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— En vous faisant aider de pas mal d’autres, j’imagine », fit remarquer Geary, tout en se disant qu’une liste vieille de trois ans ne pourrait certainement pas lui apprendre si Michael Geary avait réussi par miracle à s’échapper du Riposte avant sa destruction dans le système mère du Syndic. Ça resterait sans doute un mystère, mais il valait mieux le présumer mort et connaître ainsi une agréable surprise s’il réapparaissait en vie. Rien, de fait, ne portait à croire que son arrière-petit-neveu avait pu survivre au naufrage de son vaisseau.

Ce qui lui remit en mémoire les trente-neuf bâtiments qui avaient accompagné le capitaine Falco à Strabo. Il aurait aimé connaître déjà la réponse à cette question, si terrible qu’elle fût sans doute. L’incertitude n’était pas moins rongeante que taraudante, atroce conviction que bien peu d’entre eux, sinon aucun, n’auraient survécu assez longtemps pour gagner Ilion.

« Les voilà ! »

Geary jaillit de sa cabine sans prendre la peine de consulter son écran. Il dévala de longues coursives et escalada des échelles jusqu’à la passerelle, où il se laissa tomber dans son fauteuil, pantelant. C’est là seulement qu’il alluma son hologramme, avec une prière muette pour qu’il y ait autant de rescapés que possible.

De façon surprenante, trois cuirassés étaient présents. Les systèmes de l’Indomptable les identifièrent bientôt : le Guerrier, l’Orion et le Majestic. Et un unique croiseur de combat, l’Invulnérable, si gravement endommagé que Geary dut vérifier l’inventaire à deux fois avant de s’en convaincre. Ne restaient plus que deux des six croiseurs lourds qui les avaient accompagnés, aucun des quatre croiseurs légers n’en était revenu et, sur dix-neuf destroyers, seuls sept avaient survécu.

« Les pauvres imbéciles ! » marmotta-t-il. Un cuirassé et deux croiseurs de combat perdus corps et biens, ainsi qu’un grand nombre d’unités plus légères. Des trente-neuf vaisseaux qui avaient suivi Falco, treize seulement étaient parvenus à gagner Ilion.

Le visage de Desjani était blanc de colère. « Le Triomphe n’a pas réussi. Je vous parie tout ce que vous voulez qu’il est resté à l’arrière-garde pour retenir les poursuivants pendant que les autres gros vaisseaux s’échappaient.

— Ça n’a guère profité au Polaris ni à l’Avant-garde, fit remarquer Geary, conscient de la fureur qui vibrait dans sa voix. Regardez l’Invulnérable. Comment peut-il encore avancer ?

— Aucune idée, capitaine. Mais tous ces vaisseaux sont en piteux état. Je ne sais même pas si le Titan parviendra à les restaurer, quel que soit le temps qu’on lui accordera.

— On le saura bientôt. » Il appuya enfin sur la touche des communications. « Colonel Carabali. Contactez vos détachements de fusiliers à bord du Guerrier, de l’Orion et du Majestic. Les commandants Kerestes, Numos et Faresa sont relevés sur-le-champ de leurs fonctions et mis aux arrêts.

Tout comme le capitaine Falco, au motif de négligence criminelle ayant entraîné la perte de vaisseaux de l’Alliance. » L’inculpation de mutinerie attendrait. L’important, pour Geary, c’était la conscience que Falco, par sa sottise, avait causé la perte de tant de bâtiments. Il appuya sur une autre touche. « Guerrier, Orion et Majestic, ici le capitaine Geary, commandant en chef de la flotte de l’Alliance. Vos commandants sont immédiatement relevés de leur commandement. Vos seconds l’assumeront provisoirement. » Il pressa une troisième touche, activant cette fois le canal général de la flotte. « À toutes les unités qui viennent d’entrer dans le système d’Ilion : accélérez au maximum de votre vélocité et traversez la formation de la flotte pour rejoindre ses auxiliaires et leurs escorteurs à l’arrière-garde. Nous présumons que vous êtes poursuivis et nous voulons disposer d’un champ de tir dégagé. Le détachement Furieux exécutera l’opération Barricade dans votre sillage. Restez au large, s’il vous plaît. À toutes les autres unités : préparez-vous au combat. Nous devons venger la perte de nombreux vaisseaux.

— L’“opération Barricade” ? » Rione venait d’arriver sur la passerelle, essoufflée par le sprint qu’elle avait dû piquer, elle aussi, pour y grimper. Elle fixait l’hologramme et mesurait l’étendue des pertes, le visage livide.

« Une petite idée avancée par le capitaine Duellos, expliqua Geary. Nous avons chargé la plus grosse partie de nos mines sur les vaisseaux sous le commandement du Furieux. Ils se dirigent à présent vers le point de saut en semant le plus dense champ de mines que nous pouvons réaliser en ce bref laps de temps. »

À la perspective de tous ces vaisseaux syndics heurtant les mines de plein fouet, le capitaine Desjani était tout sourire. « Ce qui rend l’affaire encore plus douce, c’est que nous pouvons nous permettre de les gaspiller sans compter parce que les auxiliaires seront capables de les remplacer grâce aux matériaux que nous avons récupérés à Sancerre. Ce sont les Syndics eux-mêmes qui nous en auront donné les moyens. »

Sur son écran, Geary voyait les images, décalées dans le temps, du Furieux et de son détachement qui accéléraient vers le point de saut pour poser leurs mines. Rione reprit la parole. « Qu’arrivera-t-il si un grand nombre de vaisseaux syndics émergent du point de saut quand le Furieux et ses collègues croiseront à proximité ?

— Le risque est conséquent, admit Geary. Même si la présence près du point d’émergence du détachement Furieux prêt à filer le minimise, les Syndics peuvent effectivement rappliquer avant que nos vaisseaux n’aient fini de le dépasser. C’est bien pourquoi j’ai prié le capitaine Cresida de se porter volontaire pour cette mission. »

Rione lui jeta un regard atone. « Croyiez-vous vraiment que le capitaine Cresida regarderait une telle “prière” comme différente d’un ordre explicite ? »

Desjani lui lança un regard torve, tandis que Geary lui-même s’efforçait de réprimer une grimace. L’accusation de Rione exprimait assez de vérité pour la rendre cinglante. « Madame la coprésidente, si je m’interdisais de faire ou d’exiger toute action qui pourrait se traduire par la mort de quelques-uns des gens qui sont sous mon commandement, je me retrouverais comme l’âne de Buridan et, en l’occurrence, ça signifierait certainement, pour tous ceux dont je suis responsable, la mort ou l’internement dans un camp de travail du Syndic.

— Tant que vous resterez conscient des conséquences… » répliqua-t-elle.

Cette fois, Geary la fusilla du regard en se demandant pourquoi elle se montrait si contrariante. Peut-être cherchait-elle à lui faire comprendre qu’elle restait malgré tout la voix de sa conscience. « Si vous cherchez à me contraindre à l’honnêteté, vous marquez un point », répondit-il à voix basse.

Il se concentra de nouveau sur l’hologramme et constata que cette dispute avait eu au moins le mérite de lui faire oublier, pendant quelques minutes, sa crainte de voir surgir les poursuivants du Syndic au beau milieu du détachement Furieux. Le point d’émergence se trouvait à dix minutes-lumière. En ce moment même, les trois cuirassés devaient recevoir son ordre de relever leur commandant de ses fonctions. Les Syndics auraient fort bien pu débouler en masse entre-temps et dévaster le détachement sans même qu’il le sache.