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« Des victimes ?

— Beaucoup déjà, hélas ! Ceux qui se trouvèrent à proximité des cosmos que ces fous voulurent utiliser, malgré nos avertissements. Et ils traquent et tuent les tekns isolés. Mais assez parlé, le temps presse. Nous ne pouvons vous joindre. Or le dispositif de défense se trouve dans le bureau situé immédiatement sous le vôtre. Tirai devrait y être, mais nous n’avons pas de nouvelles de lui, et nous avons peur qu’il soit déjà mort. Vous allez y descendre, et prendre sa place. »

La porte fut ouverte par le chef d’un poste de garde. Sur une immense table s’étalait un plan d’Huri-Holdé, portant, sur chaque rue, un bouton rouge. J’activai l’écran, et la face d’Hani réapparut.

« Maintenant, Haurk, vous allez faire exactement ce que je vous dis. Je parle au nom du conseil qui a pris ses décisions au nom de tous et pour le futur de la race humaine. Appuyez sur le bouton situé sur la Rakorine, sur le plan.

— Résultat ? Demandai-je.

— La mort de quelques fous, et de beaucoup d’imbéciles qui les suivent, hélas ! L’axe de l’avenue va être balayé par les ondes de Tulik. »

Je blêmis. Les ondes de Tulik étaient une diabolique invention, qui n’avait jamais encore servi, et qui faisait partie des secrets les plus jalousement gardés du conseil. Je n’en connaissais l’existence que par suite du hasard qui me les avait fait redécouvrir, avant mon départ sur Mercure. J’ai su depuis que le conseil avait sérieusement discuté de la possibilité d’un « accident » qui aurait pu m’arriver. Elles décomposaient les cellules nerveuses.

« N’y a-t-il pas d’autre moyen ?

— Non, Haurk. Croyez bien que cela nous répugne autant qu’à vous. Mais nous ne devons pas laisser ces fous détruire toute chance de survie de la race pour satisfaire leur lubie. J’espère qu’après cela, ils se soumettront. Et rappelez-vous ! S’ils l’emportent, c’est la mort pour nous tous, et, pour commencer, tous les tekns, vous, moi, et … Rhénia ! »

Je contemplai le petit bouton rouge, fasciné. Une légère pression du doigt, et c’en était fait de milliers d’êtres humains. J’activai un autre écriteau, regardai une fois de plus la scène dans la Rakorine. Une très belle jeune femme brandissait maintenant le drapeau noir. La foule était arrêtée. Contre un mur, un homme portant l’insigne du parti économiste essayait de discuter avec un demi-cercle de fanatiques. Des êtres humains … Une pression du doigt, et il n’y aurait plus que des petits tas de protoplasme inerte. Je me sentis écœuré par la folie de tout cela, me demandant un instant si les destinistes n’étaient pas dans le vrai, si l’humanité valait la peine qu’on la sauve. Puis je pensai à la jeune morte, sur Vénus, qui avait préféré disparaître que servir d’otage. Avait-elle eu raison ? Y avait-il des causes qui justifiaient sa propre mort, et celle des autres ?

Là-bas, la foule se remit en marche. Un chant monta, s’enfla :

C’est la mort, la mort cosmique

C’est la mort que nous voulons ! !

« Eh bien, Haurk », dit la voix calme de Hani.

Je le regardai, le haïssant pour son impassibilité. Puis je m’apaisai. Sous son visage immobile transparaissait la tension de tout l’être. Je n’étais qu’un instrument ; il était, avec les autres, la volonté.

Le Soleil père des planètes

Bientôt les dévorera …

Les paroles étaient des vers de mirliton, mais le chant s’enflait puissamment, terrible. Après un dernier regard sur l’écran, je pressai le bouton. Dans la Rakorine, les hommes s’affaissèrent, comme fauchés. La grande jeune femme glissa doucement, et reposa sous les plis du drapeau noir.

Une explosion toute proche secoua les murs, et des débris retombèrent en pluie. J’allai à la fenêtre, me penchai. Sur la terrasse supérieure, les insurgés hurlaient, entourant un petit bâti métallique. Une flamme jaillit, un cri monta, suivant un petit projectile. Il explosa à la hauteur de mon bureau habituel, défonçant les vitres de plastique. Sans hésiter cette fois, j’allai au plan, cherchai le bouton correspondant à cette terrasse. Les hurlements cessèrent. Penché, je regardai les corps, entassés pêle-mêle, plus émouvants d’être vus directement.

« Ils refusent de se rendre », dit Hani.

Je cherchai dans toute la ville, faisant défiler les grandes rues et les places. Dans la Stanatine, ma rue natale, des insurgés écorchaient vif un tekn avec des lenteurs calculées. Petit bouton rouge poussé … Dans la Koliane, ils incendiaient une bibliothèque. Petit bouton rouge … Sur la place Sirtine, des corps amoncelés, vêtus de gris. Petit bouton rouge encore. Et cela dura. J’étais devenu insensible, agissant comme dans un rêve ; une légère pression, une grande lame qui fauche, des corps qui culbutent dans des positions grotesques, … ma main gauche manœuvrant le réglage, une autre scène d’horreur, pression sur le bouton, pression sur le bouton, pression sur le bouton …

« Assez, Haurk ! M’entendez-vous ? Assez ! Ils se rendent. »

Je me secouai, sortant de transe. Sur le plan, devant moi, une cinquantaine de boutons rouges avaient été enfoncés. Je devais avoir tué plus de cinq cent mille êtres humains !

La révolte fut écrasée sans pitié. Le gouvernement trill, agissant enfin, décréta la mise hors la loi des économistes aussi bien que des destinistes. Les chefs, arrêtés, eurent à choisir entre l’exécution ou le modelage psychique, qui détruisait la personnalité et en créait une autre, généralement médiocre. Tous les destinistes choisirent la mort, et beaucoup d’économistes en firent autant. J’aurais fait de même à leur place.

Si à Huri-Holdé la révolte avait été rapidement étouffée, il n’en fut pas de même partout. À Horiarto, les destinistes se rendirent maîtres de la ville, massacrèrent tous les tekns, une bonne partie des trills, et il fallut un siège de près de quinze jours pour en venir à bout. Nous essayâmes jusqu’au dernier moment de sauver les otages. Finalement, comme les insurgés lançaient des fusées explosives contre un des géocosmos nordiques, situé à moins de trois cents kilomètres, nous fûmes obligés de détruire la ville. De toute une cité de onze millions d’hommes, neuf seulement survécurent. Puis le calme revint sur Terre, et les destinistes, traqués sans merci, semblèrent avoir disparu.

Tirai ne reparut jamais. Nous supposâmes qu’il avait été tué dès le début.

CHAPITRE III

LE DÉPART

Après la révolte destiniste qui eut lieu à la fin de 4604, la vie fut, pour plusieurs années, une affaire de dur travail et de routine, coupée de moments de détente. Un par un, les grands travaux s’achevèrent. Petit à petit, la population fut repliée vers la ville souterraine étanche, vivant le jour à la surface, la nuit sous terre. Les géocosmos étaient maintenant terminés, et c’était un spectacle impressionnant que de voir celui du pôle Sud, gigantesque coupole de 12 kilomètres de diamètre, tournant lentement, à contresens, de la rotation de la Terre. Le délicat problème de leur mise au point se posa alors : comment sortir deux planètes de leurs orbites sans entraîner des secousses telluriques qui auraient, indépendamment des victimes, ruiné tous les travaux ?

Nous y arrivâmes, non sans mal, et le grand jour vint. Dans la salle de contrôle, sept cents mètres sous la surface, se tenait le conseil au complet, autour de moi ; un peu en arrière, les membres du gouvernement trill, puis quelques délégations de tekns et de trills. Devant nous, le tableau de commande, et les grands écrans intégrateurs, où s’inscriraient, en graphiques révélateurs, toutes les tensions de la croûte terrestre.