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Je n’étais pas indispensable, soit. Kelbic pourrait me remplacer, et, dans un sens, il me remplacerait avantageusement. D’un autre côté, si je disparaissais en pleine crise, il pourrait y avoir, malgré la continuité assurée par le conseil, un moment de flottement préjudiciable à la planète. J’aurais donc mieux fait de rester dans la chambre de contrôle, laissant à d’autres le soin de briser la rébellion. À d’autres … Peut-être était-ce là la raison ? Une certaine répugnance, une certaine honte à envoyer d’autres se faire tuer pendant que je ne risquais rien ? Mais en pensant cela, n’assumai-je pas le rôle, rien que le rôle, du chef humain qui ne demande à ses subordonnés que ce qu’il est prêt à affronter lui-même ? Était-ce là vraiment la cause de mon attitude ? Je me pris à en douter. Et, tandis que nous attendions, dans cette pièce dénudée, meublée seulement d’un écran, essayant de m’analyser, pour la première fois depuis mon adolescence, je compris soudain pourquoi j’étais là : j’étais là parce que j’aimais la bataille !

Je n’acceptai cette idée qu’avec répugnance. Toute mon éducation me la présentait comme un atavisme douteux presque bestial. Nous honorions le courage à Huri-Holdé, mais rarement sous cette forme : courage du savant qui risquait une expérience dangereuse, courage de l’ingénieur, du technicien, du pilote de cosmo, oui. Mais pas le courage du guerrier, si rarement nécessaire. Et l’idée qu’on pouvait se réjouir de participer à une bataille nous était étrangère … l’idée du danger couru pour le danger lui-même, pour l’excitation qu’il donnait … Et pourtant ? Kelbic aimait voler en planeur dans les orages …

Un attouchement sur mon épaule interrompit le cours de mes pensées.

« Ce doit être l’heure », dit un des policiers.

Nous attendîmes les explosions. Une minute, cinq minutes, une demi-heure, une heure … Rien ne se produisait. J’appelai Hélin. Tout était normal, la police veillait, mais les destinistes ne s’étaient pas encore manifestés. Étais-je sûr de l’heure donnée par Karnol ? Bientôt la radiation solaire atteindrait la Terre, et il nous faudrait redescendre dans la ville inférieure. Quelques minutes supplémentaires coulèrent …

Brusquement, derrière un bloc de maisons, à notre droite, jaillit une colonne de vapeur éclairée de rouge. La vibration nous parvint presque tout de suite. Puis une série de secousses ébranlèrent la maison. Une après l’autre, les portes externes sautaient !

J’appelai Hélin, qui répondit immédiatement. Les destinistes s’étaient rués en grand nombre, avaient submergé les veilleurs aux portes externes, les avaient fait sauter. Et maintenant, en progressant vers les portes médianes, ils se heurtaient aux hommes de Karnol.

« Pourquoi n’ont-ils pas simultanément attaqué les portes médianes ? Dis-je. Je m’y attendais plutôt …

— Si j’avais cru qu’ils le puissent, je n’aurais pas adopté votre plan, Haurk. Non, elles sont trop bien gardées, de l’intérieur. Mais si ce n’étaient les partisans de Karnol, ils n’auraient probablement pas eu de peine à les faire sauter, de l’extérieur. Bien entendu, dans ce cas, nous serions intervenus.

— Et vos hommes ?

— Ils attendent. Laissons nos ennemis se détruire entre eux. Vous voulez voir la bataille ? »

Sur mon écran apparut le sas n° 3, avec sa porte externe déchiquetée par où pénétrait le froid glacial de l’espace. À l’autre bout, un groupe d’hommes vêtus du scaphandre gris des tekns se défendait contre une troupe d’assaillants portant le scaphandre bleu des trills, avec une bande noire ajoutée. L’espace était traversé de l’éclair des fulgurateurs, et, du côté des destinistes, un léger brouillard, produit par la fumée des armes à feu, était aspiré à toute vitesse vers le vide extérieur. Les pertes étaient lourdes des deux côtés.

« Je comprends maintenant pourquoi il y avait des tekns avec les destinistes, dis-je. Ils ont toujours eu l’intention de les utiliser comme des pions. Mais il faudra réviser l’examen psychologique, Hélin. Il semble que pas mal d’ambitieux aient passé au travers ! »

Aussi étrange que cela paraisse, au moment où la vie de la cité était en jeu, cette pensée me rassura. Je préférais des tekns criminels à des tekns irrationnels.

« Des circonstances exceptionnelles, comme celles que nous vivons, peuvent changer un homme, Haurk.

— Où sont vos forces ?

— Derrière la porte latérale. Ils ne vont pas tarder à entrer en jeu, car je crois qu’il en sera besoin. Karnol a sous-estimé ses alliés ! »

Le groupe des tekns défendant la porte s’était en effet considérablement amenuisé, malgré leurs armes supérieures. Et, au fond, l’étaient-elles tellement ? Le rayon d’un petit fulgurateur léger est en grande partie arrêté par un spatiandre isolant, tandis qu’une balle pénètre. Une chose dont il faudrait se souvenir !

La porte B s’ouvrit. Avec une lenteur qui m’exaspéra, mais qui n’était que méthode, les policiers mirent en batterie un fulgurateur à grande puissance. Le rayon bleu faucha de droite à gauche. Il était temps. Un destiniste entrait par la porte latérale A, avec un paquet d’explosifs. Il disparut dans une flamme pourpre.

« Question réglée ici, dit Hélin. Aux autres portes, la bataille tourne favorablement pour nous aussi. Excusez-moi, je dois vous quitter, car nous sommes attaqués à notre tour. »

L’écran redevint blanc. Un de mes policiers m’appela :

« Maître, des hommes sortent par le puits … »

Je me penchai par la fenêtre ouverte. Sous la faible lueur des étoiles, des silhouettes glissaient. Subitement, elles se découpèrent dans l’aveuglante lumière d’un projecteur. Il y en avait au moins cinquante, qui s’égaillèrent, se dissimulèrent tant bien que mal derrière les replis de glace, tombant, se relevant, bondissant vers le garage. Mes hommes ouvrirent le feu et quelques silhouettes s’immobilisèrent pour toujours. Je fus violemment attiré en arrière par le lieutenant au moment où une décharge de fulgurateur fondait l’encadrement de la fenêtre.

« Éteignez le projecteur ! Balayez la place ! » Des nuages de vapeur s’élevèrent de la glace vaporisée quand les deux gros fulgurateurs entrèrent en action. La scène devint imprécise, mais curieusement illuminée. J’avais pourtant ordonné d’éteindre. Mais … cette lumière !

« Le Soleil ! La lumière nous a rejoints ! » Là-haut, dans le ciel, le Soleil avait cessé d’être une simple étoile brillante. À sa place flamboyait un astre d’un éclat insoutenable, qui grossissait de seconde en seconde. Et, si notre feu barrait à l’ennemi la route des hangars ou du puits, le sien nous coupait de la même manière toute possibilité de retraite ! Dans le jeu de notre futile lutte humaine, nous avions tout simplement oublié le cataclysme.

La glace étincelait sous les rayons de la nova ! Je fis un rapide calcul mental : pas de danger avant quelques heures. Nous avions de l’air pour trois jours, et de la nourriture condensée pour autant, mais rapidement la température deviendrait insoutenable. Déjà un mince vernis brillant couvrait la surface, et, dans les dépressions, s’accumulaient des mares d’air liquide.

Dans l’écouteur de mon casque, une voix s’éleva :

« Qui commande chez vous ? »

Poser la question démontrait que l’ennemi ignorait ma présence.