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Très lentement, l’étoile qui était notre but grossissait. Elle possédait maintenant un disque visible dans les télescopes. Les planètes, elles, n’étaient encore décelables qu’à l’hypertélescope, ce qui ne nous apprenait rien de nouveau à leur sujet, car dans les hypertélescopes tout objet céleste, étoile ou planète, apparaît comme un point. Quand nous arrivâmes enfin à une demi-année-lumière d’Etanor, nous commençâmes la décélération. Et quelques mois plus tard, alors, que notre vitesse était déjà très réduite, je pris la tête de l’expédition de reconnaissance.

Nous devions prendre un des grands cosmos de combat qui avaient été construits à toutes fins utiles, en grand nombre. Son nom était Klingan, ce qui en français signifie La Terreur. Comme vous le voyez, nous n’avions pas renoncé à donner à nos machines de guerre des noms ambitieux ! Il mesurait un peu plus de cent mètres de long, pour un diamètre maximum de vingt-cinq mètres, et renfermait tout ce que notre science, habituellement pacifique, avait pu reconstituer d’armes à demi oubliées, plus quelques autres, toutes nouvelles. Je décidai de participer à l’expédition pour être à même de juger si ce système solaire convenait ou non, et si l’on devait, sans décélérer complètement, diriger notre course vers une autre étoile. Évidemment, Kelbic voulut m’accompagner, et bien qu’il eût peut-être été plus sage qu’un de nous restât sur la Terre, j’acceptai. Mon rôle de direction m’avait coupé de mes semblables, sauf en de rares exceptions, et du moment que Rhénia ne pouvait venir, j’étais heureux d’avoir avec moi quelqu’un en qui je pusse me confier.

L’équipage comptait une cinquantaine d’hommes, sous le commandement d’un Vénusien, Tiril ; douze hommes auraient largement suffi pour la manœuvre ; les autres formaient les groupes de combat que j’espérais ne pas avoir à employer.

Nous partîmes un matin — la lumière d’Etanor était déjà assez forte pour donner à nouveau un sens à ce mot — et Rhénia m’accompagna jusqu’au sas d’entrée, puis s’éloigna, petite silhouette engoncée dans son spatiandre, sur la piste couverte d’air gelé. Je m’installais avec Kelbic et Tiril au poste de commandement, et le Klinganfonça vers le ciel, accélérant à plein.

QUATRIÈME PARTIE

L’ODYSSÉE DE LA TERRE

CHAPITRE PREMIER

LA PLACE EST PRISE !

Nous comptions atteindre le système d’Etanor au bout d’une quinzaine de jours. Ce système comportait onze planètes, dont deux au moins, par leur position, s’annonçaient habitables pour nous, à condition que leur atmosphère nous convînt. Nous ne comptions pas les coloniser immédiatement, mais placer la Terre et Vénus dans des orbites bien choisies. Comme nous approchions de la neuvième planète, la plus extérieure du côté où nous arrivions, nos hyperadars à ondes de Hek signalèrent trois objets en mouvement rapide, se dirigeant droit vers nous. Je dormais, et fus réveillé par les sonneries d’alarme. Kelbic ouvrit la porte de ma cabine, me jeta quelques mots et disparut. Je me levai en toute hâte, me précipitai au poste de commandement où je le retrouvai, penché sur l’écran.

« Eh bien, Haurk, s’exclama-t-il, tout se passe comme si la place était prise !

— En effet. Tiril, branle-bas de combat ! »

Nous guettâmes les trois points groupés sur l’écran, tandis que, d’un bout à l’autre du Klingan,les hommes prenaient leur poste pour ce qui serait peut-être le premier combat spatial livré par des Terriens depuis le temps lointain de l’invasion des Drums. Enfin apparurent distinctement trois astronefs plus effilés que le nôtre, se déplaçant à une vitesse considérable, sans tuyères visibles. Les inconnus utilisaient donc le cosmomagnétisme, ou toute autre technique aussi avancée.

Brusquement, du premier engin se détacha un point brillant, un moment immobile à son côté, qui se précipita vers nous à une prodigieuse vitesse.

« Attention, Tiril », commençai-je.

Je m’interrompis. Le point brillant décrivait un demi-cercle parfait et se collait à nouveau au flanc de l’engin. Trois fois la même manœuvre se répéta.

« Je comprends, dit Kelbic. Ils nous avertissent qu’ils possèdent des moyens de combat, mais qu’ils souhaitent ne pas les employer.

— C’est probable. Répondez de la même manière, et ralentissez. »

Des flancs du Klingan jaillirent dix torpilles téléguidées qui filèrent jusqu’au quart de la distance qui nous séparait des inconnus, et revinrent. Petit à petit, nous nous rapprochions, et, laissant ses deux compagnons en arrière, un des engins s’immobilisa à environ trente kilomètres de nous. On le voyait parfaitement maintenant sur les écrans de vision, long fuseau effilé, brillant, sans un hublot ni un rivet apparent.

« Essayons de les contacter par radio », dis-je.

Pendant longtemps nous émîmes sur diverses longueurs d’ondes sans trouver la bonne. Enfin notre récepteur couina, l’écran de télévision s’alluma un instant, et s’éteignit. Mais, pendant un éclair, nous avions entrevu une face humaine. De quelle couleur était-elle, nous n’aurions pu le dire, l’écran ayant été traversé d’irisations.

« Sur quelle longueur étions-nous à la réception ? Trente centimètres. Transmettez sur trente ! »

Notre écran se ralluma, définitivement cette fois. Un homme nous regardait. Non point un humanoïde, quelque chose rappelant vaguement notre espèce, mais un homme absolument semblable à nous. Il avait un visage énergique, hâlé, aux yeux bleus perçants, et une longue chevelure rousse coulait d’un casque d’argent. Il parla. La langue m’était inconnue, mais avait une agaçante familiarité. Kelbic me poussa du coude, et murmura :

« Haurk, mais c’est une langue qui semble dérivée du vieux Klum du début du millénaire !

— Comment, tu parles cette langue morte depuis près de 400 ans ?

— Je l’ai apprise quand j’étais étudiant, pour vérifier la traduction, pas toujours excellente, que le vieux Bérin a faite en 4500 de l’œuvre mathématique du Klum Théranthok. Je puis me tromper, mais j’ai l’impression que cet homme nous a demandé qui nous étions.

— Soit, essaie. »

Cherchant ses mots, Kelbic prononça une courte phrase. Sur l’écran, le visage refléta la surprise, puis la joie. Il répondit tout de suite, brièvement.

« Il dit son soulagement que nous soyons humains. Il avait eu peur que nous fussions des Drums.

— Alors, ils connaissent les Drums ? »

Kelbic me regarda avec pitié.

« Étant donné qu’ils parlent Klum et qu’ils sont humains, il y a toutes chances pour que nous soyons tombés sur les descendants de l’équipage d’un des astronefs hyperspatiaux perdus, ne crois-tu pas ? »

Je me tournai vers le commandant :

« Tiril, vous avez toujours été passionné par l’histoire. Pouvez-vous me dire si un des astronefs perdus était monté par des Klums ? »

Il réfléchit quelques instants.

« Je crois bien. Le troisième ou le cinquième, ou les deux. À partir de la dixième, en 4119, l’universel était déjà parlé, bien que les anciennes langues ne fussent tombées en désuétude complète qu’en 4200 ou 4300 selon les endroits. »