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Vous seule n’avez pas à me craindre. Vous seule, je veux protéger.

Je vous aime plus que tout, plus que moi, plus que ma vie.

Je sais qu’il vous faudra du temps pour l’accepter. Du temps pour m’aimer. Mais je garde espoir.

Elicius. »

Les calanques de pierre blanche brûlées de soleil… Les pins aux arômes puissants. Leurs larmes de résine odorante qui coulent doucement le long des écorces brutes… La mer, caressée de lumière, qui vient se reposer dans l’intimité des petites criques… Et, brusquement, le train qui plonge dans un tunnel. Une fraîcheur bienfaisante, apaisante…

Jeanne rangea la lettre au fond de son sac. Elicius sortait donc de prison. Il n’en était pas à son coup d’essai. Vous, vous échapperez au jugement dernier. Parce que vous êtes l’innocence… L’innocence. Il ne lui ferait aucun mal. Elle n’avait rien à craindre du petit garçon tendre et rêveur.

Comme moi, vous avez souffert. Comme moi, vous savez ce que le mot douleur veut dire… C’est vrai que j’ai souffert. Personne n’imagine à quel point. Même pas moi. Je ne sais même plus ce que j’ai enduré. Je ne m’en souviens plus. La mer est belle, ce soir. Je ne veux pas m’en souvenir.

Comme moi, vous méritez une vengeance. Je vous l’offre, Jeanne. Je l’accomplis pour vous. Pour vos yeux tristes, pour votre vie gâchée… C’est vrai que ma vie est foutue.

Mais la vengeance ne me rendra pas ce que j’ai perdu. Désolée, Elicius, je ne peux vous protéger plus longtemps. Demain, j’irai parler à Esposito. Ma vie a été gâchée mais on peut peut-être recoller les morceaux… La mer est vraiment belle ce soir. Parée de millions de diamants ambrés, cadeau de rupture du soleil.

Il m’a parlé, il m’a offert un café. Il a fait attention à moi.

J’existe.

Chapitre huit

Mercredi 27 mai.

Jeanne regarda l’heure en bas de son écran : 10 h 00. Le capitaine n’était pas encore passé. Hier, il n’était pas passé du tout. Et Jeanne avait espéré ce moment toute la journée. Pourvu qu’il vienne, aujourd’hui ! Qu’il entre, qu’il me sourit, qu’il m’offre un café. Qu’il me regarde.

Elle accomplissait mécaniquement son travail, la tête ailleurs. Les mots d’Elicius, le visage d’Esposito. Un curieux mélange. Elicius… Il ne lui avait pas laissé de missive hier soir. Une journée bien vide ; pas de capitaine, pas de lettre. Une journée qui ne sert à rien. Une de celles qui ne laissent pas de trace. Alors qu’il y en a qui marquent à vie. Mauvais dosage.

Cette nuit, elle avait essayé de comprendre le parcours du tueur ; non, Elicius, c’est mieux, moins effrayant. Elle en était arrivée aux conclusions suivantes : c’était un être normal qui avait basculé dans la folie. Il avait ses moments de lucidité, mais obéissait à des pulsions incontrôlables. Et, surtout, il était persuadé d’être investi d’une mission divine. Rien que son nom en témoignait.

Quelqu’un lui avait fait du mal, une femme sans doute, et il en voulait à la terre entière. Alors, il se vengeait sur d’innocentes victimes. Et puis, il y avait l’enfermement, la prison. Mais pourquoi était-il allé en taule ? De quels crimes était-il accusé ? Il lui manquait tant d’éléments… En tout cas, il semblait clair que cet homme faisait payer le prix de la souffrance endurée. Oui, il avait souffert, beaucoup ; et cela l’avait rendu fou. Tu vois, tu dis toi-même qu’il est fou ! Le dénoncer pourrait lui rendre service, on le soignerait. Et puis, si tu le balances, le capitaine va te manger dans la main… Je vais le faire. Il faut juste trouver l’occasion de parler à Esposito. L’occasion et le courage… Esposito… Pourquoi ne vient-il pas m’offrir un café, ce matin ?

Elle eut envie d’une pause. Il était 10 h 30, la « cafétéria » était sans doute désertée. Elle prit son porte-monnaie dans son sac, le referma aussitôt avant de le remettre dans le troisième tiroir. On ne sait jamais, des fois qu’elles viennent fouiller dedans !

Le couloir au linoléum crasseux, désert. Une forte odeur de tabac mêlée à celle du café. Elle opta pour une boisson chocolatée. Ça lui éviterait de gigoter sur sa chaise toute la journée. Elle s’appuya à la table et avala une gorgée de cacao.

Et, soudain, le miracle… Le capitaine s’avançait, comme s’ils s’étaient donné rendez-vous ici-même. Elle sentit ses lèvres sourire, ses joues chauffer. Il était parfaitement rasé, en plus !

— Bonjour ! dit-elle.

— Salut…

Allez Jeanne, propose-lui un café ! Elle allait se lancer mais, déjà, il avait inséré la pièce dans la machine.

Un serré, sans sucre. Elle avait repéré la touche. Il va venir s’installer en face de moi, il va venir me parler ! Moi aussi, j’ai des choses à lui dire… Il attendait que son gobelet se remplisse et elle s’éclaircit la voix.

— Ça va, ce matin ? demanda-t-elle.

— Ouais…

De mauvaise humeur, le capitaine ! Il prit son verre, tourna les talons. Sans même un regard. Comme s’ils ne se connaissaient pas.

Son cœur s’effondra et elle le laissa s’éloigner dans le couloir. Mais pourquoi il ne m’a pas adressé la parole ? Pourquoi ? Allez, Jeanne ! Vas-y ! Va lui parler !

Elle se jeta à sa poursuite et le rattrapa à l’entrée de son bureau.

Il se retourna, surpris.

— Je… Je voulais… Je voudrais vous voir, réussit-elle enfin à dire.

— Là, j’ai pas vraiment le temps…

— Mais…

Il ne lui accordait même pas un sourire. Les mots restaient coincés.

— Désolé, mais j’ai beaucoup de boulot… On discutera une autre fois, OK ?

— Euh… Oui, d’accord…

Elle resta clouée sur place, sous les yeux amusés des adjoints du capitaine. Méprisants, pensa-t-elle.

Alors, elle recula lentement avant de prendre la fuite.

Des visages, alignés sur un bureau. Des heures qu’il cherchait. Pourquoi elles ? Pourquoi les avoir choisies ?

Esposito, levant les yeux, tomba sur le regard compatissant de son lieutenant, Thierry Lepage.

— Il faut trouver le point commun entre ces femmes, murmura-t-il.

— L’âge, répondit Lepage.

— Ça suffit pas… Y a certainement autre chose…

— Et pourquoi ? Ce mec est fada, faut pas chercher la logique…

— C’est faux ! rétorqua le capitaine en quittant son fauteuil. Même un fou obéit à une logique ! Il choisit forcément ses victimes !

— Ben… Il les aime entre trente et quarante, plutôt pas mal… Après, c’est le hasard… celles qui croisent sa route…

Esposito secoua la tête. Pas d’accord.

— Résumons-nous ; qu’est-ce qu’on a appris sur elles ? demanda-t-il.

— Ben, rien de bien passionnant, avoua Lepage. Toutes environ trente-cinq ans, certaines bossaient, d’autres non. Certaines, des gosses ; d’autres, non. Certaines, mariées ; d’autres non…

— Il faut trouver le point commun, répéta Esposito avec entêtement. Le point commun…

— Leur point commun, c’est la malchance ! Elles sont toutes tombées sur ce fumier ! Voilà leur point commun !

— Il faut continuer à chercher ce qui peut les rapprocher, fouiller leur passé, interroger les familles… Je veux tout savoir sur elles…

Lepage soupira. Il aurait tant voulu qu’on leur enlève cette affaire pourrie ! Il préférait de loin les trafiquants de drogue, les julots ou les mafieux. Avec eux, au moins, il savait à quoi s’en tenir : ils étaient motivés par le fric et le pouvoir. Alors que ce cinglé…