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Tous les deux mois, un cosmo venu de la Terre apportait du matériel, quelques vivres qui variaient agréablement notre menu tiré principalement des plantations hydroponiques, et des nouvelles. La proximité du Soleil empêchait l’utilisation des ondes électromagnétiques, et nous n’avions pas encore réussi à ce moment à utiliser pour les communications les ondes de Hek, ces ondes dont j’ai prouvé l’existence théorique il y a quelque temps, à votre époque, et qui se propagent bien plus vite que la lumière.

Il y avait six mois que je travaillais à l’extension de ma théorie des taches solaires, quand je m’aperçus que, si mes calculs étaient exacts, la fin du monde était proche. Je me souviens de ma stupeur, de mon incrédulité, des calculs vingt fois recommencés, et finalement, de mon épouvante ! Je sortis comme un fou du labo, grimpai à la surface, dans l’hémisphère éclairé, et regardai le Soleil, bas sur l’horizon. Il flamboyait dans le ciel, tel que les hommes l’avaient toujours vu. Et pourtant, si je ne me trompais, dans un avenir plus ou moins éloigné, dans cent ans, dans dix ans, demain, à la seconde qui venait, peut-être, ce globe monstrueux allait éclater, noyant dans une marée de feu Mercure, la Terre, le système solaire !

Je restai là longtemps fasciné jusqu’à ce que réchauffement de mon scaphandre me contraignît à rentrer. Comme je sautais dans le tube anti-gravitique, une idée nouvelle me traversa l’esprit, et, tordant le bouton de contrôle sur ma boîte pectorale, plongeai presque en chute libre. Je me ruai vers mon labo, et, sans rien dire à personne, travaillai pendant plus de soixante heures, sans presque manger, sans dormir, me soutenant à coup de drogues. L’homme est une curieuse créature ! Quand je découvris à la fin que l’explosion du Soleil était inévitable, mais ne pourrait se produire avant dix ou quinze ans, j’éclatai de rire, et, malgré ma fatigue, me lançai dans une farandole effrénée, bousculant tables et chaises. Puis je me calmai. Il fallait prévenir d’urgence le conseil des Maîtres. Je demandai au directeur de l’observatoire, un vieux tekn du nom de Brir, d’envoyer immédiatement le cosmo de secours vers la Terre avec mon message. Il refusa d’abord, et je dus lui dire la vérité. Quelques jours plus tard, le cosmo revint, amenant le maître du Ciel en personne.

À part mon vieux professeur de l’université, Kert, le maître des atomes, je n’avais jamais fréquenté longuement un de ces puissants personnages. Hani, le maître du ciel, était un vieillard de haute stature, aux froids yeux bleus, qui cultivait avec soin une longue barbe blanche archaïque. Il vint immédiatement à mon labo, accompagné d’une autre archaïsme, délicieux celui-là, une jeune fille blonde qui était sa petite-fille Rhénia, géologue et géophysicienne, disciple de Sné, le maître des planètes. Mais sur le moment, je l’avoue, je ne fis guère attention à elle. J’exposai à Hani mes nouvelles méthodes de calcul, et les résultats auxquels elles m’avaient conduit. Il vérifia lentement mon travail. Tout était exact. Il leva les yeux, parcourut du regard le laboratoire calme et désert, regarda mélancoliquement sa petite-fille, puis moi-même.

« Haurk, il est dommage que vos calculs soient justes. Vous auriez été un Maître, quand les temps seraient venus … »

Nous restâmes un long moment silencieux. Je regardai Rhénia. Elle n’avait pas sourcillé quand j’avais exposé le résultat de mes travaux. Ses yeux verts étaient perdus dans le vague, ses traits réguliers figés dans une expression de détermination calme. Puis elle parla :

« Ne pouvons-nous réellement rien faire ? L’homme aura-t-il vécu en vain ? Et ne vaudrait-il pas mieux lancer des astronefs dans l’hyperespace, même si un sur mille doit arriver … quelque part ?

— J’ai pensé à une autre possibilité, dis-je. Il ne semble pas, pour le moment du moins, que le cataclysme dépassera l’orbite d’Uranus, ou, au pis, celle de Neptune. Ce n’est ni une nova, ni une supernova à laquelle nous avons affaire, mais quelque chose d’autre. Si nous pouvions éloigner la Terre suffisamment …

— C’est évidemment ce qu’il faut faire, dit Hani. Mais aurons-nous le temps ? Dix ans sont bien courts, pour une telle œuvre ! Je vais rester ici avec vous pendant un mois. Somme toute, vos extrapolations sont fondées sur des observations de peu de durée. Je suis de votre avis, le Soleil ne doit pas se transformer en nova ou supernova classique, il y a quand même des traits communs. Je vais demander copie de toutes les archives solaires, et de toutes celles qui se rapportent aux novas. Nous continuerons ensemble votre travail, et nous verrons. »

À part Brir, Hani, Rhénia, mes collaborateurs immédiats et moi-même, nul sur Mercure, pas même les astronomes, ne se doutait de la vérité. J’avais obtenu mes résultats par une méthode nouvelle de calcul. Pour tous, Hani était venu en tournée d’inspection, fait rare, mais non sans précédents. Maintenant que je n’avais pas la responsabilité totale des recherches, et que le poids du terrible secret était partagé, une immense fatigue tomba sur moi, et je dus prendre quelques jours de repos intellectuel. J’en profitai pour visiter Mercure en compagnie de Rhénia. Nous survolâmes la planète en tous sens, à basse altitude, dans le cosmo de Hani. Nous passâmes le dernier jour de mon repos au sommet du mont des Ombres, où avait été installée une station de vacances. Rhénia se révéla une charmante compagne, gaie et optimiste. C’était son premier séjour sur Mercure, mais elle avait déjà visité, avec son grand-père, Mars, les Satellites de Jupiter, ceux de Saturne, et avait même poussé jusqu’à Neptune. Quant à Vénus, elle y était née, Hani était vénusien d’origine. Mais elle l’avait quittée très jeune.

Si Mars était, comme il l’est déjà de vos jours, un monde pelé, presque aussi aride que Mercure, avec ses sables limonitiques et ses maigres lichens, il y avait eu, combien de millénaires ou de millions d’années avant l’apparition de l’homme sur Terre, des Martiens. Leurs traces étaient infimes, mais indiscutables : quelques tunnels à demi écroulés, parfois envahis par le sable. Dans l’un d’eux on avait récemment retrouvé les débris d’un engin fusiforme qui, bien que tout corrodé, semblait avoir fonctionné par cosmomagnétisme. Mais vos traces, celles de votre futur établissement antérieur à la cinquième glaciation, étaient nettes : villes sous dômes, abandonnées, mais où tout était presque intact, sauf les livres.

Je repris le travail avec Hani, et continuai ainsi à voir Rhénia presque tous les jours. Le vieillard ne pouvait se passer, semblait-il, de sa petite-fille. Elle seule pouvait l’apaiser quand il était irrité. Quoique fort aimable, et prodigieusement intelligent, il était très maniaque, et j’appris assez vite une façon de disposer mes calculs qui ne le faisait pas siffloter entre ses dents. Nous dépouillâmes les archives solaires et les observations journalières. Sur Terre, une armée d’astrophysiciens étudiait tout ce que l’on savait des stades primaires des novas et supernovas, et transmettait à mesure les résultats par cosmos spéciaux. Pour égarer provisoirement l’attention des milieux astronomiques, Hani avait fait courir le bruit qu’il vérifiait une de mes théories, selon laquelle Etanor, l’étoile la plus proche, risquait de devenir une supernova.

Sous de vagues prétextes, le conseil des Maîtres fit remettre en vigueur, par le gouvernement trill, la loi Alkitt, qui, en cas d’urgence, permettait de mobiliser toutes les énergies terrestres. Discrètement, les premiers préparatifs furent commencés.

Nos calculs nous permirent enfin de prévoir l’explosion, au rythme actuel des réactions nucléaires solaires, pour dans douze ans et soixante-quatre jours. Mais il fallait compter avec une accélération possible, et le délai de sécurité ne dépassait guère huit ans. Il fallait donc que d’ici huit ans la Terre et Vénus se trouvent plus loin que l’orbite d’Uranus. Il ne pouvait être question de sauver les autres planètes, et nous nous demandâmes même un moment s’il ne vaudrait pas mieux replier la population vénusienne sur Terre. Mais, en fin de compte, la construction de logements souterrains étanches et thermiquement isolés pour sept cents millions d’hommes de plus, ainsi que les fermes pour leur nourriture, auraient coûté plus de matériel et de travail que ce qui était nécessaire pour déplacer Vénus. Mercure et Mars, par contre, étaient condamnés, et l’ordre partit pour la planète rouge d’accélérer au maximum toutes les recherches archéologiques en cours.