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— Et si nous nous engagions à rester sur la Terre et Vénus ?

— Je ne doute pas que pour quelques années, ou-quelques siècles, vous ne teniez votre promesse. Mais après ? L’homme est l’homme, et nulle limite ne l’a longtemps arrêté. Aussi cruelle qu’elle le semble, ma décision est, je crois, la seule possible, et la meilleure, même pour vous. Nos civilisations ont divergé, et même si la vôtre est plus haute, nous aimons la nôtre, car c’est la nôtre. Rappelez-vous, sur Terre, toutes les guerres, avant l’unification. Voulez-vous recommencer ?

— Non, certes. Mais vous êtes trop pessimiste.

— Non. Je prévois l’avenir. Pour le moment, il n’y aurait guère de problèmes. Pour vous, tout au moins. Vous nous aideriez à vaincre les Triis. Ensuite ; comme nous ne voulons pas — et vous ne le voudriez sans doute pas non plus les exterminer, vous coloniseriez les autres planètes, forts de votre nombre. Et quand à notre tour nous étoufferions sur Tilia, ce qui, avec le système social que la mutation nous a imposé, ne demandera pas beaucoup de siècles, il ne resterait pas de place pour nous.

— Mais ce problème, que vous cherchez à éviter, existe déjà pour vous avec les Triis … »

Il eut un geste las.

« Je le sais bien. Et vous en voyez le résultat : la guerre !

— Alors, nous faudra-t-il errer pendant des siècles dans le grand noir du vide ?

— Vous avez deux solutions : nous exterminer, si vous le pouvez, mais je doute fort que vous le désiriez, à moins que la civilisation terrienne ait changé depuis le départ de nos ancêtres, ou bien aller jusqu’à l’étoile voisine, qui ne se trouve qu’à deux années-lumières.

— Trois ans et demi de voyage, dit doucement Kelbic. Notre peuple est las de sa vie souterraine. Nous ferons notre possible pour lui faire accepter ce délai, mais acceptera-t-il ? Vous prenez le risque immédiat d’être écrasés pour éviter un risque plus lointain. Qui sait, le secret des voyages interstellaires est plus prêt d’être résolu que nous ne le supposons.

— Je ne souhaite pas la guerre, croyez-le bien, dit le maître de Tilia. Mais si nous devons la faire, ne croyez pas triompher facilement. Nous sommes bien moins nombreux que vous, mais nous combattons les Triis depuis près de cinquante ans. Milonas, ici présent, aurait probablement pu détruire votre astronef avant que vous eussiez esquissé un geste de défense. Oh ! Je ne méprise pas votre habileté, amiral. Mais, dites-moi, avez-vous jamais combattu dans l’espace ?

— Non, Kelbic, dis-je. Nous ne ferons pas la guerre aux Tiliens, et tu le sais. Alors, que nous reste-t-il ? Belul ? Avez-vous quelques données sur son système ?

— Oui, si Belul est la même étoile que nous appelons Elssen, notre plus proche voisine. J’ai déjà fait préparer pour vous une copie de tous les documents qui la concernent. Une chose, cependant. Il est certain que ce système est habité, car un de nos cosmos, croisant près de la barrière, perçut un jour des ondes. Et comme le message en était intelligible, il est probable qu’il venait des descendants de l’équipage d’un autre astronef terrien et d’une civilisation hostile. C’était un avertissement brutal de n’avoir pas à franchir la barrière !

« Cependant, si vous vous dirigez vers Elssen, sachez que son système comporte quatorze planètes, dont quelques-unes doivent être habitables. Nous pourrions aussi vous communiquer les plans de nos armes … »

Il sourit.

« Bien entendu, ces plans seraient enfermés dans un coffre impossible à ouvrir sans les détruire avant qu’un temps raisonnable se fût écoulé.

— Vous avez tort de vous méfier, dis-je. Nous sommes prêts à vous donner tous les renseignements utiles sur nos propres armes … sans délai !

— Vous pouvez vous le permettre ! La conquête de Tilia vous coûterait cher, mais vous y parviendriez. Nous ne saurions conquérir la Terre, même à l’aide de vos propres armes. Vous êtes trop puissants, trop nombreux. Je vous remercie cependant de votre confiance, et j’accepte. Et si, plus tard, nous découvrons le moyen d’effectuer des voyages interstellaires, les Terriens seront toujours reçus en amis sur Tilia … s’ils viennent en amis ! Pourrai-je, moi qui vous donne si peu, vous demander encore quelque chose ?

— Demandez.

— La copie de vos livres techniques, et des œuvres littéraires que nos ancêtres ne purent emporter dans leur astronef.

— Accordé, et bien volontiers.

— Puisque nous sommes en veine de générosité — vous plus que moi ! — je vais essayer de compenser un peu ce don inestimable que nous allons recevoir. En plus de la copie de nos œuvres techniques et littéraires, peu de chose à côté des vôtres, je vais désigner, avec votre accord, quelques officiers rompus aux combats spatiaux pour vous accompagner. Je sais. Ils n’auront que peu de chances de revoir Tilia. Aussi emmèneront-ils leurs familles. Ne refusez pas, je crois que vous en aurez besoin. Milonas pourra être leur chef. »

Je regardai l’officier. Les yeux brillants, il s’avança :

« Excellence, je n’osais l’espérer !

— Quoi, dit Klebic, vous accepteriez de quitter votre planète natale, sans doute à jamais ?

— J’étais le commandant de l’astronef qui, près de la barrière, reçut le message des autres. Et il n’était pas plaisant pour nous. J’aimerais rendre une visite de courtoisie à qui l’a envoyé. De plus, quelques indices, dans notre conversation d’hier soir, me font penser que vous êtes sur le point de résoudre le problème du vol interstellaire. Me suis-je trompé ? Peu importe ! »

Je regardai Kelbic, puis je pris une rapide décision.

« Soit. Nous acceptons. Mais comme une aide en vaut une autre, pendant le temps que Vénus et la Terre mettront à changer leur course, et cela prendra bien deux mois, nous vous aiderons dans votre lutte contre les Triis. Nos équipages y gagneront un entraînement nécessaire, si ce que vous redoutez est vrai.

— Je vous remercie. Eh bien, amiral, et vous, monsieur, au revoir peut-être. Kirios Milonas s’occupera des détails pratiques. »

Avant même que nous ne fussions sortis, cet homme singulier était déjà en train de donner des ordres.

CHAPITRE II

SECOND DÉPART

Les quelques jours qui suivirent furent occupés par des conférences avec des chefs militaires, puis nous regagnâmes le Klingan, qui nous attendait dans l’espace.

Sans difficultés, le conseil approuva les engagements que j’avais pris, et sous l’influence des grands géocosmos, la Terre et Vénus ajustèrent leurs trajectoires. Contrairement à ce que j’avais craint, le peuple accepta sans murmurer dès qu’il apprit que l’alternative aurait été une guerre avec d’autres hommes.

Ni Kelbic ni moi ne participâmes à la guerre contre les Triis. À peine étions-nous de retour qu’il s’enferma dans notre laboratoire, poursuivant l’idée qu’il avait eue sur Tilia. Au bout d’une semaine, il me demanda de le rejoindre, et, comme tout marchait à merveille, je déléguai mes pouvoirs pour quelques jours à Hélin.

Je le trouvai penché sur sa grande table de bois — il haïssait celles de métal ou de matière plastique — jonchée de papiers en désordre, zébrés en tous sens de sa fine écriture. Il choisit une liasse, me la tendit.