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Avec Rhénia, je me mêlai aussi à la vie des hommes du chantier, tant ouvriers qu’ingénieurs. Ici encore, et au risque de vous décevoir, la différence de mentalité avec les chantiers de votre époque n’était pas énorme. Si les constructions, logements, cantines, etc, auraient paru outrageusement luxueuses à un chef d’entreprise d’aujourd’hui, et un rêve inaccessible à vos ouvriers, si les jeux étaient différents, il y avait, comme aujourd’hui, des gens dociles et des fortes têtes, des enthousiastes de l’œuvre et des tire-au-flanc, des syndicalistes, des antisyndicalistes, et des mécontents perpétuels. La loi Alkitt n’avait, plus été appliquée depuis des temps immémoriaux, et beaucoup de tekns ou de trills s’étaient trouvés subitement munis d’une feuille de route, et envoyés à des milliers de kilomètres de leur famille.

Mais à ce moment-là, le mécontentement était le fruit d’habitudes dérangées, et non une révolte.

Je quittai le pôle Sud à regret, dirigeai mon cosmo vers le nord, et atterris au Groenland où l’on construisait sur la côte septentrionale, le géocosmo n° 3. De taille bien plus réduite, il était déjà presque achevé. Il devait y en avoir dix de ce type, ceinturant la planète. Je revins ensuite à Huri-Holdé où me reprit la routine de tous les jours. Elle dura jusqu’au moment où Tirai, le maître des Hommes, me demanda une audience.

Il cumulait les fonctions de directeur de toutes recherches se rapportant à la sociologie, de lien entre le conseil et le gouvernement trill, et, mais ceci était un secret connu seulement du conseil et de moi, de chef de notre service secret de renseignement. C’était un homme encore jeune physiologiquement (il n’avait que 87 ans) puissamment bâti (il avait été champion de lutte quand il était étudiant), très fier d’une barbe brune et de cheveux en brosse, chose très rare, nos cheveux étant habituellement fins et souples. Je n’avais eu jusqu’à présent que peu de rapports avec lui, mais ne ressentais pas pour lui beaucoup de sympathie. Il entra directement dans le vif du sujet :

« Haurk, avez-vous constaté, dans l’exécution du travail, quoi que ce soit rappelant, de près ou de loin, du sabotage ?

— Non, dis-je, un peu surpris. Bien entendu, il y a des mécontents, surtout parmi les trills, mais c’est concevable, et c’était prévu. Mais de la mauvaise volonté, non. Encore moins de sabotage. J’en aurais d’ailleurs prévenu le conseil immédiatement.

— Si vous aviez des faits en main, sans doute. Mais l’auriez-vous fait sur de légers indices ? Le point n’est pas là, d’ailleurs, puisque vous n’avez rien remarqué. C’est donc que le mouvement ne s’est pas encore décidé à agir …

— Quel mouvement ?

— Les Destinistes. Une bande d’imbéciles qui prétendent que si le Soleil explose, c’est que c’était le destin de la Terre d’être anéantie. Ils semblent penser qu’en sauvant nos corps, nous allons damner nos âmes, et que le feu du Soleil doit nous purifier. Ils se fondent sur un fatras de prophéties conservées dans les livres sacrés des Kiristi, cette secte religieuse qui, d’après certains historiens, remonte peut-être à la première civilisation, avant les glaciations.

— Je croyais que les Kiristi étaient des gens sensés, même si je ne partage pas du tout leurs croyances ; j’en connais … Que dis-je, ma grand-mère en faisait partie !

— Aussi n’est-ce point eux. C’est, si mes renseignements sont exacts, une nouvelle secte, mais déjà puissante parmi les Trills. Par malchance, un de leurs prophètes a annoncé la fin du monde deux mois tout juste avant que le conseil ne rende public l’état instable du Soleil.

— Quel est leur recrutement ?

— Exclusivement trill, pour le moment. Mais j’ai peur que bientôt quelques tekns, parmi les échelons inférieurs, ou ceux qui ont la tête moins solide … Ils ont peut-être déjà avec eux des gens assez haut placés, dans la police trill, par exemple. »

Je lâchai un juron agacé. En admettant que tout aille bien, nous serions prêts largement à temps. Mais s’il devait se produire des troubles …

« Que pouvons-nous faire ?

— Rien pour le moment. J’espérais que vous me fourniriez quelques faits louches qui m’auraient permis d’agir. Mais, telles que sont les choses, si nous arrêtons les meneurs, et que nous ne les connaissons certainement pas tous, nous risquons un conflit avec le gouvernement trill, car, légalement, notre action serait des plus arbitraires. Notre loi permet la liberté de pensée et de culte. Nous ne pouvons arrêter quelqu’un parce qu’il croit que nous avons tort de ne pas nous soumettre au destin !

— Je vois, dis-je. Je suppose que vous avez déjà des agents dans les chantiers.

— Bien sûr ! Mais si l’un de vos ingénieurs vous signale la moindre anomalie …

— Entendu. De même, si vous découvrez quoi que ce soit … »

Tirai partit, me laissant perplexe. Comme tout tekn, j’avais été élevé dans l’idée que l’homme peut et doit s’opposer à l’univers, et que d’autres hommes pensent autrement me semblait, à première vue, complètement invraisemblable. Intellectuellement, je m’efforçais d’en accepter l’idée, ne pouvant, en tant que chef du grand œuvre, négliger aucune menace, aussi éloignée et peu probable qu’elle puisse paraître.

Cependant les soupçons de Tirai ne devaient se réaliser que plus tard, et, tout en étant calme et en bonne voie, je partis pour une tournée d’inspection sur Vénus.

DEUXIÈME PARTIE

LE CATACLYSME

CHAPITRE PREMIER

LA JUNGLE VÉNUSIENNE

Je n’étais jamais encore allé sur Vénus. Nos relations avec les Vénusiens étaient assez particulières. Vénus avait été colonisée avant le crépuscule des Drums. La planète avait été trouvée environnée de ses voiles épais de formaldehyde, et il fallut, avant que la colonisation proprement dite commençât, la rendre habitable. Sous la direction d’un ingénieur remarquable, nommé Pouhl Andr’son, une opération physico-chimique, connue sous le nom de « la Grande Pluie », transforma l’atmosphère. Quand elle fut achevée, Vénus était à nouveau entourée de nuages, mais de vapeur d’eau cette fois. Puis elle dut changer son mouvement de rotation, trop lent, qui passa de 72 à 28 heures. À cette époque lointaine, nous ne connaissions pas le cosmomagnétisme, et l’énergie nécessaire fut fournie par des centrales atomiques, différentes des vôtres en ce que nous n’utilisions pas la fission d’atomes lourds, ni la fusion d’atomes légers, mais l’annihilation de la matière, infiniment plus puissante.

Infiniment plus dangereuse, aussi ! En 2244 eut lieu la catastrophe. Pour une raison ignorée, sept des onze centrales sautèrent à la fois, et Vénus fut presque tout entière noyée sous les gaz radioactifs, à faible vie moyenne, heureusement. Les secours affluaient de la Terre quand les Drums frappèrent.

Ainsi, pendant plus d’un millénaire, toutes relations cessèrent entre les deux planètes. Tout ce qui, dans nos documents, pouvait indiquer aux Drums que nous avions une colonie sur Vénus fut détruit ou camouflé. Mars était déjà entre leurs mains, si l’on peut parler ainsi de leurs tentacules digités.

Sur Vénus, l’humanité, abritée encore dans les villes sous dôme, survécut à grand-peine. Il se produisit dans la race humaine toute une série de mutations, toutes, ou presque, dégénératives à brève échéance, heureusement. Ne comptez pas sur une guerre atomique pour fabriquer des surhommes ! Mais l’action fut particulièrement curieuse sur la faune.

Vénus avait été trouvée complètement dépourvue de vie. Aussi y avions-nous importé une faune et une flore de la Terre. C’étaient principalement des formes venant des réserves africaines et américaines : gros ou petits mammifères, herbivores ou carnivores, insectes, etc. Nous avions réussi ou à peu près, à établir en cent ans, d’abord sous dôme, ensuite à l’air libre, un équilibre analogue à celui que des millions d’années d’évolution avaient créé sur notre planète. De cette faune, la majorité périt dans la catastrophe. Une petite partie, chanceuse, resta inchangée. La plupart des formes animales subirent des mutations. Mais, contrairement à ce qui se passa pour les hommes, ces mutations ne furent pas toutes léthales ou désavantageuses. Il existait maintenant sur Vénus, encore en grande partie inhabitée, car les continents situés entre les quarante-cinquième degrés de latitude nord et sud étaient trop chauds, une faune de cauchemar, dont j’aurai l’occasion de parler.