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— Non. Jamais. J’ai plus de larmes. Je les ai toutes pleurées… Vous allez m’enfermer ?

— Vous enfermer ?

— Me mettre en prison ?

— Non, je ne crois pas… S’il vous a vraiment menacée, le juge en tiendra compte…

— Je ne veux pas que vous lisiez ces lettres. Elles sont à moi.

— Je suis désolé, Jeanne. Mais je vais les lire et les garder. Je ne peux pas faire autrement… Mais je vais vous rendre votre journal. Je vous promets de ne pas l’ouvrir.

— Vous n’avez pas le droit de lire mes lettres…

— J’y suis obligé.

Un peu de sang continuait à perler le long de sa tempe et allait se mêler à sa chevelure brune.

— Je vais vous poser un pansement.

Il alla récupérer une trousse à pharmacie dans son armoire puis déposa un sparadrap sur la plaie.

— Voilà, c’est fini…

— Oui. C’est fini, répondit-elle. Tout est fini. Elicius va m’abandonner. Comme Michel…

— Michel ? Qui est Michel ?

Pas de réponse. Elle venait de perdre connaissance. Elle avait succombé aux comprimés du tube vert. Le monstre était parti, laissant la place à un ange assoupi que le capitaine contempla longuement. Et dire que tout le monde croit qu’elle n’a pas de personnalité ! Putain ! J’ai jamais vu ça ! Il alluma une cigarette et ouvrit la porte de son bureau.

— Thierry ! Solenn !

Les deux lieutenants arrivèrent immédiatement.

— Elle va mieux ? demanda la jeune policière.

— Ouais. Mais appelez-moi un toubib. C’est plus prudent. Et préparez-moi le comité d’accueil pour ce soir…

— OK, patron !

— Appelez les autres, aussi.

— À part nous, ils sont tous de repos, rappela Solenn.

— Et alors ? Qu’ils rappliquent en début d’après-midi. Tous, sans exception.

— Bien patron.

Il referma sa porte puis se pencha au-dessus de Jeanne qui dormait paisiblement. Il plaça le journal intime dans son sac à main et le déposa à ses pieds. Ensuite, il s’empara de la prose d’Elicius et s’assit sur la chaise, juste à côté de la banquette.

Il attaqua une bien étrange lecture avec l’impression de devenir un voyeur. D’entrer par effraction dans l’intimité de Jeanne…

C’est vrai que je suis un salaud. Elle a raison, cette petite.

Le médecin tourna la tête vers le capitaine en enlevant son stéthoscope.

— Vous l’avez passée à tabac ? demanda-t-il.

— Pardon ?

— Vous l’avez frappée ?

— Mais vous plaisantez ! s’offusqua Esposito. Pour qui vous me prenez ? Je n’ai pas l’habitude de frapper les femmes !

— Pourquoi ? Les hommes, oui ?

— Mais non ! Qu’est-ce qui vous prend ? Je vous l’ai dit, elle s’est fait ça toute seule ! Ça lui a pris d’un seul coup… Elle s’est mise à se taper contre les murs…

Le médecin rangea ses instruments dans sa sacoche en cuir.

— Elle va dormir encore un peu, je crois.

— Qu’est-ce qu’elle a ?

— Elle est assommée par les comprimés…

Il examina le tube vert quelques secondes.

— Vous dites qu’elle avait ça dans son sac ?

— Oui. Quand elle a commencé à péter les plombs, elle les a réclamés…

— Pourquoi a-t-elle « pété les plombs » ?

— Ben… Je l’interrogeais à propos d’une de mes enquêtes…

— Ah oui ? rétorqua le toubib d’un ton suspicieux. Vous l’avez drôlement secouée, on dirait !

— Je ne voulais absolument pas ça ! Je vous assure ! Elle est juste témoin, en plus…

— Enfin… de toute façon, elle doit être coutumière de ce genre de crise. Sinon, elle n’aurait pas ces médicaments sur elle…

— C’est quoi, au fait ?

— Quoi, quoi ?

— Les comprimés du tube vert ?

— Un puissant calmant utilisé dans les cas extrêmes… Si vous ou moi avalons un seul de ces machins-là, nous dormirons pendant 24 heures !

— Elle va dormir 24 heures ? s’écria Esposito.

— Elle, non ! Elle a certainement l’habitude de les prendre. Elle…

Jeanne, ouvrant soudain les yeux, essaya de se relever.

— Où je suis ? Qui êtes-vous ?

— Ne vous inquiétez pas, répondit le médecin avec un sourire rassurant. Tout va bien. Je suis le docteur Meyllerand.

Elle voyait juste une figure un peu trouble. Docteur ? Mais pourquoi un docteur ?

Elle parvint enfin à faire le net et aperçut alors le beau visage du capitaine. Le bureau d’Esposito ! J’ai dénoncé Elicius ! Je croyais que c’était un cauchemar ! Et… Les lettres, le journal ! Mon Dieu ! La crise !

Elle se recroquevilla sur la banquette et lança des regards éperdus autour d’elle.

— Comment vous sentez-vous ? demanda Meyllerand.

— J’en sais rien… J’en sais rien… Ça va, on dirait. J’ai mal à la tête…

— Ce n’est rien. C’est le choc. Bien, je vais vous laisser.

Il récupéra sa sacoche et le capitaine l’accompagna jusqu’à la porte du bureau.

— N’y allez pas trop fort, avec elle ! conseilla le toubib à voix basse. Elle est fragile nerveusement…

— Oui, ça, j’avais remarqué ! De quoi souffre-t-elle exactement ?

— Je n’en ai pas la moindre idée ! avoua Meyllerand. Je ne suis pas psychiatre mais, en général, ce genre de traitement est prescrit à des psychotiques, des schizophrènes ou des épileptiques… Au revoir, capitaine. N’hésitez pas à me rappeler si nécessaire.

— Au revoir, docteur. Et merci…

Esposito revint au chevet de Jeanne qui fixait le mur, encore plus repliée sur elle-même.

— Vous voulez un café ?

Pas de réponse.

— Ou un verre d’eau, peut-être…

Un mur. Une forteresse imprenable.

— Vous êtes content ? murmura-t-elle.

Il fut presque surpris d’entendre le son de sa voix.

— Content ?

— Vous… Vous… À cause de vous… Je…

— Ça va, calmez-vous, Jeanne.

— Tout le monde va savoir, maintenant !

— Vous croyez que je vais aller le crier sur les toits ? Vous avez eu un petit malaise et…

— Et je me suis tapé la tête contre les murs !

— Je ne suis pas obligé de le dire…

— Mais les autres ?

— Les autres ? Ne vous faites pas de mouron ! Ils seront aussi discrets que moi…

— Vous… Vous avez lu les lettres ?

— Oui, je les ai lues… Mais pas votre journal. Il est dans votre sac, à l’abri des regards. Comme promis.

— Vous avez lu les lettres…

Tant de désespoir dans cette simple phrase. Elle aurait voulu disparaître sur le champ.

— Oui, je les ai lues, répéta Esposito. Et…

Et j’y ai vu des choses surprenantes. Votre souffrance, immense. Insoupçonnée. La sienne, aussi. Mais je n’ai pas le choix.

— Mais c’est fini à présent, conclut-il. Ce soir, il sera sous les verrous. En attendant, on va vous ramener chez vous…

— Chez moi ? Maintenant ?

— Oui, pourquoi ? Vous ne voulez pas rentrer chez vous ?

— Qu’est-ce que vous avez dit à ma mère ?

— Eh bien… Que nous menions une enquête et que… Que vous étiez en possession de documents qui pouvaient nous être utiles… Et que vous nous aviez permis de venir les chercher…

— Si je rentre chez moi maintenant, Elicius va se douter de quelque chose. Surtout si un policier me ramène…

— Vous croyez qu’il vous surveille ?