Hani repartit alors avec Rhénia, et leur absence me pesa. Je m’étais habitué au vieillard, à ses colères pleines d’humour, à l’aide puissante qu’il m’apportait. Je m’étais habitué aussi, je dois le dire, à la douce présence de Rhénia, et c’est avec mélancolie que je montais parfois jusqu’au sommet du mont des Ombres.
Six mois après leur retour sur la Terre, la nouvelle de l’explosion du Soleil fut portée à la connaissance des hommes, comme une possibilité seulement. Avec l’accord du conseil, le gouvernement révéla la mise en chantier des immenses cosmomagnétiques qui, placés aux pôles de la Terre et de Vénus, allaient les entraîner dans l’espace. Quelque temps après, la loi Alkitt fut appliquée, et tout sur les deux planètes fut désormais subordonné au grand œuvre. Puis, tout à fait à l’improviste, je fus rappelé d’urgence sur la Terre. Je parcourus une dernière fois le labo familier, que je ne devais plus revoir, et laissai à Sni la responsabilité de la poursuite des observations.
J’ignorais complètement le motif de mon rappel. Aussi fus-je le premier surpris quand j’appris que, par ordre du conseil des Maîtres, j’étais placé à la tête de la Solodine, l’organisation qui venait d’être créée pour superviser les préparatifs du grand voyage, avec le titre de coordinateur suprême. Je devais cette lourde, mais magnifique responsabilité au rapport que Hani avait fait sur moi à son retour. Je me trouvais donc, à 27 ans, à la tête d’une organisation qui contrôlait, de près ou de loin, toutes les activités de deux planètes !
J’avais pensé jouir de quelques jours de congé, qui m’auraient permis de visiter mon frère et ma famille, à Eknebor, dans l’hémisphère sud. Il n’en fut pas question. À peine descendu du cosmo interplanétaire, je dus me présenter devant le conseil. C’était la première fois que je pénétrais dans la salle du conseil depuis mon serment. Cette fois, l’ambiance était moins solennelle, mais plus tendue. Tous les maîtres étaient présents, y compris le maître des machines et le maître des hommes, ce dernier jouant le rôle d’intermédiaire avec le gouvernement trill. Et, chose qui ne s’était jamais vue depuis des temps immémoriaux, trois membres de ce gouvernement assistaient à l’assemblée.
Je m’assis, et Thar, le maître des machines, commença son rapport. Les cosmomagnétiques géants seraient prêts à être montés dans trois ans, et terminés dans quatre. Ils ne pouvaient l’être plus tôt, car les dimensions gigantesques nécessaires posaient des problèmes entièrement nouveaux. Il fallait aussi construire en premier lieu les machines destinées à usiner les énormes pièces.
Sné, le maître des planètes, parla ensuite : l’implantation des cosmomagnétiques aux pôles posait de délicats problèmes de géologie et de géophysique. Il aurait été relativement facile de fondre la carapace de glace du pôle Sud, mais cela aurait entraîné un relèvement considérable du niveau des mers, inondant des régions entières. Il valait donc mieux ne détruire la glace que sur l’emplacement strictement nécessaire. Pour le pôle Nord, il ne fallait pas compter pouvoir placer des fondations solides dans une mer de plus de 1 000 mètres de profondeur, en si peu de temps. Un cosmomagnétique sous-marin serait une complication, et une perte de temps. Sné proposait donc, au lieu d’un seul cosmo placé au pôle, une série de cosmos plus petits, en ceinture autour de la Terre, à la plus haute latitude possible.
À quoi Psil, le maître des forces, répondit qu’en effet c’était la seule méthode à suivre, mais que le moindre défaut de synchronisation entre les petits cosmos risquerait de se traduire par des tensions dans la croûte terrestre, génératrices de séismes.
Les uns après les autres, les maîtres prirent la parole. Je commençai à me rendre compte de la complexité effrayante de la tâche qui m’attendait. Il fallait prévoir le repli de toute la population sous la surface, dans des cités profondes absolument étanches, l’emmagasinement d’une grande partie de l’atmosphère, la création de champs souterrains et de fermes hydroponiques capables de nourrir la population pendant des années, puisque la photosynthèse artificielle n’aurait plus à sa disposition l’énergie gratuite du rayonnement solaire. On aurait pu évidemment maintenir ces dernières usines à la surface, pour profiter du rayonnement de la « Nova », mais j’espérais bien que quand elle se produirait, nous serions déjà fort loin. Et tout cela non seulement pour la Terre, mais aussi pour Vénus. Évidemment, je ne serais pas seul. J’aurais autant de collaborateurs que je le désirerais, et l’appui total du conseil. Mais le poids de la responsabilité commençait déjà à peser sur mes épaules.
CHAPITRE IV
LE GRAND ŒUVRE
Aprèsla réunion, Hani me conduisit àson laboratoire. Une centaine d’astrophysiciens dépouillait toutes les fiches existantes sur les novas et supernovas, depuis plus de mille cinq cents ans. La concordance du stade prénova avec mes calculs était frappante, avec cependant des différences qui me confirmèrent dans mon impression que, pour notre Soleil, nous avions affaire à un type spécial. Je revis Rhénia, qui revenait du pôle Sud, où elle était allée, avec d’autres géologues, étudier l’implantation du géocosmo n °1. Elle fut amicale, mais un peu distante, préoccupée. Elle devait repartir le lendemain, et je me promis bien de profiter de mes nouvelles fonctions pour aller la voir au cours d’une tournée d’inspection.
Je ne devais pas réaliser ce projet avant un an ! À peine entré en fonction, je fus absorbé par un travail écrasant de coordination, qui m’obligea à interrompre complètement mes recherches. Je les confiai à Sni, revenu sur Terre à ma demande. D’ailleurs, tout le travail important avait déjà été fait par Hani et moi-même, et toutes recherches autres que celles concernant, de près ou de loin, le grand voyage, étaient suspendues.
L’immeuble qui abritait mon bureau directorial de la Solodine se trouvait à la limite sud d’Huri-Holdé, et, par la fenêtre, je pouvais, à mes rares instants de détente et de loisir, contempler la belle vallée de Hur, avec ses immenses champs de céréales, ses forêts, sa calme rivière. La nature, débarrassée à jamais des clôtures de fils de fer, des poteaux télégraphiques et des pylônes électriques qui la déshonorent de votre temps, était plus belle que jamais.
L’immense métropole de 90 000 000 d’habitants s’arrêtait net, sans bavures, sans la lèpre de vos faubourgs, et, à 50 mètres de la falaise urbaine, un bois de cèdres commençait. Quelques mois plus tôt, le ciel eût été peuplé de légers planeurs, tout à fait semblables aux vôtres, car le vol à voile était un sport très en honneur chez nous. Maintenant les planeurs restaient aux hangars, et seuls passaient les rapides cosmos terriens, points noirs surgissant de l’horizon, grossissant en sifflant avant de s’immobiliser presque brusquement sur les plates-formes d’envol, sans mal pour les passagers, grâce aux champs antigravitiques et anti-inertiques internes. Nul véhicule terrestre. Pour surveiller les champs, les agronomes disposaient tous de leurs petits cosmos individuels, filant en essaims vers sept heures du matin pour ne rentrer que le soir.