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— Oui, et alors ?

— Eh bien, elle est fausse, mon ami. À la dix-septième décimale. Je viens juste de la recalculer !

— Et nul ne s’en est jamais aperçu, depuis presque un millénaire ?

— Comment s’en serait-on aperçu ? On ne l’utilise jamais que jusqu’à la douzième décimale au maximum ! Seulement, dans notre cas, l’erreur est cumulative ! Résultat, six mois de moins ! »

Je me sentis subitement accablé.

« Alors, tout notre travail ? Vain ? Les destinistes auraient-ils eu raison ?

— Non, je crois que nous nous en sortirons. Ce sera plus difficile pour Vénus, en retard sur nous. Peut-être, en accélérant les géocosmos tout de suite. Je vais faire les calculs.

— Et Mars ? » Dis-je en pâlissant.

Sur Mars, les équipes d’archéologues qui devaient nous rejoindre sous peu n’étaient certainement pas encore parties.

« En quatorze jours, en forçant l’allure, ils doivent pouvoir échapper et nous rejoindre à temps. Avertis-les tout de suite, par ondes de Hek. »

Mis au courant, le conseil prit immédiatement toutes les mesures nécessaires. Les géocosmos furent poussés, l’équipe de Mars rappelée. N’ayant rien d’autre à faire, nous attendîmes. Au bout de quelques heures, Kelbic nous rejoignait avec toute une série de nouveaux calculs plus précis. Le délai réel n’était que de douze jours !

Sur les quatre expéditions archéologiques, trois firent savoir qu’elles décollaient immédiatement. La quatrième me demanda un jour de plus, et, après les avoir bien avertis du danger qu’ils couraient, je le leur accordai. Ils venaient en effet de découvrir l’entrée d’une cité souterraine et, la rage au cœur, allaient essayer, en un temps bien trop bref, de l’explorer et de sauver ce qui pouvait être sauvé. Je parlai avec son chef au téléphone hekien. C’était un vieil homme aux longs cheveux gris, plus de deux fois centenaire, du nom de Klobor.

« Quelle malchance, Haurk ! La première cité qui soit découverte à peu près intacte ! Et nous n’avons que 24 heures pour l’explorer !

— 24 heures … et à vos risques et périls, répondis-je. Enfin, du moment que votre équipe est d’accord. Mais rappelez-vous : 24 heures, pas plus, si vous tenez à la vie. »

Je ne sais pourquoi, cette trouvaille m’intéressait vivement, et j’avais le pressentiment qu’elle serait d’une importance capitale pour l’avenir de l’humanité. Je restai en contact avec Mars toute la journée. Pour la première fois, me signala Klobor vers 5 heures de l’après-midi, on allait avoir une idée de l’aspect physique des Martiens. Plusieurs statues avaient été découvertes, photographiées en place, puis emballées et placées dans le grand cosmo de l’expédition. Puis à 7 heures vint le coup de tonnerre : Klobor apparut sur l’écran, surexcité.

« Haurk, Haurk, la plus remarquable découverte de tous les temps ! Les Martiens ont visité d’autres systèmes solaires !

— Comment le savez-vous ?

— Des photos, que nous venons de trouver, merveilleusement conservées. Tenez, les voilà ! »

Il fit défiler devant l’écran de grandes photos en couleur, luisantes encore du consolidateur dont on les avait imprégnées. Il y en avait une cinquantaine, représentant des planètes vues de l’espace, et pour la plupart il était évident que jamais les planètes de notre système solaire n’avaient présenté cet aspect-là.

« Trop détaillées pour avoir été obtenues avec un hypertélescope quelconque. Il ne peut s’agir que de planètes d’un autre système. Regardez celle-ci. »

C’était un monde vert et bleu, avec deux satellites. Quoique rien ne pût donner l’échelle, elle me sembla à peu près de la même taille que la Terre.

« Regardez maintenant celle-ci ; prise de tout près, côté nocturne. »

La face sombre apparaissait piquetée de lumières.

« Des cités, Haurk, des cités ! Une planète habitée. Peut-être trouverons-nous des photos prises sur la surface de ces mondes ! Il y a quantité de documents que nous embarquons sans les regarder ! ! Pas le temps ! »

L’écran s’obscurcit. Je restai pensif. Ainsi, en dehors de la Terre et du monde inconnu d’où étaient venus les Drums, il existait de la vie intelligente dans la galaxie !

Vers 21 heures, inquiet de ne plus avoir de nouvelles, je fis appeler Klobor. Le pilote du cosmo, posé à la surface de Mars, répondit immédiatement, mais il fallut attendre un bon moment avant que le vieil archéologue parût.

« J’allais venir faire mon rapport, Haurk. Mais il faut que vous m’accordiez encore 24 heures. La découverte la plus importante …

— Pourquoi pas huit jours ou un mois ? Il vous reste exactement quinze heures. Pas une minute de plus.

— Mais, comprenez-moi, c’est de la plus haute importance …

— Je comprends, Klobor ; je comprends. Mais, le Soleil, lui, ne comprendra pas !

— Le pilote m’a dit qu’en forçant les cosmos, on pourrait rester une dizaine d’heures de plus …

— Il n’en est pas question ! Vous partez à l’heure indiquée. C’est un ordre !

— Mais c’est d’une importance capitale ! Nous avons trouvé un astronef des Martiens ! Presque intact !

— Quoi ? Un astronef martien ?

— Oui, un de ceux qui sont allés aux étoiles ! On est en train d’en relever le plan, de photographier l’intérieur, de démonter les moteurs, mais cela nous prendra plus de quinze heures ! Si seulement il y avait des physiciens avec nous ! Nous saurions ainsi ce qu’il faut chercher. »

Je pesai rapidement la possibilité de découverte de principes scientifiques nouveaux, contre la certitude qu’après quinze heures il serait trop tard pour sauver les deux cents membres de l’expédition.

« Je regrette, Klobor. Mais dans quinze heures. Non, dans quatorze heures et cinquante minutes, vous partez !

— Mais c’est la possibilité des voyages interstellaires que vous repoussez ainsi, Haurk ! Je vous en supplie ! La plus grande découverte de tous les temps !

— Je sais. Mais je ne puis risquer la vie de deux cents hommes sur une simple probabilité. Sauvez ce que vous pourrez, essayez surtout de démonter les moteurs, et d’en prendre photos et plans. Pouvez-vous emporter un téléviseur dans cet appareil ?

— Oui, c’est possible.

— Alors faites-le, et je vais rassembler une équipe de spécialistes pour vous donner des conseils. Mais rappelez-vous : à l’heure dite, départ. Avez-vous trouvé d’autres documents sur les Martiens eux-mêmes ? Comment étaient-ils ?

— Pas très différents de nous, d’après les statues et les photos. Mais je retourne au travail, le délai est si court ! Vous m’accorderez bien une heure de plus ?

— Pas une minute ! »

L’écran se voila. J’activai un communicateur interne, appelai la salle de contrôle. Sni, mon ancien assistant, était de garde.

« Alors, quelle est la situation ?

— Les cosmos donnent à plein rendement normal, Haurk. Nous gagnons de la vitesse.

— Et Vénus ?

— Elle nous rattrape peu à peu. »

La masse de Vénus étant plus faible, sa course y gagnait en accélération, sinon en vitesse maximale.

J’appelai ensuite Rhénia, au poste géophysique. Elle ne me répondit pas tout de suite, absorbée dans ses appareils.

« Eh bien, Rhénia ? Dis-je.

— Tension dans la croûte profonde, vers 45 kilomètres sous le Pacifique. Probabilité de séisme grave si nous continuons, avec hypocentre sous les îles Kiln. Je recommande l’évacuation immédiate de Kilnor, et, sur la côte continentale, d’Aslor et Kelnis. »

Je fis un rapide calcul mental : Kilnor, trois millions d’habitants. Aslor, vingt-sept millions. Kelnis, treize. Soit quarante-trois millions de personnes à déplacer d’urgence et à reloger, tout au moins provisoirement. Le cas avait été prévu, et toutes les villes souterraines étaient plus spacieuses qu’il n’eût été strictement nécessaire.