, « Tu sais quoi ? » La voix de Rione montait d’à côté de lui. « Ils sont conscients que tu leur caches quelque chose.

— Tu crois ça, hein ?

— Je le sais, John Geary. Avais-tu déjà coupé la vidéo par le passé ? Non, me semble-t-il. Et tu parles à voix basse. Ils se demandent certainement qui tu évites de réveiller.