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— Tant que ce taré sera en liberté, j’exige de vous que vous soyez sur le pont seize heures par jour ! Et si ça ne vous convient pas, la porte est ouverte…

Il passa dans son bureau et les policiers échangèrent un regard inquiet. Ils n’avaient pas fini d’en prendre pour leur grade.

17 h 36, l’heure des retrouvailles. Mais Jeanne ne pouvait s’abandonner à la joie de cette rencontre. Tiraillée entre le désir intense de lire ce qu’il avait écrit pour elle et la culpabilité qu’engendrait ce même désir. Pourtant, elle n’était pas responsable de ces meurtres. J’ai tué personne, moi ! J’ai tué personne… Mais tu fermes les yeux sur ces actes odieux ! Tu te refuses à livrer Elicius à la police ! Si les flics savaient qu’il prend cette ligne chaque jour, ils l’auraient coincé depuis longtemps… ! Ah oui ? II m’aurait tuée depuis longtemps, tu veux dire !

Le TER était là, Jeanne monta à bord. Trop tard, quelqu’un venait de lui piquer sa place. Une colère soudaine l’envahit ; elle resta plantée face à l’intrus, un homme d’une cinquantaine d’années en chemisette et cravate, très occupé à lire la presse. Elle s’assit non loin, à côté d’une inconnue, posa son sac sur ses genoux, prête à bondir aussitôt qu’il descendrait. Et s’il va jusqu’à Miramas ? J’irai aussi. J’attendrai qu’il soit parti pour prendre la lettre. Le tout est qu’il ne la trouve pas avant moi.

Le train commença à glisser doucement sur le métal brûlant tandis que Jeanne observait du coin de l’œil l’individu qui avait osé profaner son territoire. Elle se rongeait frénétiquement les ongles et sa jambe droite s’agitait d’un mouvement rapide et régulier. Pourvu qu’il descende à l’Estaque ! Pourvu qu’il ne regarde pas sur le côté ! Ses deux jambes s’agitaient, maintenant. De plus en plus vite. L’angoisse crispait ses mains, tordait son visage.

Sa voisine lui jeta un regard indiscret. Alors, elle prit son roman dans son sac, histoire de camoufler son désarroi, de se donner une contenance. Mais les mots n’avaient pas de sens.

Gare de l’Estaque. Elle tourna la tête vers l’ennemi. Il ne bougeait pas, les yeux rivés sur son canard. Mais pourquoi il descend pas ? Il feuilletait son quotidien, elle feuilletait son roman. Elle n’avait plus d’ongles à ronger, elle était arrivée à la chair. Michel détestait que je me bouffe les ongles. Michel. C’est pas le moment de penser à lui. Il est nul, ce bouquin ! Esposito m’a trahie. Curieux mélange dans ce cerveau chauffé à blanc.

Des minutes aussi longues que les voies… Soubresauts réguliers du convoi sur les jointures des rails, rengaine assassine…

La gare de La Redonne-Ensuès approcha, l’homme plia son journal. Ça y est, il va descendre ! Il faut qu’il descende !

— Casse-toi, merde !

Sa voisine la considéra, la mine étonnée. Jeanne se mordit les lèvres.

Le train ralentit. La Redonne était bien la destination de l’importun qui attrapa son attaché-case et se leva.

Jeanne, dans les starting-blocks, les mains serrées sur les anses de son sac… Dès que le train s’arrêta, elle se leva à son tour et se précipita à sa place. La femme la regardait encore, de plus en plus déconcertée.

Le Marseille-Miramas se remit en route. Jeanne glissa la main sur le côté du siège et le contact du papier entre ses doigts la rassura. Il était là, près d’elle. Une seule feuille, ce soir. Et seulement quelques mots.

« Lundi, le 1er juin,

Jeanne,

J’étais si heureux en trouvant votre lettre, ce matin… Mais vos paroles m’ont blessé… Elles montrent que vous ne m’avez pas compris, que vous ne m’acceptez pas tel que je suis.

Non, ma vengeance ne s’arrêtera pas en chemin.

Non, je ne tue pas d’innocentes victimes.

Et, non, je ne renoncerai pas par amour pour vous.

Votre lettre me prouve que vous ne m’aimez pas, que vous ne me comprenez pas.

Pourtant, j’en suis certain, un jour, vous comprendrez. Un jour, vous m’aimerez.

Parce que vous n’aurez pas d’autre choix. Parce que c’est une évidence : nous sommes faits l’un pour l’autre.

En attendant, ne m’écrivez plus.

Elicius. »

Gare de Sausset-Les-Pins. Jeanne serra ses doigts sur le papier. Dans sa main qui tremblait.

Pourquoi tu trembles, Jeanne ?

Parce que j’ai peur.

— Je crois que j’ai quelque chose…

Lepage dévisagea son chef avec un air empreint de lassitude. Esposito se tenait debout près de la porte de son bureau, un dossier à la main. On aurait dit un élève qui vient remettre sa copie au prof.

— Quoi ?

— Je crois que j’ai trouvé ce qui unit nos victimes…

Le visage de Thierry se modifia. Comme si la fatigue s’en était envolée d’un seul coup.

— Deux des cinq victimes ont fait leurs études à l’École Supérieure de Commerce et de Management de Marseille…

— À l’ESCOM ?

— Oui, la première, Sabine Vernont et le dernier, Bertrand Pariglia…

Le capitaine s’approcha et déposa ses notes sur le bureau de son adjoint.

— J’ai tout écrit, là… C’est le seul point commun que j’ai pu trouver…

— Deux sur cinq, c’est pas très probant, souligna prudemment Thierry.

— Oui, mais ce n’est pas tout ; la deuxième victime, Charlotte Ivaldi, est la fille d’une ancienne employée de l’ESCOM… Josiane Ivaldi, secrétaire de 1985 à 1992. Elle et sa fille logeaient dans l’établissement… Dans un appart’ de fonction.

— C’est vrai que c’est curieux, admit le lieutenant. Et les deux autres filles ?

— Pour le moment, j’ai pas pu trouver de lien entre elles et cette école. Mais on va chercher… Et on va trouver !

Lepage regarda la feuille où s’alignaient les noms des victimes avec, en face, les datés auxquelles elles avaient fréquenté le prestigieux établissement. Puis il releva la tête et tomba sur le sourire d’Esposito ; le premier depuis longtemps.

— Bon boulot, chef ! Mais… tu crois vraiment que c’est une bonne piste ?

— Je suis même certain que c’est la clef…

Il évita de voir le doute dans les yeux de son adjoint et alluma une cigarette avant d’aller se planter devant la fenêtre.

La ville s’éveillait à peine, il devait être 6 heures du matin, pas plus. Une douce lumière et peu de bruit encore. Le calme avant l’explosion de vie. Esposito laissait son esprit voler au-dessus des toits. Les pêcheurs avaient déjà pris la mer depuis longtemps pour rapporter leur butin à l’heure dite. Les hommes du Port Autonome s’activaient sur les docks aidés de grues titanesques… Tout ça, sous le regard bienveillant de la Bonne-Mère, juchée en haut de son piédestal. Marseille, immense, chamarrée, cosmopolite. Généreuse. Exubérante et indisciplinée. Un caractère bien trempé, des saveurs particulières entre mer et collines provençales. Selon son humeur, on pouvait s’y perdre ou s’y retrouver. Mais toujours s’y attacher.

— Le tueur ne prend pas ses victimes au hasard, reprit le capitaine. Ce n’est pas un fou… Ce type se venge.

— Une vengeance ?

— Ouais, une vengeance… Sinon, il n’aurait pas buté ce mec, Pariglia… Un tueur en série s’attaque toujours au même type de victimes…