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J’étais allé, avec Kelbic, visiter Luki, l’archéologue, laissant Rhénia à Huri-Holdé avec notre fils. Luki avait entrepris des fouilles dans une très vieille cité qui, si je m’oriente bien, était le Bordeaux d’aujourd’hui, ou était tout au moins située sur le même emplacement. Sauf pendant les moments les plus dangereux, il avait poursuivi ses fouilles, commencées juste avant le grand départ, et avait mis au jour une série de villes superposées. La plus ancienne lui avait livré nombre de détails nouveaux sur cette humanité qui pour nous était préhistorique, la vôtre. Pauvre Luki ! Si un jour je puis retourner là-bas …

Il avait installé, à la limite de son vaste champ de fouille, une petite maison confortable pour lui et ses collaborateurs, y compris une cave bien fournie en vins renommés, car Luki était ce que vous appelleriez un épicurien. Nous étions déjà venus là, plus d’une fois, nous détendre en compagnie de Luki et de sa charmante femme. Il nous fit visiter son chantier, éclairé et chauffé par un soleil artificiel, et, si nous n’avions pas été vêtus de spatiandres, nous aurions pu nous croire encore aux jours heureux de la planète. Puis nous rentrâmes dans la maison, et je me préparai à passer une agréable soirée, loin des soucis du gouvernement, entre bons et vrais amis. Nous achevions le repas, et Luki s’apprêtait à déboucher une vénérable bouteille, « trouvée dans ses fouilles » prétendait-il, quand le sol trembla légèrement.

« Qu’y a-t-il ? Demandai-je. Un séisme ? Luki, le visiphone pour Huri-Holdé, vite ! »

Il posa précautionneusement sa bouteille, et se dirigea vers l’appareil. Une vive lumière, venant de la fenêtre, découpa son ombre sur le mur. Kelbic se rua vers le vitrage, et je l’y suivis. Loin derrière les collines, une colonne de feu montait. Cette fois, le sol trembla nettement. Kelbic se retourna vers nous, pâle :

« Une bombe à fusion, je crois. À environ 200 kilomètres vers le Sud.

— 200 kilomètres ? C’est la position de Téléphor, je crois.

— Oui, nous sommes attaqués. Kirios avait raison, Haurk.

— Rentrons. Toi aussi, Luki, et tes assistants. Mais d’abord, mettons nos spatiandres. »

Pendant ce temps, j’essaierai de joindre Huri-Holdé …

Une lumière insoutenable illumina la pièce, suivie presque immédiatement d’un choc violent transmis par le sol. Une autre bombe, relativement toute proche, celle-là. Luki se rua vers les réservoirs d’air, ouvrit en grand une valve, puis, dans un coin de la pièce, actionna un levier.

« Vite, dans l’abri souterrain. La cloison est fêlée, l’air s’échappe ! Emportez les spatiandres !

— Si une bombe tombe plus près, nous sommes perdus », dit un des assistants. Nous nous laissâmes glisser le long de l’échelle, nous retrouvâmes, tous les huit dans l’entrepôt souterrain. Luki ferma la trappe étanche.

« Allons, pas de bavardage ! Les spatiandres, puis aux cosmos. Et vite ! »

Habillés, nous rouvrîmes la trappe et remontâmes. Là cloison avait complètement cédé sous la pression interne, et Luki esquissa un geste de regret en voyant sa précieuse bouteille éclatée par le gel. Quelques minutes plus tard, nous étions tous entassés dans mon cosmo, et, laissant, au grand désespoir des archéologues, le produit des fouilles, filions à toute allure vers Huri-Holdé. Les bombes ne pleuvaient plus maintenant, mais éclataient très haut, repérées par hyperradar et interceptées par nos propres engins. Malgré les écrans filtrants, nous étions constamment à demi aveuglés par leurs fulgurations. Laissant piloter Kelbic, j’entrai en communication avec le conseil.

Sept bombes en tout avaient frappé la surface, sans aucun signe annonciateur d’une attaque, arrivant à une vitesse atteignant une fraction appréciable de celle de la lumière. En réalité, c’était la Terre qui se ruait à leur rencontre avec cette vitesse. Une bonne partie de Téléphor avait disparu, et nos pertes devaient dépasser déjà dix millions d’hommes. Les autres bombes s’étaient perdues dans le désert de la surface, ou, explosant avant contact avec le sol, n’avaient eu que peu d’effet, éclatant ainsi dans le vide. Une d’elles, toutefois, avait volatilisé l’observatoire d’Alior.

Kirios m’attendait à la Solodine, entouré de son état-major de Terriens et de Tiliens. Il me donna quelques détails complémentaires.

« Par qui sommes-nous attaqués ?

— Certainement par ceux qui m’avaient interdit autrefois de franchir la barrière, mais nous n’en avons encore aucune preuve. Ce ne sont pas des projectiles dirigés qui pleuvent sur la Terre, mais des mines spatiales.

— Des mines spatiales ?

— Nous avions envisagé de protéger ainsi Tilia, mais cela eût demandé des moyens que nous ne possédions pas encore. Un de nos cosmos a capturé une de ces bombes : ce sont de petits astronefs-robots, circulant en orbite au-delà de la planète la plus extérieure, et attirées par tout corps massif. Un système d’identification à ondes électromagnétiques permet aux ennemis de ne pas se faire assaillir eux-mêmes. Nous l’étudions actuellement, et bientôt nous pourrons émettre sur la bonne longueur d’onde, j’espère. C’en sera fini alors de ce bombardement.

— Ce qui m’inquiète, dis-je, plus que l’attaque elle-même, est le potentiel industriel et technique que suppose un nombre aussi considérable de mines spatiales. Si nos ennemis descendent bien des Terriens d’un des astronefs perdus, il me semble difficile qu’ils aient, en si peu de temps, progressé au point d’atteindre ce potentiel. Ou bien ce sont des génies, ou bien ils ne sont pas seuls ! »

Kirios haussa les épaules.

« Nous le verrons bien. Nous ignorons encore quelle planète, ou quelles planètes, abritent nos ennemis.

— D’après les derniers rapports des observatoires, il y a quatorze planètes en tout, dont trois ont une atmosphère avec oxygène.

— Haurk, puis-je envoyer un raid de reconnaissance ?

— Si vous le jugez utile. Vous êtes responsable de tout ce qui concerne la défense. D’ailleurs, il convient de ne pas se ruer tête baissée sur un ennemi sans aucun doute puissant. »

Au bout de quelques jours, équipées d’un système de radar permettant d’éviter l’attaque des mines spatiales, les trois astronefs de reconnaissance partirent.

CHAPITRE III

LES TELBIRIENS

J’étais àce moment très occupé àpréparer avec Kirios la défense de nos planètes, et Kelbic, àson habitude, s’enfermait de longs jours, voire des semaines, dans son laboratoire. Aussi ne fut-ce qu’une dizaine de jours après le départ des éclaireurs que, ne le voyant pas, je m’enquis de lui. À ma vive surprise, et àmon grand déplaisir, j’appris qu’il s’était embarqué sur un des astronefs.

Il n’était pas question de le rappeler par ondes de Hek. Trois cosmomagnétiques formaient l’unité de combat, et en retirer un équivalait presque à désarmer les autres. Il n’était pas question non plus de renoncer au raid de reconnaissance, ou de le retarder. Nous approchions rapidement du système de Belul, même à notre vitesse maintenant « réduite ».

J’appelai le Béric, l’astronef sur lequel il s’était embarqué. L’écran s’illumina, montrant la face narquoise de Kelbic.

« Ah, enfin, Haurk ! Tu te rappelles que j’existe ? Je croyais que je t’aurais manqué plus tôt !

— Quelle idée t’a pris ? J’aurais besoin de toi ici, maintenant !

— Ah ? Eh bien moi, j’ai besoin d’être là où je suis pour vérifier quelques nouvelles théories … De plus, sans vouloir vexer ni les officiers tiliens, ni nos propres astronautes, je crois que je ferai quelques observations qu’ils ne pourraient faire eux-mêmes.