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D’autres paroles, maintenant : pressées, jaillirent de l’écran. Kelbic traduisit en hésitant :.

« Si j’ai bien compris — la langue a évolué — il nous demande de nouveau d’où nous venons. Dois-je lui répondre ?

— Bien sûr ! »

Pendant quelques minutes, Kelbic parla seul. L’homme au casque écoutait. Je vis passer sur son visage l’incrédulité, l’étonnement, l’admiration. Il prononça quelques paroles, puis coupa la communication.

« Il va communiquer avec son gouvernement. Nous ne devons plus avancer jusqu’à ce que les ordres soient arrivés. »

Par ondes de Hek, nous appelâmes nous-mêmes la Terre, ordonnant la poursuite de la décélération, et invitant le conseil à mettre la flotte en état d’alerte. Puis l’attente commença.

Les trois astronefs flottaient toujours dans l’espace, le plus proche à vingt kilomètres de nous maintenant, les deux autres à environ cent kilomètres » Rien ne bougeait. Nous laissâmes nos hommes aux postes de combat, prêts au pire. Trois fois, sans succès, nous essayâmes de rétablir la communication. Le temps coula de plus en plus lentement. Enfin, après plus de douze heures, l’écran se ralluma.

« Y a-t-il à votre bord quelqu’un habilité à parler au nom de votre gouvernement ? demanda l’étranger.

— Oui, moi, dis-je.

— Vous êtes invité à venir à notre bord avec votre compagnon qui parle notre langue. Nous atterrirons sur Tilia, où vous rencontrerez nos chefs. Deux-des nôtres passeront sur votre engin, comme otages. Vous serez de retour dans un délai de douze fois la rotation de la planète Rhétor, qui est là devant vous.

— Soit, dit Kelbic. Mais si nous ne sommes pas revenus passé ce délai, nos amis attaqueront vos planètes avec tous nos moyens. »

L’homme haussa les épaules.

« Nous ne vous craignons pas, et nous désirons la paix … si toutefois c’est possible. Pour que vous n’ayez aucune appréhension, il est préférable que vous veniez à bord d’un de vos petits canots de sauvetage, si toutefois vous en possédez.

— Soit. Avez-vous un sas ?

— Bien entendu. Il sera ouvert. »

Je ramassai rapidement quelques objets personnels dans ma cabine, imité par Kelbic, et, les étrangers n’ayant rien dit au sujet d’armes, j’y joignis un léger fulgurateur. Pendant le court trajet, nous revêtîmes nos spatiandres, et quand notre engin fut collé au flanc de l’astronef, nous sautâmes dans le sas béant, après toutefois, que deux silhouettes vêtues de spatiandres analogues aux nôtres eussent pénétrés, nous saluant de la main, dans l’appareil que nous avions quitté. Silencieusement, la porte du sas se referma. Nous étions prisonniers d’un astronef étranger.

Notre emprisonnement fut court. L’air pénétra en sifflant, et la porte intérieure s’ouvrit. Elle donnait sur une coursive où un homme masqué nous attendait. Il nous aida à quitter nos spatiandres.

« Excusez-moi de ne pas vous présenter mon visage, mais nous ignorons si vous n’êtes pas porteurs de germes contre lesquels nous n’avons plus de résistance. Mettez vous-mêmes ces masques jusqu’à ce que le docteur du bord, déclare tout danger passé. Venez. »

Je faillis demander pourquoi ils n’avaient pas subi une injection du panvaccin, mais me souvins que son invention datait de 4210, donc après le départ de Terre des ancêtres de ces hommes.

Nous entrâmes dans un laboratoire étincelant, mais, quand nous voulûmes avancer, nous nous heurtâmes à une cloison parfaitement invisible, et nous trouvâmes enfermés entre elle et la porte. Je la tâtai : c’était une matière extrêmement transparente, sans reflets, mais non, comme je l’avais craint, un écran de force. Un homme de taille moyenne, âgé, mais vigoureux, vint à nous.

« Je vais être obligé de vous prier de vous faire vous-même une prise de sang, et de me transmettre l’échantillon par le petit guichet à écluse que vous voyez là. Si vous aviez été vraiment d’une autre espèce, ces précautions auraient peut-être été inutiles, mais nous avons encore, probablement, trop de points communs pour que vos maladies soient sans effet sur nous. Voilà, merci. D’ailleurs, je suppose que nos hommes subissent une épreuve du même genre, sur votre vaisseau.

— Certes », répliqua Kelbic qui me glissa, dans notre langue : « bien entendu, c’est inutile, avec le panvaccin, mais on peut compter sur Tebel, le biologiste. Les malheureux seront chanceux s’il ne les dissèque pas ! »

Au bout d’un quart d’heure, le docteur revint, appuya sur un bouton. Avec un faible bruit, la cloison invisible s’enfonça dans le plancher.

« Tout va bien. Vous êtes deux individus particulièrement sains, et les quelques germes banaux que vous portez ne risquent pas de déchaîner une épidémie. Quant aux microbes indigènes de nos planètes, ils ne vous attaqueront pas plus qu’ils ne nous ont attaqués. Au pis, vous risqueriez de perdre vos cheveux. Nous avons d’ailleurs un vaccin, et si vous permettez … »

Je haussai les épaules.

« Je vous remercie, mais c’est inutile. Nous avons un panvaccin qui renforce l’organisme contre toute maladie.

— Dans ce cas … Allons, le commandant nous attend. »

Nous pénétrâmes dans une longue pièce encombrée de cadrans et d’écrans ; certainement, le poste de navigation. L’homme qui nous accueillit était celui avec lequel nous avions télécommuniqué.

Il portait un costume d’une splendeur barbare : casque d’argent, pourpoint écarlate, pantalon collant de même couleur, enfoncé dans de hautes bottes de cuir noir, longue cape noire, ceinture large, brodée, soutenant deux armes, cousines éloignées de nos fulgurateurs. Bref, le parfait « pirate de l’espace » de vos science-fictions actuelles ! Mais le visage était franc, nullement marqué par le mal. Il nous salua en portant sa main droite ouverte à hauteur de l’épaule, le bras plié.

« Kirios Milonas, commandant l’astronef Eria.

— Haurk Akéran, amiral de la cinquième escadre d’éclaireurs, dit astucieusement Kelbic, cachant mon véritable rang. Et moi, Kelbic Boreion, mathématicien.

— Asseyez-vous. Je suppose qu’on boit toujours sur la planète ancestrale, dans les grandes occasions ? Je crois que nous pouvons placer notre rencontre dans cette catégorie, n’est-ce pas ? »

Il jeta un ordre bref. Un homme apporta verres et bouteille.

« J’espère, amiral, dit Kirios avec déférence, que vous trouverez bon notre Mirasu. Nous le tirons d’une plante de la planète Tilia, notre principale habitation. »

La bouteille de verre — nul n’a jamais trouvé mieux pour conserver les liquides précieux — était d’une élégance de forme admirable. Pendant que Kirios nous servait dans de magnifiques verres de cristal, je réfléchissais, frappé par de menues contradictions dans les faits : le vêtement de notre hôte, et la stricte discipline qui régnait de toute évidence dans son astronef indiquaient un militarisme un peu barbare. À notre point de vue, cela cadrait assez mal avec le raffinement des verres et de la bouteille. Dépouilles d’une autre civilisation pillée ? Cela paraissait peu probable.

Je goûtai le liquide. Ce n’était point un vin, au sens terrestre du mot, mais il eût plutôt rappelé les liqueurs douces que les Chinois tirent des abricots, avec plus de tenue et autant de bouquet. C’était indiscutablement très bon.

« Dans combien de temps arriverons-nous à notre destination ?

— Avant … » Il chercha un moyen de nous transmettre une idée de temps qui nous soit compréhensible, et acheva … : « Avant un sommeil et un repas. Mais vous ne serez reçus par nos chefs que plus tard. »