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« Ici, capitaine Rexor, répondis-je, usurpant l’identité d’un officier que je connaissais.

— C’est moi, Karnol, tekn de première classe qui parle. Êtes-vous aux ordres du conseil ?

— Oui.

— Alors tout ceci est un malentendu. Nous venons d’écraser une insurrection destiniste, qui voulait faire sauter les portes. Pourquoi avez-vous tiré sur nous ? »

Temporisant, je répondis :

« En vous voyant fuir les hangars, nous vous avions pris pour des destinistes.

— Bon. Oublions cela. Si vous êtes bien aux ordres du conseil, jetez vos armes, et nous rentrerons ensemble.

— Pourquoi jeter nos armes ?

— Vous pouvez être des destinistes. Je ne le crois pas, mais je ne veux pas courir de risques inutiles.

— Nous sommes une force de la police régulière. C’est à vous de jeter vos armes !

— Comment pouvez-vous le prouver ?

— Deux de nos hommes vont sortir, et vous montreront leurs insignes.

— Accepté. »

Je fis signe à deux hommes qui se glissèrent par la fenêtre et coururent vers les insurgés. Au bout de quelques instants, Karnol dit :

« C’est bien. Nous avons vu les insignes » Nous allons jeter nos armes. »

Les insignes ne pouvaient être portés que par les hommes pour qui ils avaient été spécialement fabriqués et auraient été mortels pour tout autre. Le secret de leur fabrication n’était connu que du conseil. Par ailleurs, Karnol, son coup manqué, et probablement au courant de son échec total, prenait la seule voie possible : jouer le rôle du héros qui a brisé l’assaut des portes, comptant que nul n’était au courant de sa trahison.

Lentement, mes deux hommes revenaient. Là-bas, les insurgés se dressaient un à un, débouclant leurs ceintures d’armes. À ce moment retentit dans les écouteurs la voix d’Hélin en clair.

« Haurk, rentrez immédiatement. L’insurrection est écrasée. Nous n’avons pas encore Karnol, mais cela ne tardera pas. »

Un cri de rage retentit.

« Ainsi c’est vous, Haurk ! Et vous savez ! Eh bien, si nous sommes perdus, vous y resterez vous aussi ! Feu ! »

Une pluie de flamme s’abattit sur la maison carbonisant un des policiers à la fenêtre. Frappés par-derrière, nos deux hommes qui retournaient vers nous s’effondrèrent.

Le diable emporte Hélin, comme vous dites ! S’il avait attendu seulement quelques minutes de plus pour faire sa malheureuse communication, tout était fini, presque sans combat. Maintenant … La retraite nous était coupée, et d’ici peu, il deviendrait impossible de regagner la cité, les puits d’accès aussi bien que les antichambres seraient remplies d’eau, après l’avoir été d’air liquide. Non point que l’eau, ni même l’air liquide nous eussent gêné outre mesure dans nos spatiandres, mais les portes internes étaient réglées pour ne s’ouvrir que sur le vide ou sur une pression normale. À moins d’un secours immédiat, nous étions perdus. Je m’approchai du communicateur de la maison ; résolu à exiger ce secours, quand une violenté déflagration me jeta à terre. Un de nos fulgurateurs lourds, atteint en plein par l’ennemi, venait de sauter. Je me relevai étourdi, chancelai, et m’effondrai sur le communicateur, que j’achevais de pulvériser. Nous étions coupés du conseil ! Si en effet Hélin se faisait entendre de tous en utilisant la grande antenne d’Huri-Holdé, toujours débout, nos petits communicateurs individuels ne pouvaient percer le blindage de métal de la ville !

De grave, la situation était devenue désespérée. Hélin, convaincu que nous rentrions, ignorant le combat qui se déroulait, la zone où nous nous trouvions étant en effet en dehors du champ de vision des grands périscopes, interpréterait l’arrêt des communications comme le signe que nous avions quitté la maison. Il n’enverrait pas de secours, et quand, le temps passant, il commencerait à s’inquiéter, il serait trop tard. La tache aveuglante grossissait très vite maintenant dans le ciel. Une brume montait, d’air solide s’évaporant, qu’illuminaient les faisceaux bleu violet des fulgurateurs. Elle tournoyait en colonnes, brouillant la vision. Déformées, les silhouettes bondirent, impossible à localiser, tantôt proches, tantôt lointaines. Et ; subitement, ce fut le corps à corps. Dans la chambre envahie, une mêlée de corps vêtus de spatiandres, féroce, confuse — nul à première vue ne distinguait l’ennemi de l’ami —, et brève. Je me retrouvai le fulgurateur à la main, debout, avec quatre survivants. Amis ou ennemis ? Les armes s’abaissèrent, je reconnus l’insigne visible au front, sous la vitre du casque. Dehors, dans la rue transformée en torrent, des rivières d’air liquide charriaient des paquets de neige. Un semblant d’atmosphère voilait les étoiles. Puis le vent se leva, d’une violenc effrayante malgré la ténuité de l’air, qui, à peine retourné à l’état de gaz, se ruait vers l’hémisphère obscur. Un de mes hommes me toucha le bras.

« Maître, si nous arrivions à gagner le hangar des cosmos … »

Je compris immédiatement. Notre dernière chance était, avec un cosmo, de contourner la Terre et de descendre dans une des cités du côté obscur, là où les portes fonctionnaient encore. Mais le hangar était à plus de cinquante mètres, et la rue était noyée sous au moins deux mètres d’un mélange innommable et bouillonnant d’un liquide, de glace, d’eau, entraîné par un violent courant. Cependant le flot n’était pas régulier ; par moments il baissait considérablement : un bouchon de glace, et de neige barrait la rue en amont. Puis le barrage cédait, et le flot déferlait avec une violence irrésistible.

Kur, un des survivants, arrachait méthodiquement les fils de l’installation électrique. Ces fils, n’offraient en eux-mêmes qu’une solidité médiocre, mais l’isolant qui les entourait était extrêmement résistant à la traction, même à la température de l’air liquide.

« Soit, dis-je. Mais c’est moi qui dois risquer le coup. Je suis le plus grand, de loin, et le plus lourd. »

J’arrêtai d’un geste leurs protestations, attachai solidement le fil autour de ma taille. Penché à la fenêtre du rez-de-chaussée, j’attendis. Le flot coulait au ras de l’entablement. J’y plongeai la main. Malgré le peu de densité du fluide, formé encore en majeure partie d’air liquide, le courant était très fort. Un peu d’eau s’y mêlait maintenant, gelant dès qu’elle touchait le courant, coulant au fond.

Isolé par mon spatiandre, je ne sentais ni la chaleur de la grande étoile, ni le froid du torrent. Mais d’ici quelques heures, il ne serait pas possible de vivre à la surface. Le flot baissa, et je sautai dans la rue.

Immédiatement, je m’étalai de tout mon long. L’eau regelée formait, au fond, une couche épaisse, faite de morceaux de glace irréguliers, libres, surgelés, et j’eus l’impression de marcher sur un lit de billes. Je me cramponnai au câble, me redressai. L’aventure semblait sans espoir. Il était impossible de se tenir debout sur cette couche presque sans friction. Je m’appuyai au mur, prêt à remonter si le flot revenait. Mais cette fois le barrage devait être solide, car le liquide s’écoula en entier, et il n’y eut plus, au-dessus de la glace, qu’une mince couche d’air liquide, vite évaporée.

Je jetai un regard vers l’amont. Le barrage s’élevait à peu de distance, amoncellement de blocs hérissé de pointes. Je décidai de tenter ma chance, et, à quatre pattes, mes bras s’enfonçant presque à chaque instant entre les glaçons entassés, je progressai, très lentement. De temps en temps, un coup d’œil furtif et anxieux vers le barrage. La lumière du soleil se reflétait et se rétractait dans la glace, aveuglante. Puis cette glace commença elle-même à fondre, et je pus me redresser, m’appuyant aux murs.

Je parvins au carrefour, où le vent me saisit. J’essayai de m’assurer sur le câble que mes hommes maintenant raidi, pivotai, m’affalai. Le vent me poussait dans la direction où je voulais aller, et j’ordonnai à Kur de donner du mou. Poussé ainsi, je parvins à quelques mètres du hangar. Et alors le barrage céda.