— Soit. Il est trop tard de toute façon. Mais pas de combats inutiles ! Où êtes-vous maintenant ?
— À environ cinquante millions de kilomètres d’une planète extérieure. Nous espérons l’atteindre dans quelques heures. Nous décélérons à plein déjà. Le champ cosmomagnétique de cette étoile est puissant, ce qui permet des accélérations positives bien plus fortes que près de notre pauvre vieux soleil !
— Bien. Sitôt que tu auras quelque chose à rapporter, appelle-moi. »
Kelbic ne le fit que le lendemain.
« Nous avons atterri sans encombres. Pas d’opposition, ni jusqu’à présent de traces d’une occupation quelconque de la planète. Pas d’atmosphère, sol de méthane gelé, pas ou presque pas de pointements rocheux. Gravité 1 g et demi. »
Et ainsi les éclaireurs allèrent de planète en planète, jusqu’à un satellite de la sixième, monde plus gros que ne l’était Jupiter, et entouré d’un cortège de quinze mondicules.
Ils commençaient leur approche quand, surgissant d’une crevasse du sol, dix astronefs sphériques se ruèrent vers eux. Il y eut quelques minutes de combat violent, dont l’image fut fidèlement transmise par les écrans, et immédiatement enregistrée. Deux de nos engins explosèrent, celui de Kelbic se précipita vers le sol, apparemment désemparé. Deux des ennemis seulement subsistaient. Nos projectiles infra-nucléaires avaient été efficaces.
Par l’audiophone me parvint la voix calme de Kelbic.
« Cette fois, nous y sommes, Haurk. Trois survivants à bord ! Nous allons essayer d’atterrir sans trop de casse. Autant que je puis le dire, le rayonnement émis par l’ennemi agit sur les cosmomagnétiques, un peu comme nos ondes de Knil. S’il s’agit du même, tu sais ce qu’il faut faire pour contrebattre son effet. Heureusement, j’ai eu le temps de comprendre et de couper les moteurs. Nous descendons maintenant en chute libre. Quand nous serons près de toucher le sol, je donnerai un bon coup de frein. J’espère que l’ennemi nous croit hors de combat, et ne nous a plus sous son rayonnement. Sinon, adieu, Haurk ! Nous sommes à 10 kilomètres …, à 5 …, à 3 … Je freine ! »
Rien n’explosa. Le Béric se posa doucement sur le sol glacé du satellite. Les deux astronefs ennemis étaient encore très hauts.
« Il ne semble pas, continua tranquillement Kelbic, qu’ils connaissent nos ondes de Hek. En tout cas, ils communiquent entre eux par ondes électromagnétiques. Je laisserai donc notre émetteur en marche. Je crois qu’ils vont nous faire prisonniers, pour tirer de nous le plus de renseignements possibles.
— Ne t’inquiète pas, coupai-je. Un raid de secours part immédiatement, et comme nous sommes bien plus près, et que nous ne nous attarderons pas sur les planètes extérieures, nous serons là dans cinq jours. Tenez bon ! Au besoin, révèle-leur quelques petites choses … « Gagnez le plus de temps possible.
— Soit. Mais ne viens pas en personne ! La Terre a besoin de toi.
— Il se trouve que j’ai besoin d’être là pour vérifier quelques-unes de mes théories ! D’ailleurs, je suis le chef, et je ferai ce qu’il me plaît.
— Attention, les voilà ! »
Sur l’écran, je vis Kelbic se diriger vers un hublot démasqué. Dehors, sur la plaine glacée, une dizaine de silhouettes avançaient prudemment, à demi cachées derrière des blocs. Les spatiandres les déformaient, mais elles paraissaient humaines. Puis des coups sonnèrent sur la porte du sas.
« Inutile de combattre, dit Kelbic aux deux survivants, Harlok et Rhabel. Nous nous ferions tuer pour rien. Haurk, j’ouvre. Je coupe la vision de mon côté. Comme cela, tu verras sans être vu. »
Lentement, la porte interne du sas s’ouvrit, et trois hommes en spatiandre entrèrent, armes au poing. C’étaient de courts pistolets, rappelant plutôt vos armes actuelles que nos fulgurateurs. Ils firent face à l’écran, et j’eus un sursaut : deux d’entre eux étaient des hommes, le troisième ne l’était pas. Je distinguais mal son visage derrière la vitre du casque, mais il me sembla rouge vif.
Pendant que l’un tenait Kelbic et ses compagnons en respect, les deux autres ôtèrent leurs casques. Le premier était un homme jeune encore, aux cheveux blonds coupés court. Le second …, le second n’était pas un homme. Sous un crâne chauve et un front plissé, trois yeux disposés en triangle dominaient une face pourpre, sans nez, à la bouche aux lèvres cornées, reptiliennes. L’homme parla, en une langue qui me fut compréhensible et qui était le vieil arunkien, d’où avait dérivé l’universel que nous parlions.
« Vous êtes prisonniers. Pas de tentative d’évasion, ou nous vous tuons. »
Kelbic s’accouda nonchalamment devant le poste émetteur, une main derrière son dos, parfaitement visible pour moi, mais non pour les ennemis.
« Soit, dit-il, nous sommes battus. »
Ses doigts se tordaient selon les mouvements complexes de l’alphabet karin, que nous avions tous appris quand nous étions étudiants, pour communiquer dans les amphithéâtres à l’insu des professeurs. Il émit :
« Je vais essayer de leur faire dire où ils vont nous emmener … »
« Qui êtes-vous donc ? reprit-il à haute voix. Pourquoi nous avez-vous attaqués ? Nous explorions votre système solaire, ne sachant s’il était habité …
— Ne mentez pas ! Nous savons d’où vous venez ! La Terre. Cette Terre qui est là, à nos frontières, et qui a envoyé autrefois nos ancêtres en exil ! »
Réellement surpris, Kelbic haussa les épaules.
« Vous êtes donc les descendants de l’équipage d’un astronef hyperspatial, n’est-ce pas ? Mais nul ne vous a envoyés en exil ! Vos ancêtres étaient tous volontaires !
— Autre mensonge, gronda l’homme. Je vois que la Terre n’a pas changé depuis que nos ancêtres en furent chassés. Maintenant, l’heure arrive de régler tous les comptes, et rien ne pourra vous sauver ! »
Les doigts de Kelbic transmirent ; « Il est fou. »
« Que comptez-vous faire de nous ?
— Vous allez mettre vos spatiandres et nous suivre à notre fort de Ther. Là, on vous interrogera. Votre sort dépendra de la franchise de vos réponses. Et, rappelez-vous, nous avons de bons moyens pour faire parler les plus têtus ! »
Kelbic resta impassible, mais Harlok et Rhabel pâlirent. Kelbic transmit avec ses doigts :
« Ne crains rien. Je ne parlerai pas, et les autres ne savent rien d’important. »
Comme tous les tekns, il était à l’abri de la torture, puisque son entraînement psychique lui permettait de supprimer à volonté toutes sensations douloureuses. Quant à l’hypnose, nous y étions également réfractaires, et nulle machine ne peut « lire » un cerveau occupé à extraire de tête des racines critiques. Kelbic risquait sa vie, sans plus.
« Et où est-elle, cette ville de Ther ?
— Sur ce satellite même. Je ne vois pas pourquoi je vous le cacherais, reprit l’homme, d’un air méprisant. Même si vous pouviez en communiquer l’emplacement à vos amis, cela ne vous avancerait guère. Ther est imprenable !
— Nous ne chercherons donc pas à nous en emparer ! Soit, conduisez-nous à vos chefs. Peut-être seront-ils plus raisonnables, et comprendront-ils que nous venions en paix quand nous avons été attaqués. »
L’homme ricana, puis se tournant vers l’être pourpre, émit une série de syllabes claquantes.
« J’ai oublié de vous présenter K’nor, le telbirien. Les Telbiriens sont nos chers alliés. Race excellente, obéissante, dévouée. Ils font tout ce qu’on leur demande ! Et d’une loyauté à toute épreuve ! Je vous avertis que je viens de lui ordonner de vous brûler impitoyablement si vous résistez. »