« On ne les rattrapera pas, murmura Desjani.
— Oh que si. » Geary montra le détachement Furieux qui fendait le vide au-dessus des Syndics, légèrement de côté. La manœuvre de la force syndic, sans doute nécessaire si elle voulait gagner le point de saut, l’avait précipitée droit dans la gueule de Cresida et lui permettait désormais d’intercepter ses éléments de tête.
Desjani montra davantage les dents qu’elle ne sourit en voyant le Furieux et ses compagnons traverser l’avant de la formation syndic, en concentrant leur feu sur ses unités légères pour dépouiller les bâtiments lourds de leurs escorteurs. Cresida plongea sous eux puis remonta les frapper au ventre. Un autre cuirassé fut arraché à sa formation, ravagé par des explosions secondaires.
Attentif à la topographie du combat, Geary étudia encore la situation avant de prendre sa décision, dès qu’il s’aperçut que les trois cuirassés endommagés qui avaient survécu à la première passe de l’Alliance étaient de plus en plus distancés par leurs congénères. « Deuxième division de cuirassés. Vous êtes libérés de vos obligations d’escorte des auxiliaires. Interceptez et détruisez les trois cuirassés syndics qui lambinent derrière ! »
En raison de la distance, la réponse enthousiaste mit presque une minute à lui parvenir. « Deuxième division de cuirassés. Bien reçu ! On arrive. »
Geary jeta un nouveau coup d’œil à la formation blessée du Syndic, qui tentait toujours de dégager tandis que le détachement Furieux procédait à des passes répétées, virevoltait et s’efforçait de continuer à frapper son avant-garde, dont la vélocité ne cessait de diminuer à mesure que ses vaisseaux encore indemnes décéléraient pour attendre les unités blessées. Mais il se rendit compte aussi que ces passes incessantes affaiblissaient les boucliers du détachement. « À toutes les unités, accélérez à 0,18 c. » Mais cela n’y suffirait peut-être pas. Il s’interrompit, répugnant à donner l’ordre suivant mais ne voyant pas d’alternative. « À toutes les unités : poursuite générale. Frappez ces Syndics avant qu’ils ne s’enfuient. Il faut ralentir ces cuirassés. »
Il avait déjà assisté à ce spectacle, mais la rapidité à laquelle se dissolvait une de ses formations si soigneusement élaborées dès qu’il lâchait la bride à ses vaisseaux ne l’en laissa pas moins sidéré. Un essaim de destroyers et de croiseurs légers bondirent en avant au maximum de leur accélération. Individuellement, ils n’auraient aucune chance de frapper à mort un gros vaisseau, mais leur nombre à lui seul représentait une telle force de frappe que même les boucliers des cuirassés n’y sauraient résister. Et, une fois leurs systèmes de propulsion endommagés, ces bâtiments seraient suffisamment ralentis pour que les croiseurs de combat, d’abord, puis les cuirassés de l’Alliance les rattrapent, ce qui scellerait leur destin. « Détachement Furieux, concentrez-vous en priorité sur la tâche de ralentir les cuirassés rescapés. »
Techniquement parlant, la formation syndic existait encore, mais les frappes de l’Alliance l’avaient considérablement étirée. Son seul croiseur de combat survivant avait sans doute semé les autres, mais il se trouvait désormais trop loin des cuirassés pour qu’ils pussent l’appuyer quand le détachement Furieux arrosa sa poupe au passage d’un déluge de lances de l’enfer, détruisant la majeure partie de ses principaux systèmes de propulsion.
Alors qu’il commençait déjà à dériver, les escorteurs de l’Alliance arrivèrent à portée de tir des cuirassés syndics et firent pleuvoir sur leur poupe tout ce qu’ils avaient dans le ventre. Dix minutes plus tard, leur capacité de propulsion était suffisamment diminuée pour qu’ils commencent à perdre eux aussi du terrain, tandis que leurs lances de l’enfer impuissantes s’efforçaient vainement d’atteindre l’essaim des unités légères de l’Alliance qui les dépassaient, fulgurantes.
Les vaisseaux de l’Alliance lancés à la poursuite des Syndics harcelaient implacablement leur arrière-garde ; certains destroyers et croiseurs légers touchés chancelaient certes sous les impacts et décrochaient, mais tous les autres pilonnaient tour à tour chaque vaisseau ennemi. Le Falcata s’approcha un peu trop près, ou joua de malchance, et essuya une succession de frappes qui le réduisirent à l’état d’épave.
« Croiseurs lourds, évitez les cuirassés et descendez-moi ce croiseur de combat », ordonna Geary, qui ne tenait pas à perdre un de ses bâtiments lourds lors d’un concours de tir avec des cuirassés supérieurement armés et toujours dangereux. Avec une docilité qu’il n’aurait jamais espérée quelques mois plus tôt, ses croiseurs lourds s’écartèrent des cuirassés syndics pour tenter d’intercepter le croiseur de combat, lequel restait assez inquiétant pour tenir à distance ses destroyers et croiseurs légers.
Le Téméraire, le Résolution, le Redoutable et l’Écume de guerre plongèrent légèrement vers le plus retardataire des cuirassés ennemis, qui déchaîna un tir de barrage de missiles, de mitraille et de lances de l’enfer sur le premier ; mais les quatre cuirassés de l’Alliance n’en poursuivirent pas moins leur route en retenant leur feu jusqu’au moment où ils s’en trouvèrent assez proches pour pilonner ses boucliers de leurs propres bouches à feu. Ceux de poupe, massivement renforcés, résistèrent un instant, puis le Téméraire s’en approcha suffisamment pour frapper aussi ses boucliers latéraux, qui s’effondrèrent.
Les lances de l’enfer de l’Alliance le criblèrent alors à bout portant ; la majorité de ses armes se turent et, sur l’écran de Geary, la plupart de ses systèmes s’affichèrent H.S. Le Téméraire tira un champ de nullité qui l’éventra et ouvrit un trou béant dans son fuselage. Des capsules de survie commencèrent d’en jaillir, d’abord par petits groupes épars de deux ou trois, puis en masse. Quand l’Indomptable et ses compagnons le doublèrent en trombe, il ne sortait plus qu’une rare capsule du bâtiment blessé. « Achevez-le », ordonna calmement Geary.
Les lances de l’enfer de l’Indomptable arrosèrent le cuirassé syndic sur toute sa longueur, le transpercèrent et détruisirent ses systèmes opérationnels encore intacts. Quand l’Audacieux le martela à son tour, il était déjà anéanti.
Le Courageux du capitaine Duellos, accompagné du Formidable, de l’Aventureux et du Renommé, fondit sur un autre cuirassé endommagé et le canonna si rudement que sa poupe céda ; les deux parties du vaisseau continuèrent de rouler à travers l’espace sur sa trajectoire initiale.
Le dernier croiseur de combat ennemi, dont les systèmes de propulsion étaient détruits, commença de vomir des capsules de survie alors même qu’un grand nombre de ses armes semblaient encore opérationnelles. Geary devina qu’elles avaient été réglées en tir automatique, ce qui est relativement efficace s’agissant de maintenir en respect des assaillants, mais ne permet pas d’acquérir une cible ou de concentrer le tir comme quand les serveurs sont humains. Sous le feu croisé d’un nombre sans cesse plus élevé de croiseurs lourds, ses boucliers finirent par flancher et il essuya impact sur impact jusqu’à ce que ses dernières armes se tussent, longtemps après l’évacuation de sa dernière capsule de survie.