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— Tu crois qu’il était à l’ESCOM, lui aussi ?

— Peut-être…

— À quelle période les victimes ont-elles fréquenté l’école ?

— De 1988 à 1991.

— 1988 ? Ça fait quinze ans !

— Ouais, quinze ans… Bon, faut récupérer la liste des étudiants de l’ESCOM entre 88 et 91…

— Ça va faire pas mal de monde…

— Et alors ? Tu vois une autre solution ? De toute façon, on va d’abord s’intéresser aux étudiants des mêmes sections que les victimes… Ceux entrés en 88. Ça en fera beaucoup moins… Il faut aussi vérifier si les deux victimes restantes ont un rapport de près ou de loin avec cette école.

Lepage soupira. De nouveau rattrapé par la fatigue.

— Solenn arrive à 8 heures, ajouta Esposito. Je la chargerai de ce boulot… Toi, t’as qu’à rentrer chez toi et te reposer…

— Et toi ?

— Quoi, moi ?

— Tu ne vas pas dormir un peu ?

— Non, j’ai pas sommeil… Je dormirai plus tard…

— Je reviens cet après-midi… Tu devrais en faire autant…

— J’ai pas sommeil, j’te dis. T’en fais pas pour moi.

Lepage esquissa un sourire triste, salua son chef d’un signe de la main et attrapa son blouson. Il disparut dans les couloirs déserts du commissariat, titubant de sommeil, pressé de retrouver son appartement et son lit. Quant à son épouse, il la croiserait à peine. Elle se lèverait quand il se coucherait. Et quand il se réveillerait, elle serait au boulot. J’aurais dû bosser aux impôts ou dans un truc comme ça. Un truc où il y a des horaires fixes, des dimanches et des jours fériés. Où c’est mieux payé, en plus.

Sauf qu’aux impôts, je me serais fait chier à longueur de journée.

Chapitre onze

Quinze minutes que le train faisait du surplace entre l’Estaque et Saint-Charles. Jeanne surveillait les aiguilles de sa montre comme si elle voulait ralentir leur course effrénée. Je vais rater le 8 h 05 et je vais arriver à la bourre ! Elles vont me regarder de travers, elles vont me poser des questions ! Des tas de questions…

La rame s’était arrêtée d’un seul coup et chacun attendait plus ou moins sagement qu’elle veuille bien repartir. Mais les gens se mirent progressivement à échanger leurs points de vue : on est en panne, il y a un arbre en travers des rails. C’est encore une grève ! Des manifestants au beau milieu des voies…

Et ces aiguilles qui ne cessent d’avancer ! Monique va être furieuse !

— Ils pourraient nous donner des explications, au moins !

Jeanne lorgna vers son voisin qui, commençant à perdre patience, avait décidé de passer ses nerfs en crachant son venin contre la SNCF.

— C’est toujours pareil ! Tout le temps du retard et jamais un mot d’excuse ! Quelle bande de cons !

Il regarda Jeanne comme s’il voulait la prendre à témoin. Mais elle tourna la tête et se concentra sur les abords du ballast. Pas grand-chose à voir, mais c’était toujours mieux que ce sale type qui suait la bêtise par chaque pore de la peau. Déjà qu’elle supportait son encombrant after-shave depuis Istres…

— Dès qu’on arrive, j’irai me faire rembourser mon trajet ! Pas vous ?

Elle ne répondit pas et ce silence lui coupa la parole. Mais d’autres mécontents prirent le relais.

— Ils exagèrent, quand même ! Au prix où on paye !

— Ouais ! C’est pas eux qui vont se faire engueuler parce qu’ils arrivent en retard !

Jeanne cessa de regarder sa montre ; elle pensa à Elicius. Quel jour on est, déjà ? Jeudi. Le 4 juin. La veille, elle était passée chez l’opticien pour commander ses verres de contact. Est-ce qu’Elicius va me préférer sans mes lunettes ? En tout cas, depuis lundi soir, aucune nouvelle de lui. Il ruminait sa colère.

Vous m’aimerez parce que vous n’aurez pas d’autre choix. Une bien étrange déclaration qui ressemblait plus à une menace qu’à un poème… !

Elicius n’aime pas qu’on le contrarie. T’as oublié que c’est un tueur, Jeanne ? Tu crois que c’est un enfant de chœur ? C’est un fou qui assassine pour le plaisir !… Non, pas pour le plaisir ; pour assouvir une vengeance. Ces gens lui ont fait du mal, ils en payent le prix. C’est pas la même chose… C’est ça ! Couvre-le, trouve-lui des excuses ! Tu es pitoyable, ma pauvre Jeanne !

Elle ferma les yeux sur sa honte ; sur sa peur, aussi. Trois nuits qu’elle passait recroquevillée sous les draps, tremblant au moindre bruit venu de la rue. Craignant à chaque instant qu’il n’entre dans la chambre et lui fasse regretter son affront.

Il m’aime, il ne peut me tuer. On ne tue pas ceux qu’on aime. À moins qu’ils refusent l’amour qu’on veut leur donner. Oui, on peut sans doute les tuer pour ça.

Le temps s’écoulait lentement. Jeanne, isolée dans son monde, ne prêtait plus attention à ceux qui l’entouraient.

Mais une rumeur s’empara soudain du wagon. Comme une vague venue de nulle part, qui grossissait seconde après seconde…

Un mort. Un homme sur la voie. Un suicide ? Un accident ? Une chose était sûre, il y avait un cadavre sur les rails. Et le train ne repartait pas pour cette raison. Certains se levèrent, essayant d’entrevoir par les fenêtres. Curiosité morbide et contagieuse.

Des gens marchaient sur les voies. On avait ouvert les portes, il fallait évacuer le train.

Jeanne prit son sac et suivit le troupeau. A l’air libre, elle vit des dizaines de policiers en tenue qui tentaient d’encadrer la transhumance. Une belle pagaille sans chef d’orchestre !

Les passagers se retrouvèrent sur une route, puis regroupés au beau milieu d’un parking.

— Des bus vont venir vous chercher et vous emmèneront à la gare Saint-Charles !

Les protestations fusaient, les gens criaient ; ils avaient déjà oublié qu’il y avait un corps en travers de la voie.

On va tout de même pas rouler sur quelqu’un, songea Jeanne. C’est normal qu’on s’arrête. Si c’était moi qui étais morte, j’aimerais pas que le train me roule dessus. Mais peut-être qu’on était déjà passé dessus ?

Elle frissonna et s’appuya contre un poteau en béton, un peu à l’écart du groupe.

Ça doit être horrible de mourir comme ça. Elle ferma les yeux. Il y a tant de façons de mourir, tant de façons d’en finir. Alors pourquoi choisir celle qui fait le plus mal ? Pour souffrir jusqu’au bout, peut-être. Pour vérifier que la vie est décidément trop douloureuse.

Michel.

Esposito monta dans sa voiture. Thierry le rejoignit aussitôt. Le capitaine actionna la sirène et démarra brutalement, faisant crisser les pneus. Puis il alluma une cigarette et descendit la vitre. Il roulait vite. Sur les nerfs. Pire : au bord de l’implosion. La cadence s’accélérait. Deux morts à quatre jours d’intervalle. À ce rythme, le tueur allait décimer tous les anciens de l’ESCOM en quelques mois ! Il n’y aurait plus grand monde aux réunions d’anciens étudiants…

Et, maintenant, il donnait dans le spectaculaire, il plaçait ses victimes en plein milieu d’une voie ferrée !

Mais le plus dur, sans doute, c’était ce petit mot, retrouvé accroché au cou du cadavre : À la prochaine, capitaine Esposito.

— Et si ce n’était pas lui ? suggéra prudemment Lepage.

— Tu te fous de moi ou quoi ? rétorqua le capitaine.

— Le message est peut-être là pour brouiller les pistes. Et puis, d’habitude, il les bute à la maison !

— Ben, il a changé ses habitudes ! C’est bien connu, la routine, c’est chiant ! Et il ne l’a certainement pas tué ici… Il a dû le transporter après l’avoir refroidi…