La vague s’avança vers moi, lisse d’abord, puis écumeuse, bouillonnante quand elle sortit de l’ombre, l’air s’évaporant sous les rayons brûlants de la nova. Elle me recouvrit, et, à ma grande surprise, ne me roula pas : sa densité était trop faible. Je pus me mettre une fois de plus à quatre pattes et atteindre la porte du garage. Me dressant, j’appuyai sur le levier d’ouverture, la porte glissa, et quelques instants après j’étais à bord d’un cosmo.
Je pris les commandes, rien ne se produisit. Une brève inspection des cadrans m’apprit la triste vérité : le dernier imbécile qui s’en était servi avait laissé le contact, et tous les accumulateurs actionnant les relais étaient déchargés. J’en cherchai d’autres dans le cosmo voisin, que sa position ne permettait pas de sortir. Enfin je pus secourir mes hommes, mais le temps avait passé.
Dans le ciel, l’astre écartelé qui avait été notre Soleil plongeait vers l’ouest. La rotation de la Terre allait amener l’autre côté à son tour sous les rayons brûlants, et les mêmes problèmes se poseraient. Il fallait se hâter. Je choisis Kilgur comme destination, et à 3 000 kilomètre-heure le cosmo fonça. Nous volions bas et, malgré la puissance de notre engin et le peu de prise que ses formes donnaient au vent, le pilotage ne fut pas une plaisanterie. Dans la zone crépusculaire, qui se déplaçait à mesure que la Terre tournait, les différences de température, formidables et rapides, créaient un perpétuel cyclone. L’air s’évaporait, se précipitait vers la zone obscure, retombait en pluie, s’amoncelait en montagnes. Pour franchir cette zone, nous montâmes. Loin au-dessus de nous, des trombes fantastiques ravageaient la surface. Enfin, nous laissâmes derrière nous ce paysage de cauchemar, nous aperçûmes les superstructures de Kilgur. Lançant un appel par radio, j’atterris près d’une des portes. Le cosmo rentré dans un hangar, nous nous enfonçâmes dans les profondeurs du sol.
Quoique épuisé, je me fis mettre au courant de la situation. La révolte destiniste avait été écrasée une fois de plus, la majorité des tekns complices de Karnol capturés. Je pris immédiatement le tube interurbain, et, à 800 kilomètre-heure fonçai sur Huri-Holdé.
La bataille avait été rude aux environs de l’immeuble du conseil, et des équipes de trills travaillaient encore au déblaiement des ruines et à l’enlèvement des cadavres. Les destinistes avaient lutté avec l’énergie du désespoir, et maints corps à demi carbonisés tenaient encore en leur main le grossier pistolet qui avait été leur arme principale.
CHAPITRE III
LE POUVOIR
Le conseil me reçut immédiatement. La situation politique n’était plus dangereuse. La situation cosmique, elle, pouvait devenir rapidement dramatique. Kelbic me fournit les données.
La Terre et Vénus s’éloignaient maintenant à une vitesse supérieure à celle que possédaient les gaz incandescents du Soleil. De toute façon, nous étions très au-delà de la zone qu’ils atteindraient dans un avenir proche. Mais les calculs montraient qu’à moins d’une accélération nouvelle, immédiate, la température du sol terrestre et vénusien serait portée assez vite par la radiation au-delà du point de cuisson des argiles. Cela signifierait l’impossibilité future de cultiver le sol de nos planètes pendant un temps considérable. D’un autre côté, et Rhénia me le confirma, les géologues et géophysiciens estimaient impossible d’accroître les tensions que subissait la croûte terrestre sous l’effet des géocosmos sans déclencher des séismes catastrophiques. Nous n’avions plus que quelques heures pour prendre une décision. Entre-temps, on accrut très légèrement la poussée des cosmos.
Ce fut, au conseil, une discussion angoissée. D’un côté, un risque immédiat et terrible, la dislocation de la croûte terrestre. De l’autre, un danger plus lointain, mais non moins terrible, la stérilisation des planètes. Nos réserves de vivres, les produits de synthèse, les fermes hydroponiques permettraient de nourrir la population actuelle pendant 15 ans. Après cela ou bien une diminution dramatique de cette population, ou bien la conquête et l’exploitation de planètes étrangères, si nous en avions trouvées de convenables dans ce délai. Peut-être, avec de la chance, l’invention d’un procédé accélérant la formation du sol arable.
Kelbic, Rhénia, Hani, moi-même votâmes pour ce second risque, ainsi qu’un bon nombre des maîtres. Mais la majorité fut contre nous, et la nouvelle accélération fut décidée. Nous gagnâmes la salle de contrôle. J’eus un bref entretien avec Rhénia avant qu’elle ne s’enfermât dans son poste de la géophysique. Elle m’avertirait dès que la croûte atteindrait sa limite de résistance. Je couperais alors l’accélération, et au diable les conséquences. Kelbic, bien entendu, fut du complot.
Je m’assis donc au poste de commande, remplaçant Sni. Sur les écrans la Nova Solis emplissait une bonne part du ciel, presque impossible à regarder, malgré les filtres. Les gaz projetés avaient dépassé l’orbite de Jupiter, et l’énorme planète était invisible, noyée dans l’irradiation, ou déjà volatilisée. Par curiosité, je me fis retransmettre, depuis l’observatoire, l’image de Saturne. Elle se trouvait presque sur la limite, voilée déjà par une bande de gaz lumineux. Comme je m’y attendais, la planète avait perdu ses anneaux de glace.
Il ne m’était plus possible de tergiverser, et j’appliquai prudemment une accélération supplémentaire. Sur l’écran de l’intégrateur, la ligne des tensions dessina un léger crochet. J’appelai Rhénia.
« Quels effets ?
— Presque nuls pour le moment. Continue, puisqu’il le faut. Mais très lentement. Plus lentement tu iras, plus la ligne de rupture a de chances de se situer haut. Mais nous l’atteindrons bientôt, de toute manière. »
Je me retournai. Dans l’amphithéâtre, les maîtres s’étaient assis, regardant. Par hasard ou par calcul, ceux qui s’étaient opposés à l’augmentation de l’accélération se tenaient d’un côté, géologues et physiciens, pour la plupart. De l’autre, la majorité, chimistes, botanistes, agronomes, qui ne croyaient pas à la possibilité de reconstituer un sol arable. Kelbic se pencha sur moi, s’appuyant sur mon épaule. Un peu agacé, je me disposais à le rabrouer quand je sentis qu’il glissait quelque chose par le col ouvert de ma blouse.
« Tout ira bien, dit-il à haute voix, si nous savons utiliser correctement les forces dont nous disposons. »
Passant la main dans ma blouse, je sentis la crosse d’un fulgurateur.
« Oui, répondis-je, jouant à mon tour sur les mots. Mais le moment venu, il ne faudra pas hésiter. »
Et je continuai à appliquer l’accélération, l’œil fixé sur la ligne de l’intégrateur. Les tensions internes se construisaient maintenant très vite, et l’aiguille avait à peine le temps de tracer quelques millimètres de ligne ondulée, entre les crochets. Au bout de deux heures, Rhénia appela :
« Haurk, fais évacuer Hilur. Le prédicteur de séismes en annonce un, degré 9, pour dans 5 heures au rythme actuel. »
Degré 9 ! Cela signifiait que la ville était perdue !
Je donnai les ordres, me levai, m’adressai au conseil.
« Maîtres, je pense que nous devons cesser toute nouvelle accélération. »
Gdan, le maître des Plantes, se dressa.
« Quelle sera la situation, étant donné la vitesse d’éloignement actuelle ? »
Hani consulta quelques cadrans, fit un rapide calcul.