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Notre but, Etanor, l’étoile la plus proche au moment de notre départ, se trouvait à cinq années-lumière. Ce n’était pas celles que vous nommez Alpha Centauri, ni Proxima, mais une étoile de type G, à mouvement rapide, que vous devez déjà connaître aujourd’hui comme une de vos voisines, mais que je ne pourrais vous indiquer sans calculs qui n’ont au fond aucun intérêt. Nos hypertélescopes y avaient décelé l’existence d’au moins sept planètes.

Un soir est resté particulièrement présent à ma mémoire. J’étais avec Kelbic et Rhénia, à l’observatoire central. Rhénia était lasse, notre fils allait naître bientôt. Nous étions assis dans de confortables fauteuils, regardant l’écran panoramique. Sur un côté de la salle luisait la nébuleuse qui avait été le Soleil, mais que nous appelions déjà d’un nom technique, « Sol », diriez-vous, par exemple. De l’autre côté, dans une constellation en forme d’étoile à cinq branches, luisait un point plus lumineux que les autres : Etanor. Nous parlions de la fameuse « barrière » qui avait arrêté autrefois nos cosmos, et à laquelle nous allions nous heurter.

« J’ai refait les calculs une fois de plus, Haurk. Tout va bien. Tu comprends, depuis le coup de la constante de Koob, je me méfie.

— Alors, nous passerons ?

— Sans aucun doute, et sans nous en apercevoir, très probablement. Mais il faudra veiller à ce qu’aucun cosmo ne soit dans l’espace à ce moment. Tout ira bien, si les chiffres laissés par les ancêtres sont exacts.

— Ils le sont, je pense. D’ailleurs, j’ai l’intention d’envoyer un cosmo en avant-garde …

— À la vitesse à laquelle nous nous déplaçons maintenant, et comme les vieilles équations relativistes tiennent encore[2], l’avantage sera maigre ! Un cosmo ne gagnera guère sur nous que quelques jours.

— Oui, c’est sans doute inutile. Et comment vont les études sur l’astronef martien ?

— Mal, comme tu sais. Ou peut-être comme tu ne le sais pas. Tes fonctions de maître suprême ne te laissent plus de temps pour la recherche ! »

J’étais maître suprême en effet, depuis plusieurs années. Sur moi reposait toute la responsabilité de considérer les deux planètes dans un état habitable. L’astronef martien … Il valait mieux que Klobor fût mort sur Mars. Il eût été trop déçu. Peut-être avait-il oublié un détail qui, pour son esprit d’archéologue, n’avait pas d’importance ? Nous n’arrivions pas à reconstruire le moteur, malgré l’optimisme du début. Il s’agissait là d’un modèle hyperspatial peu différent de celui que nos ancêtres avaient utilisé pour leurs essais infructueux. Il y avait aussi dans l’engin martien un cosmomagnétique normal. Et pourtant, les documents trouvés dans la ville morte étaient formels : les martiens, race humanoïde d’aspect, étaient allés jusqu’aux étoiles, et en étaient revenus ! Et plusieurs fois. Il y avait bien ce circuit spécial, que nos meilleurs chercheurs, y compris Kelbic, n’arrivaient pas à débrouiller. Il agissait sur le temps plutôt que sur l’espace.

« Mais, Haurk, intervint doucement Rhénia, si les Martiens sont allés autrefois dans d’autres systèmes, peut-être y sont-ils toujours ? Et mes ancêtres, ceux dont les astronefs ne sont pas rentrés ? »

Je souris.

« Je sais, Rhénia. Et c’est pour cette possibilité, entre autres, que j’ai mis plusieurs équipes sur le problème des armes … »

Nous restâmes un moment silencieux. Dans le cadre de l’écran, les étoiles luisaient calmement, semblant nous attendre. Si lointaines … La mélancolie me saisit. Toutes ces années, sans la douce lumière d’un soleil ! L’homme serait-il donc toujours condamné à ne parcourir qu’un tout petit coin de ciel ? Cinq années-lumière ! Et l’univers en mesurait plusieurs milliards !

Kelbic dut suivre le cours de ma pensée.

« Nous finirons bien par retrouver le secret des Martiens ! Peut-être pas de notre vivant, mais qu’importe ! Nous avons transporté notre planète. Ce n’est pas si mal, crois-moi.

— Des armes ? dit Rhénia, comme sortant d’un rêve. Crois-tu vraiment que nous aurons à les employer ?

— Je l’ignore. J’espère que non. Mais si, dans le système solaire où nous allons nous introduire existe une espèce intelligente, et qui possède des astronefs, j’ai peur que sa réaction ne soit pas pacifique. Je souhaiterais que le système d’Etanor fût sans vie !

— Et si c’était là le monde des Drums ? Elle frissonna.

— Nous sommes mieux armés que nos ancêtres. Et nous avons la puissance de deux planètes, dit Kelbic.

— Contre combien ? Dis-je. Mais je ne crois pas que nous ayons à nous inquiéter de cette éventualités. Le rythme de l’arrivée des Drums semble montrer qu’ils venaient de bien plus loin, à une vitesse inférieure à celle de la lumière. Une vague tous les soixante ans !..

— Qui sait quels monstres recèlent ces mondes, reprit Rhénia.

— Bah, nous le verrons bien ! »

Et ainsi nous devisions, faisant des plans, sans nous douter que nous rencontrerions aussi des ennemis humains !

* * *
* * *

Le temps vint où nous franchîmes la « barrière ». J’avais renoncé en envoyer un cosmo en avant-garde. Les rapports des différents équipages qui avaient tenté, il y a longtemps, le grand voyage sans succès étaient concordants, jusqu’aux décimales ! D’abord le ralentissement, puis l’arrêt, l’impossibilité d’aller plus loin, quelle que fût la dépense d’énergie. Des robots radioguidés nous avertirent quand nous nous en approchâmes. Et ce fut l’instant d’anxiété, à cause de la Lune !

Théoriquement, la masse de notre satellite, augmentée légèrement ; par la vitesse, était suffisante pour franchir la barrière. Pratiquement, nous n’en savions rien. Il fallait donc éviter d’entrer dans la « barrière » avec la Lune en avant, car le résultat eût pu être un carambolage cosmique. Ces derniers mois, Kelbic avait travaillé sur une possibilité théorique de franchir la barrière par résonance, mais il avait abouti à des équations dont nous ne comprenions pas le sens physique, et qui ne nous étaient, pour le moment, d’aucun secours. Nous ne savions pas exactement où commençait la zone dangereuse pour les masses planétaires, aussi toutes les équipes d’astronomes surveillaient la Lune, prêtes à noter le moindre changement dans son orbite.

Vint le moment où nos robots s’arrêtèrent, incapables d’aller plus loin. Nous devions nous-mêmes passer la zone de la barrière dans quelques heures, avec la Lune derrière nous. Tout danger était donc écarté de ce côté. Par prudence, les personnes habitant notre satellite furent repliées sur la Terre. Ayant laissé le conseil dans la salle de contrôle, j’étais seul avec Kelbic dans mon laboratoire. Rhénia, restée à la maison avec Arel, notre fils nouveau-né, nous rejoignit quelques instants avant le moment critique.

Ce passage fut finalement la chose la moins impressionnante du monde. Seul le fait que les cosmos, quelques heures plus tard, purent à nouveau s’élancer librement nous indiqua que tout était fini. Il n’y eut aucun changement dans la gravitation, le magnétisme, ou la vitesse de la lumière. Rien. Et la Lune passa avec nous, sans perturbation notable.

J’en fus heureux. Indépendamment du matériel de grande valeur qu’elle renfermait dans ses laboratoires, j’ai toujours aimé les nuits de Lune, et j’aurais été désolé d’abandonner la compagne fidèle de la Terre.

Nous avions donc accompli à peu près la moitié du voyage, en quelque cinq ans. Le problème de la barrière heureusement résolu, plus rien d’intéressant ne nous attendait pour quatre ans encore. Et ce furent les années les plus pénibles. Nous ne sortions guère à la surface, morne désolation de glace, sous le ciel noir piqué d’étoiles. À l’intérieur des cités, la vie était monotone. Le moral restait pourtant assez élevé chez les tekns, poursuivant à nouveau leurs recherches personnelles ; plus bas, chez les trills. Sur les deux groupes pesait le souvenir de la révolte destiniste, et de la terrible répression qui avait été nécessaire. Le manque de soleil, le confinement dans les parcs trop connus étouffaient la joie. Les promenades à la surface étaient pires, et seules quelques équipes de jeunes gens aventureux trouvaient plaisir à escalader les montagnes couvertes d’air gelé.

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2

Nous les connaissions sous le nom d’équations de Bérial. Mais vous les connaissez sous le nom d’Einstein-Lorentz. (Note de Haurk.)