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Et, depuis des heures, ces larmes, enfin revenues. Elle avait presque oublié à quel point c’était bon de pleurer. Maintenant, elle ne pouvait plus s’arrêter.

Elle entendit le pas de sa mère dans le couloir et ferma les yeux.

— Jeanne ! Ouvre cette porte !

— Laisse-moi tranquille ! Va-t-en !

— Ouvre, bon sang !

— Non ! Je n’ouvrirai pas ! Va regarder ta télé et fous-moi la paix !

— Tu me dois des explications, Jeanne ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Que voulaient ces policiers ? Jeanne ! Réponds-moi !

Elle se boucha les oreilles et se réconforta du silence. Même l’autre se taisait. Remplacé par les larmes, sans doute.

Sa mère s’éloigna enfin.

Elle se leva. Ouvrir les volets, respirer l’air frais et humide qui traversait la ville endormie. Elle avait toujours aimé les soirs de pluie, si rares ici. Ces odeurs si particulières qui succèdent à l’orage. Parfums délicieux de terre mouillée qui viennent s’unir aux effluves gourmandes des lavandes détrempées.

Mais ce soir, rien ne pouvait ôter le deuil en son cœur. Tout était sans doute fini, désormais.

Pourvu qu’ils l’aient tué ! Pourvu qu’ils l’aient tué ! Qu’ils ne l’envoient pas en prison ! Que jamais je n’aie à affronter son visage ou sa colère. Ma honte.

Des nuits blanches, Esposito en avait passées beaucoup. Mais rarement aussi fructueuses que celle qui s’achevait.

Face à lui, un homme, assis, le dévisageait avec angoisse. Secoué par une arrestation musclée mais sans bavure. Olivier Zamikellian, trente-cinq ans, célibataire ; ancien élève de l’ESCOM de 1988 à 1990, ayant abandonné ses études au bout de deux ans et au chômage depuis trois, après une sordide carrière de commercial pour un fabricant d’électroménager.

Un des seuls qui avaient pu esquiver l’interrogatoire de Lepage.

— Alors, monsieur Zamikellian ? Vous refusez de parler ? questionna le capitaine.

— Mais parler de quoi ?

— Des meurtres, pardi ! Des six meurtres que vous avez commis et du septième que vous vous apprêtiez à commettre…

— Mais je n’ai jamais tué personne ! Jamais ! Vous faites erreur !

— Que veniez-vous faire chez monsieur Aparadès à minuit ? Hein ?

— Mais je vous l’ai déjà dit ! J’ai reçu un message qui me demandait de me rendre chez lui et…

— Et quoi ? Arrêtez de vous foutre de nous ! enchaîna Lepage. On va pas chez les gens à minuit !

— Mais… Mais je croyais qu’il y avait quelque chose d’urgent ! Ça arrive, parfois !

— Il me tape sur les nerfs, ce type !

— Calme-toi, Thierry… Pas la peine de s’énerver. Il finira bien par nous dire la vérité. Nous, on a tout notre temps. Alors, reprenons… Vous étiez bien étudiant à l’ESCOM entre 88 et 90 ?

— Oui…

— Dans la même section qu’Emmanuel Aparadès ?

— Oui…

— Sabine Vernont, de Mérangis et Pariglia étaient aussi étudiants dans cette section. Je me trompe ?

— Non, on était tous dans la même promo…

— Sauf qu’eux ont réussi alors que vous, non… Emmanuel Aparadès était-il un de vos amis ?

— Non, pas vraiment… II… On se voyait parfois…

— Juste après votre arrestation, monsieur Aparadès nous a indiqué qu’il était en relation avec vous pour des petits boulots. En fait, si je résume, vous avez travaillé à plusieurs reprises pour lui. Au black, bien entendu…

— Oui… Mais c’était juste pour lui rendre service !

— Quel genre de services ?

— Des bricoles…

— Des bricoles ?

— C’est moi qui lui ai retapé sa maison, avoua enfin Zamikellian.

— Ah oui ? Vous êtes maçon à vos heures perdues ?

— Disons que je me débrouille…

— Ça doit être dur, non ?

— Quoi ?

— D’avoir été étudiant dans une prestigieuse école de commerce et d’être contraint d’arrondir ses fins de mois en bricolant chez les autres… D’autant plus que monsieur Aparadès a très bien réussi, lui… Qu’il nage dans le luxe et l’argent ! Pourquoi avez-vous abandonné vos études à l’ESCOM ?

— Je… Je n’aimais pas ces études…

— Allons, Zamikellian ! Ne dites pas n’importe quoi ! J’ai sous les yeux votre dossier scolaire révélant que vous n’aviez pas le niveau et que vous avez raté les épreuves en fin de seconde année… Du coup, votre bourse a été supprimée et vous avez été viré de l’école… Dur de voir ses petits camarades réussir dans de brillantes carrières et de se voir obligé de vendre des robots ménagers !

— Y a pas de sots métiers !

— Je suis d’accord avec vous, acquiesça le capitaine avec un sourire narquois. Mais depuis trois ans, vous ne vendez plus rien du tout ; vous êtes au chômage ! Et votre femme vous a plaqué. C’est bien ça, monsieur Zamikellian ?

Il ne répondit pas, baissant les yeux.

— Répondez ! ordonna le capitaine. Votre femme s’est tirée avec votre fils, c’est bien ça ?

— Oui, c’est ça ! Mais j’ai déjà répondu à ces questions !

— C’est dur à vivre, non ?

— Évidemment que c’est dur !

Esposito ressentit un pincement au cœur. Oh oui, c’est dur ! Ça peut même rendre fou. Il sortit les lettres de son tiroir et les lui brandit sous le nez.

— Vous reconnaissez ces lettres ?

— Non ! Jamais vues !

— Nous les avons saisies chez une jeune femme dont vous êtes amoureux…

— Amoureux ? D’une jeune femme ? Mais c’est du délire !

— Allons, monsieur Zamikellian ! Elle est bien mignonne, la petite Jeanne ! ricana Lepage. Pas vraiment mon genre, mais elle est mignonne ! Vous rêviez de vous consoler du départ de votre femme dans ses bras, c’est ça ?

— Mais je ne connais pas de Jeanne ! Allez-vous enfin m’expliquer ce qu’il se passe ?

— C’est simple, dit Esposito en se levant. Vous avez tué six personnes et vous allez finir votre pauvre vie en prison… Alors, au moins, dites-nous pourquoi vous les avez tuées !

— Mais c’est faux ! hurla le prévenu en bondissant de sa chaise. J’ai tué personne, moi ! C’est une erreur judiciaire !

Lepage le rassit de force.

Esposito le nargua d’un sourire.

— Ce n’est pas encore une erreur judiciaire, monsieur ! Pour le moment, ça ne peut être qu’une erreur policière !

— Je veux voir un avocat !

Classique. Ils disent toujours ça lorsqu’ils sont à court de mensonges.

— Bientôt, monsieur Zamikellian. Vous le verrez bientôt. Comme le juge, d’ailleurs… Expliquez-moi donc ce que vous veniez faire chez monsieur Aparadès à minuit… Et, pendant que vous y êtes, expliquez-moi aussi d’où vient le rasoir que nous avons trouvé dans votre voiture… Rasoir avec lequel vous avez égorgé vos victimes, je présume…

— Mais j’ai jamais vu ce rasoir de ma vie ! s’écria le suspect avec désespoir. Je l’ai jamais vu !

— C’est évident, quelqu’un l’aura mis dans votre voiture… C’est ça ?

— Mais oui, c’est ça !

Esposito se rua soudain sur lui et le souleva de sa chaise en l’empoignant par le col de sa chemise. Il le décolla du sol et le plaqua violemment contre la cloison qui trembla sous le choc.