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— En effet. J’ignore combien d’autres s’en sont aperçus. Mais vous avez finalement pris la bonne décision. L’espace d’un instant, j’ai même failli me porter volontaire pour le peloton d’exécution de Numos et Faresa.

— Merci. » Geary fixa l’hologramme des étoiles qui flottait toujours au-dessus de la table. « Pourquoi faut-il que des gens comme le commandant et l’équipage du Terrible meurent quand des individus comme Numos et Faresa survivent ?

— Je crains que la réponse à cette question ne dépasse mes compétences, répondit Duellos. Je la poserai ce soir à mes ancêtres.

— Moi aussi. Puissent-ils nous accorder la sagesse dont nous avons bien besoin.

— Et le réconfort. Si jamais ceux qui sont morts ici venaient à vous obséder un peu trop, capitaine Geary, tâchez de vous souvenir de tous les matelots qui ont survécu à cette bataille et réussi à s’échapper du système mère du Syndic sous votre commandement.

— On pourrait se dire que ça rétablit l’équilibre, pas vrai ? Mais ce n’est pas le cas. Chacun des vaisseaux et des matelots que nous perdons est un traumatisme.

— Ça n’en reste pas moins la voie à suivre. » Duellos salua de la tête et disparut.

Seize heures plus tard exactement, Geary regardait sur son hologramme exploser l’épave à la dérive de l’Invulnérable en milliers de fragments, suite à la surcharge de son réacteur. Il ne resterait plus aux Syndics aucun trophée et au moins ses matelots survivants avaient-ils été transférés à bord d’autres vaisseaux, mais ce moment, qui lui remettait en mémoire le sort du Terrible, n’en restait pas moins douloureux. « À toutes les unités : accélérez à 0,05 c, descendez de treize degrés et modifiez la trajectoire de vingt degrés sur bâbord à T cinquante et un. » Il était largement temps de gagner le point de saut pour Tavika et de dire adieu à Ilion.

Il devait se faire voir dans le vaisseau, faire comprendre aux spatiaux qu’il appréciait leurs efforts et se souciait d’eux, même si leur bien-être relevait avant tout du capitaine Desjani. Il arpentait lentement les coursives en échangeant au passage de brefs saluts, et en engageant parfois la conversation avec ceux des matelots qui semblaient douter de jamais rentrer au bercail. Cette foi en lui restait exaspérante, mais au moins trouvait-il un certain réconfort dans la conviction que, s’il avait sans doute commis son lot d’erreurs, il les avait aussi conduits jusqu’à ce jour en surmontant de très sérieux obstacles.

Des voix sourdes mais manifestement irritées lui parvinrent. Il tourna un coin et aperçut le capitaine Desjani et la coprésidente Rione dans une courte coursive, quasiment nez à nez et l’air assez véhémentes. Elles se turent dès qu’il apparut. « Un ennui ?

— Non, capitaine, répondit Desjani d’une voix tendue. Des affaires privées. Avec votre permission, capitaine. » Elle lui fit un salut correct et s’éloigna d’un pas rapide.

Le regard de Geary se reporta sur Rione qui regardait partir Desjani en plissant les yeux. « Que se passe-t-il ?

— Vous avez entendu votre officier, capitaine Geary. Affaires privées.

— Si ça me concerne…

— Vous imagineriez-vous que nous nous crêpions le chignon à cause de vous, capitaine Geary ? » demanda-t-elle ironiquement.

Il sentit la moutarde lui monter au nez. « Non. Mais j’ai le droit et le devoir de savoir si le capitaine Desjani et vous avez des raisons de vous prendre le bec. »

Rione le dévisageait de nouveau d’un œil froid, sans trahir aucun sentiment. « Oh non, capitaine Geary. Le capitaine Desjani et moi, nous sommes en excellents termes. » Son ton démentait formellement ses paroles et il savait qu’elle l’avait choisi sciemment. Mais il était incapable d’en imaginer la raison.

Il s’efforça de réprimer sa colère. « Victoria… »

Elle brandit une paume comminatoire. « La coprésidente Rione n’a rien à ajouter à ce sujet. Interrogez votre officier si vous ne tenez pas à ce que le problème reste en suspens. Bonsoir, capitaine Geary. » Rione tourna les talons et s’éloigna à son tour ; la raideur de son dos et de ses mouvements trahissait une colère aisément identifiable après tous les moments qu’ils avaient passés ensemble.

On n’atteindrait le point de saut vers Tavika que dans plusieurs heures, et il se retrouvait déjà avec un autre problème sur les bras. Mais lequel ? Dernièrement, Desjani avait semblé tolérer sinon souhaiter la présence de Rione. De son côté, Rione avait réussi à l’éviter, lui, depuis la dernière réunion. Il ignorait encore ce qu’elle en pensait et, lors de leurs brèves entrevues ultérieures, elle avait rapidement pris congé en arguant de recherches et autres responsabilités qui l’absorbaient.

Geary gagna sa cabine et s’assit pour fixer quelques instants le diorama du paysage étoilé avant de tendre la main vers la touche de commande des communications. « Capitaine Desjani, j’aimerais que vous passiez chez moi dès que cela vous conviendra.

— J’arrive, capitaine », répondit Desjani sur un ton neutre et tout professionnel. Elle se présenta effectivement au bout de quelques minutes, apparemment sereine mais le regard troublé.

« Je vous prie, asseyez-vous » lui proposa-t-il. Desjani s’installa, l’échine roide, sans le moins du monde se détendre. Sans doute s’asseyait-elle quasiment au garde-à-vous d’ordinaire dans la cabine de Geary, mais, là, elle était nettement plus raide. « Pardon de devoir insister, mais il fallait que je sache. Pourriez-vous me dire à quel sujet vous vous disputiez, la coprésidente Rione et vous ? »

Desjani fixait la paroi derrière Geary, le visage inexpressif. « Sauf votre respect, capitaine, je vais m’abstenir de répondre à cette question, puisqu’il s’agit d’un problème personnel.

— C’est votre droit le plus strict, convint-il pesamment. Mais il y a au moins une chose que je dois savoir. Quel que soit ce problème, vous empêchera-t-il désormais de travailler correctement avec la coprésidente ?

— Je suis parfaitement en mesure d’assumer toutes mes responsabilités professionnelles, je vous l’assure, capitaine. »

Geary hocha la tête en laissant transparaître son mécontentement. « Je ne peux guère exiger davantage. Tenez-moi informé de tout changement éventuel, s’il vous plaît, et, s’il vous apparaît dans un proche avenir que ce différend risque d’affecter la sécurité et le sort de la flotte et de son personnel, n’hésitez surtout pas à m’en faire part. »

Elle opina à son tour sans se départir de son masque d’impassibilité. « Bien, capitaine.

— Vous vous rendez compte que je me retrouve dans une position délicate ?

— J’en suis navrée, capitaine.

— Très bien, donc. » Il s’apprêtait à lui dire qu’elle pouvait prendre congé quand l’écoutille de sa cabine s’ouvrit, laissant entrer Rione ; sciemment ou non, elle venait d’ouvertement dévoiler qu’elle avait librement accès à ses quartiers. Qu’elle eût précisément choisi cet instant pour lui rendre visite après l’avoir sans cesse évité depuis la dernière réunion était assurément une remarquable coïncidence.

Rione les dévisagea froidement. « Je dérange ? »

Desjani se leva. « Absolument pas, madame la coprésidente, affirma-t-elle tout aussi fraîchement. Je m’apprêtais à partir. »

Geary les observait, fasciné malgré lui. C’était un peu comme de regarder deux croiseurs de combat se tourner autour, leurs boucliers renforcés au maximum de leur puissance et toutes leurs armes parées à tirer, mais s’efforcer malgré tout, en contrôlant soigneusement chacun de leurs mouvements, d’éviter que la situation ne tourne au carnage. Et il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle ces deux femmes se trouvaient à deux doigts d’ouvrir les hostilités. « Merci, capitaine Desjani », déclara-t-il prudemment, non sans se demander si un mot mal choisi de sa part ne risquait pas de déclencher une guerre ouverte. Il n’était pas assez nombriliste pour s’imaginer qu’elles pussent se disputer sa personne, de sorte que le motif réel de cet antagonisme lui échappait complètement.