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J’allai voir le prisonnier dès qu’il fut réveillé.

« Comment vous sentez-vous ?

— Bien. Vous ne m’avez pas encore passé sous votre machine ?

— Si.

— Mais alors … Je n’ai rien ressenti, et je me crois aussi intelligent que d’habitude !

— Tout ce que j’ai dit était pour vous effrayer, vous rendre plus réceptif à la suggestion. Le psychoscope n’a jamais fait de mal à personne. Nous nous en servons couramment en thérapeutique mentale. Je m’excuse auprès de vous de vous y avoir fait soumettre sans votre consentement. L’enjeu est trop élevé pour que j’hésite, mais néanmoins je me sens rabaissé par ce que j’ai fait. Enfin, nous avons appris bien des choses, mais rien, absolument rien, au sujet des êtres rouges.

— Peut-être n’existent-ils pas, dit-il, railleur.

— Nous savons malheureusement que si ! Il y a une autre explication assez terrifiante : c’est que vous seriez les jouets de ces êtres, et qu’ils vous auraient conditionnés à oublier leur existence, dès que vous sortez de leur emprise. Il y en avait deux sur votre astronef, pour un équipage de 23 hommes. Et nous avons trouvé aussi quelque chose de curieux, en sondant votre mémoire. Le psychoscope ramène au jour les souvenirs les plus lointains, les souvenirs même des premiers jours de la vie. Eh bien, vous ignorez qui vous a dit que vos ancêtres avaient été chassés de la Terre, et quand on vous l’a dit pour la première fois. Je me demande si cette idée ne vous vient pas des autres.

— C’est ridicule ! Je me souviens très bien ! Cela fait partie du cours d’histoire, en première année d’école !

— Oui, c’est votre premier souvenir précis. Mais cherchez bien. Êtes-vous sûr de ne pas l’avoir su avant ?

— Euh … non. Je devais le savoir, sans doute. Mais tout ceci ne prouve rien !

— Accepteriez-vous de repasser au psychoscope, cette fois volontairement, sans hypnose ?

— Ouais ! Pour dire ce que je ne veux pas !

— Vous avez déjà tout dit ! »

Et je lui fis un bref résumé de ce que nous savions maintenant, grâce à lui, sur Telbir.

Il hésita, puis haussa les épaules.

« Après tout, je n’ai plus rien à perdre ! »

Volontairement cette fois, il s’étendit sur la couche. Le casque le coiffa.

« Je sens un fourmillement, un peu de vertige …

— Ce n’est rien, c’est normal. Essayez maintenant de vous souvenir. »

Sous le bord du casque, je voyais ses yeux ahuris.

« C’est effrayant ! Je viens de penser à un livre que j’ai lu étant enfant il y a 20 ans, une seule fois ! Je me souviens maintenant de lui mot par mot !

— Essayez de vous rappeler qui vous a dit cette légende sur vos ancêtres … »

Il se concentra, puis subitement, avec un cri de pure terreur, arracha le casque de sa tête :

« Non ! Non ! Ce ne peut être vrai !

— Qu’y a-t-il ?

— Un R’hneh’er ! C’est un d’eux qui me l’a dit ! Vous aviez raison, ils existent ! Je ne veux pas me souvenir, je ne veux pas !

— Vous le devez, aussi bien pour les vôtres que pour nous !

— Oui, je sais. L’appareil est maintenant inutile, sauf peut-être pour les détails ! Le voile s’est déchiré … Des esclaves, voilà ce que nous sommes. Des esclaves … et du bétail ! »

CHAPITRE IV

LA GUERRE PSYCHOTECHNIQUE

De retour dans mon bureau, nous enregistrâmes son long récit. L’astronef s’était posée sur Telbir au bout de huit années d’errance. Comme la planète était analogue à la Terre, et qu’ils avaient perdu tout espoir de retour, ils s’y étaient définitivement installés. Le continent où ils avaient atterri ne possédait qu’une vie animale. Pendant plusieurs siècles, ils avaient travaillé et s’étaient multipliés. Puis un jour, sur une grande île, ils avaient découvert les indigènes. C’étaient des humanoïdes possédant une technique néolithique, assez nombreux : quelques centaines de mille. Pensant trouver en eux une main-d’œuvre, ils les avaient transportés en masse sur le continent et à demi éduqués. Pendant encore un siècle, tout alla bien. Les Telbiriens étaient dociles, intelligents, dévoués, du moins en apparence. Mais, s’ils n’avaient que peu de connaissances en sciences physiques, ils en possédaient d’immenses en sciences psychologiques, soigneusement dissimulées. Avec une patience infinie, ils avaient attendu leur heure, d’abord valets de ferme, puis commis, petits fonctionnaires, instituteurs dans leurs propres écoles, absorbant tout ce qu’ils pouvaient de la science terrestre sans révéler la leur. Et toujours si dociles, si désireux de plaire ! Puis, un jour, la révolte, la prise du pouvoir, la réduction des Terriens en esclavage.

« Tout ceci, je le sais parce qu’ils me l’ont dit. Ils ne s’en cachent pas, au contraire, trop heureux de nous torturer. Et il n’y a aucune rébellion possible. Dès l’enfance, avant même de pouvoir comprendre, nous sommes endoctrinés, hypnotisés, suggestionnés. Plus tard, de temps en temps, un R’hneh’er, par amusement, nous révèle la vérité. Il nous laisse souffrir pendant un ou deux jours, puis nous donne l’ordre d’oublier. Le reste du temps, nous vivons avec la conviction que nous sommes les maîtres, et eux les serviteurs. Cela les amuse ainsi. Comme, malgré leur intelligence, ils sont peu doués pour les sciences, nous sommes leurs ingénieurs, leurs physiciens, leurs naturalistes. Ceux d’entre nous qui en sont capables. Les autres sont leurs esclaves, liés d’ailleurs à eux par un dévouement fanatique, bien qu’involontaire et inconscient. Et toujours l’ordre : si vous êtes pris par d’autres, oubliez que nous existons, il n’y a que vous, Terriens, sur Telbir. Et, pour les plus faibles et les moins doués de nous, un sort pire, celui de bétail de boucherie : ils nous mangent ! Et, horreur, c’est nous qui désignons les victimes, sous prétexte de conservation des qualités de la race !

— Donc, dis-je à Kirios, problème n° 1, prendre Telbir et libérer les humains, en détruisant les autres.

— Non, Haurk. Problème n° 2 seulement. Le n° 1 va nous tomber dessus dans quelques heures : leur flotte !

— Il n’est pas étonnant qu’ils nous aient paru de si terribles combattants. Ils n’ont sans doute pu s’emparer de l’esprit de nos hommes, mais ont distordu suffisamment la vérité pour que ceux-ci les voient comme des démons de la guerre, supposai-je.

— C’est possible. Cependant Kelbic n’a pas eu l’air d’être affecté.

— Kelbic est un tekn, et a subi le conditionnement, Kirios. Nous allons, je crois, être obligés d’y soumettre une bonne part de nos troupes combattantes, au moins les cadres, après cette bataille, en admettant que nous la gagnions.

— Nous la gagnerons. À bientôt, Haurk, j’ai des dispositions à prendre. »

Je restai seul avec Riks. Il pleurait, les épaules secouées de sanglots puissants, des sanglots d’homme fort dont les digues ont enfin cédé. Comme je m’approchais, il leva les yeux.

« Ce n’est pas sur moi que je pleure. Je suis libéré, le premier de mon peuple, depuis des siècles ! Mais les autres ! Ils se feront tuer jusqu’au dernier pour défendre ces R’hneh’ers !

— J’ai peur, en effet, que dans la prochaine bataille, bien des hommes ne périssent, de votre côté comme du nôtre. Pour l’avenir plus lointain, nous allons essayer. »

Je poussai le bouton qui me mettait en communication avec mon laboratoire, maintenant passé pratiquement sous la haute main de Kelbic.