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Mais, bientôt, de nos ennemis communs, il ne restera rien…

— Je ne les connais pas, murmura-t-elle. Je ne me souviens pas…

Vous voyez, Jeanne, le purgatoire n’est pas définitif…

— Je vais guérir, alors…

Un sourire, dans le rayon de soleil. Et les yeux qui se ferment sur le mur, l’esprit qui s’ouvre sur un monde inconnu.

— Je crois que je vous aime, Elicius…

Un moment de bonheur, fugace, presque imperceptible tellement il est bref.

Car déjà rejoint par la réalité.

— Tu n’es pas capable d’aimer, Jeanne ! À moins que tu ne puisses aimer qu’un fou…

Le capitaine Esposito retourna au commissariat vers 9 heures. Il était passé chez lui pour se doucher, se changer, se raser ; et dormir deux heures. Lepage n’était pas encore arrivé, sans doute en panne de réveil ; mais les autres lieutenants, fidèles au poste, saluèrent leur chef et Solenn lui offrit café et sourire enjôleur. Vraiment mignonne, cette fille. Avec ses grands yeux noisette, son teint clair et ses cheveux coupés court.

Esposito avala son jus, puis se rendit dans la pièce centrale et s’arrêta devant le grand tableau en liège où étaient épinglés les portraits des victimes. Épinglés pour qu’on ne les oublie pas.

— On fait le point ? proposa-t-il.

Ses adjoints se réunirent autour de lui et attendirent sagement les instructions.

Parmi eux, les deux hommes promis par le Pacha. Le brigadier Romain Pardiol, un vieux renard sorti tout droit d’un roman de Pagnol, avec son accent caricatural qui faisait chanter les mots les plus simples ; le deuxième, Sadok Saraoui, un jeune gardien de la paix issu des quartiers nord de Marseille. Deux renforts hétéroclites mais vraiment bienvenus.

— Bon, pour les nouveaux, je résume la situation, commença le capitaine. Nous avons un fou qui se balade à Marseille et qui a déjà tué six personnes : quatre femmes et deux hommes. Dans l’ordre chronologique : Sabine Vernont, trente-cinq ans, dirigeante d’un bureau d’études à Aix-en-Provence. Mariée, mère d’une petite fille. Tuée dans son appartement. Ensuite, Charlotte Ivaldi, trente-trois ans, célibataire, sans enfant, employée de banque. Elle aussi, tuée dans son appartement à Marseille…

Il fit une pause, alluma une cigarette dans un silence religieux. Solenn alla discrètement ouvrir la fenêtre.

— La fumée vous dérange ?

— Non, patron. Mais je trouve qu’il fait un peu chaud…

— Bon, continuons… La troisième victime, elle aussi marseillaise ; Bénédicte Décugis, trente-quatre ans, divorcée, un enfant. Négociatrice dans une agence immobilière du deuxième arrondissement. Assassinée dans son appartement… La quatrième, Sandra de Villepainte, tuée à Paris, chez elle. Mariée depuis peu, trente-trois ans, avocate…

— C’est la seule qu’était pas d’ici ? s’enquit Pardiol.

— Elle vivait à Paris depuis six ans mais était originaire de Marseille, expliqua le capitaine. Elle a fait ses études de droit à Aix. Son nom de jeune fille, c’est Sandra Crespin. Ce quatrième meurtre remonte au jeudi 21 mai. À ce stade, nous pensions avoir affaire à un délinquant sexuel.

— Les filles, il les a… ? demanda Sadok avec un regard gêné.

— Non, aucune des victimes n’a été violée, répondit Esposito. Mais les filles étaient toutes partiellement dévêtues.

— Comment ont-elles été tuées ?

— Elles ont été ligotées, les mains derrière le dos, frappées avec divers objets, ceux qui lui tombaient sous la main. Elles ont également reçu des blessures à l’arme blanche. Ensuite, il les a forcées à se mettre à genoux face à un mur et il leur a tranché la gorge.

Le capitaine fit de nouveau une pause, éprouvé par ce récit morbide. Récit sur lequel il mettait des images, des visages.

— Dès le deuxième meurtre, nous avons fait appel à un « profiler » détaché de la gendarmerie. En étudiant les deux cas, il nous a décrit le tueur comme un malade sexuel, un impuissant, un psychopathe souffrant de grandes frustrations. Nous avons donc cru qu’il s’attaquerait toujours au même type de victimes. Mais la cinquième était un homme. Bertrand Pariglia, trente-cinq ans, marié. Dirigeant d’une société d’import-export. Assassiné à La Ciotat le dimanche 31 mai. Mêmes blessures, même mise en scène. Et puis… le sixième meurtre, hier matin…

— Le type retrouvé au milieu des voies ferrées ? questionna Pardiol.

— Oui, Marc de Mérangis. Il était à la tête de la filiale française d’une importante société d’agroalimentaire américaine. C’est le seul dont le corps a été transporté hors de chez lui. Mais les blessures sont les mêmes.

— Vous avez oublié les brûlures, patron, souligna Solenn.

— Ah oui ! On a relevé sur tous les cadavres des traces de brûlures de cigarette, sur les bras et le dos.

— Eh bé, mon vieux ! lâcha le brigadier. C’est un véritable fada, ce type !

— Qui dit que c’est un mec ? demanda Sadok. Pourquoi ça serait pas une gonzesse ?

Solenn leva les yeux au ciel tandis que Pardiol esquissait un petit sourire moqueur.

— D’après le légiste, les coups ont été portés avec une force qui démontre que le meurtrier est un homme, expliqua Esposito. Et un gaucher. D’ailleurs, pour transporter Mérangis, il fallait être vachement baraqué ! La victime pesait tout de même soixante-quinze kilos !

— C’est sûr, dans ce cas… Mais pourquoi avoir mis le type sur les rails ?

— Nous n’en savons rien ! admit le capitaine.

— Et quelles pistes avons-nous ? s’informa Pardiol.

— Eh bien, nous savons que Vernont, Pariglia et Mérangis ont fait leurs études à l’ESCOM, une haute école de commerce de Marseille. Charlotte Ivaldi est la fille d’une des secrétaires de l’ESCOM. C’est, pour le moment, le seul lien entre ces victimes, mis à part l’âge.

— Et les deux autres ? lança Sadok. Quel rapport avec l’ESCOM ?

— C’est ce que nous devons trouver, précisa Esposito. Je suis persuadé que ces meurtres sont en relation avec cette école…

Il fut interrompu par l’arrivée de Lepage qui semblait sortir du lit : chemise et visage froissés, yeux gonflés de sommeil.

— J’suis à la bourre ! Désolé !

— T’as pas à t’excuser, répondit le capitaine. T’as pu dormir un peu ?

— Ouais, trois ou quatre heures…

Il s’installa à côté de ses collègues et Esposito poursuivit son exposé.

— Nous avons la liste des étudiants inscrits en 1988. Il faut tous les contacter, les interroger et vérifier leurs alibis au moment des assassinats. Thierry a commencé, mais il y a pas mal de boulot. Solenn et Pardiol, vous lui filez un coup de main. Les autres, vous me cherchez le rapport éventuel des deux autres victimes avec l’école. Ça m’étonnerait qu’on n’en trouve pas. Moi, je vais faire un tour à l’ESCOM pour rencontrer le directeur. Vous avez des questions ?

— Tu penses à une vengeance ? s’enquit Pardiol.

— C’est une des hypothèses, confirma le capitaine. Et je crois que le nom du meurtrier se trouve parmi les étudiants de 1988. Mais ce n’est pas la seule théorie possible. Tous ces gens avaient peut-être un autre lien. Peut-être faisaient-ils partie d’un groupe d’amis et se voyaient-ils en dehors de l’ESCOM… Quoi qu’il en soit, l’hypothèse d’une vengeance reste la plus crédible. Les victimes ont certainement fait du mal à notre assassin ou à l’un de ses proches. Et je compte sur vous pour me trouver des éléments avant qu’il n’y ait un septième macchabée…