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« Les idiots ! Que ne me l’ont-ils dit plus tôt ! »

Au fond de moi-même, j’étais las du poids écrasant des responsabilités, qui ne reposaient plus guère que sur moi. J’aspirais à la tranquillité du laboratoire, au petit cercle d’amis, Kelbic, Luki, quelques autres, Rhénia … Peut-être même Kirios. Mais cette tranquillité devait se gagner encore, le chemin de mon laboratoire passait par ce monde désolé.

Je secouai mes gardiens.

« Lâchez-moi ! »

Ils tinrent bon. Kirios les avait bien choisis. Moins grands que moi, ils étaient plus forts.

Je réussis à saisir mon fulgurateur, posai le bout contre la poitrine de l’un d’eux.

« Lâchez-moi, ou je tire ! »

L’homme blêmit sous son spatiandre, mais ne céda pas.

« Tirez, Haurk ! Vous êtes le maître suprême, et ma vie ne compte pas pour vous. Mais j’ai des ordres, et je les exécuterai. Et si vous me tuez, d’autres me remplaceront. »

Je me retournai. Autour de moi, une vingtaine d’hommes, ma garde d’honneur.

« Soit, dis-je. Je vous donne ma parole que je ne chercherai pas à descendre, à moins que Kirios ne se ravise. »

Comme il était inutile de rester à la surface de ce mondicule, je rentrai dans mon cosmo, et tentai une fois de plus de joindre Kelbic. Rien ne répondait. Au bout de peu de temps, par contre, j’eus la communication avec Kirios.

« Nous avançons, Haurk, mais c’est dur. L’ennemi dispose d’une sorte de pistolet thermique qui, sans valoir nos fulgurateurs, n’en fait pas moins des ravages. Nous sommes maintenant à l’entrée du grand puits, et nous allons forcer le passage.

— Qui combattez-vous ? Les hommes ou les autres ?

— Les deux. Mais je crois que Kelbic a raison, et les autres ont l’air d’user des hommes comme d’une chair à canon. Quelles nouvelles des éclaireurs et de la flotte qu’ils signalaient ?

— Aucune pour le moment. »

J’attendis ainsi des heures, devant le panneau des communicateurs, essayant tantôt de joindre Kelbic par ondes de Hek, tantôt la flotte, tantôt Kirios. Ce dernier me faisait des rapports à intervalles irréguliers. La progression continuait, au prix de pertes assez lourdes, bien que notre armement fût supérieur. Pas de traces de Kelbic, mais ils avaient retrouvé, dans une chambre, les corps de Harlok et Rhabel. Ils avaient été sauvagement torturés, et Kirios ne put empêcher ses hommes de massacrer les quelques prisonniers humains qu’ils avaient faits.

Puis je reçus un message des éclaireurs. La flotte ennemie ne comptait que 60 astronefs. Les Telbiriens n’avaient pas réalisé la pleine étendue du péril qui les menaçait. Je relayai les nouvelles à Kirios, donnai, avec son accord, l’ordre à 120 cosmos d’aller engager le combat, puisque la troisième flotte était encore trop loin.

Subitement, la lampe d’appel du communicateur à ondes de Hek s’éclaira. « Haurk, ici Kelbic. Je me suis enfermé dans un bout de galerie abandonnée en faisant crouler la voûte, au moment où les Telbiriens arrivaient. Je commence à percevoir le fracas de la bataille. Je suis au dernier niveau, le plus bas ; et, je crois, sensiblement sous la grande salle des machines.

— Bon. Je relaie immédiatement ces renseignements à Kirios. As-tu des détails utiles à donner sur l’ennemi ?

— Oui. Les hommes ne sont que des jouets entre les mains des Telbiriens. Peut-être même n’agissent-ils pas de leur propre volonté. Ils nous haïssent certainement, vivant avec la conviction que leurs ancêtres furent chassés de la Terre, mais il y a quelque chose d’autre. Lors de ma fuite, j’ai soigné un blessé. Il m’a d’abord injurié, puis, presque au moment de mourir, son attitude a changé, comme s’il était brusquement libéré. Il m’a dit : « Après tout, vous êtes aussi des hommes. « Méfiez-vous des rouges ! »

« Ah, j’entends à présent la bataille avec mes oreilles ! Nos hommes ont dû déboucher dans la salle des machines, qui communique avec ma galerie par un tuyau d’aération, trop petit pour qu’on puisse y passer. Je crois que je vais être bientôt libéré. Et, entre nous, Haurk, je crois que j’ai goûté à l’action directe pour toute ma vie ! À moi le laboratoire après cela !

— Je crois que tu as raison ! C’est aussi ce que pense Kirios ! »

Et je le mis au courant de ma situation. L’appareil vibra de ses éclats de rire.

« Enfin ! Quelqu’un te l’a dit ! Tant mieux ! »

Une heure plus tard, il émergeait d’un des trous, avec nos troupes. Sur cinq mille hommes qui avaient pénétré dans les souterrains, deux mille sept cents cinquante seulement remontèrent. Nous avions perdu presque un homme sur deux !

Ils s’entassèrent dans les cosmos et nous prîmes à toute vitesse le chemin de la Terre. Je tins un conseil de guerre avec Kelbic et Kirios.

« Ce fut terrible, dit ce dernier. Nous avions contre nous à peu près deux mille humains, si on peut encore les appeler humains, et environ cinq cents, pas plus, de Telbiriens. Ces derniers sont d’effroyables combattants, très supérieurs à nous. Mais leur technologie a l’air inférieure, ce qui compensera sans doute. Sinon, je crois que nous ferions bien de filer vers une autre étoile !

— Ce serait inutile, dit Kelbic. Si j’ai bien compris, ils sont eux aussi sur la voie d’une application pratique de l’hyperespace. Un des hommes s’en est vanté devant moi.

— Je crois, moi aussi, qu’il vaut mieux avoir la grande explication maintenant. »

Au moment où nous atterrissions près d’Huri-Holdé, un message arriva de la flotte. Les ennemis avaient été détruits, mais, venant de la troisième planète, une véritable armada fonçait sur nous. Je donnai l’ordre à nos éclaireurs de se replier.

Sous mon impulsion et celle de Kirios, la défense s’organisa le plus rapidement possible. Dans un sens, je n’étais pas fâché que l’ennemi vînt à nous : nous combattrions ainsi près de nos bases, ce qui est toujours un avantage. Comme toutes nos cités étaient profondément enfouies, elles ne subiraient probablement que de faibles dégâts. La Terre continuait à se précipiter vers le système de Belul à une vitesse qui décroissait d’heure en heure, mais était encore vertigineuse, Vénus à sa suite. Bien entendu notre apparition perturberait l’équilibre du système, mais nos calculs étaient faits, depuis que nous avions pu déterminer les masses des diverses planètes, et il était possible de mettre nos mondes en orbite autour de l’étoile sans déclencher un cataclysme.

Peu de temps après notre retour, un de nos cosmos revint à toute vitesse ; il apportait un prisonnier humain, trouvé vivant, en spatiandre, sur un astronef détruit. Je le fis amener immédiatement devant nous.

Il arriva entre deux des gardes géants que Kirios avait sélectionnés pour moi. C’était un homme de stature moyenne, assez frêle, très brun, au regard vif et direct. Ayant convoqué Kirios, je commençai l’interrogatoire.

Il se nommait Eleon Riks, était âgé de 32 ans telbiriens (il ne paraissait guère avoir plus de 25 ans terrestres, ancien style). Il était ingénieur à bord d’un astronef.

« Pourquoi nous attaquez-vous ? Dis-je. Nous ne venions pas en ennemis. Notre soleil a explosé, et nous avons pu sauver nos planètes. Tout ce que nous demandons, c’est la lumière d’une étoile. Nous ne voulons pas prendre la vôtre par la force, elle éclaire assez pour deux mondes supplémentaires ! Nous ne voulons pas la guerre. Avant de parvenir à votre système solaire, nous sommes passés par celui de Kirios Milonas, ici présent, et comme ses compatriotes se sont opposés à notre présence, nous sommes repartis. Nous aurions pu faire de même ici … »