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« Qu’est-ce qui m’arrive ? Ce ne peut-être vrai, murmurait-il.

— C’est malheureusement vrai, camarade, dit Riks. D’où es-tu ?

— De Randon, un petit village à 60 kilomètres de la capitale, à l’est. J’étais mécanicien sur le « Tialap ».

— Tu connais alors le capitaine Ilikin ?

— Je l’ai connu. Il est mort. Mais tu es Telbirien ?

— J’étais sur le « Filian » et je fus capturé après la bataille de Ther. Il y a déjà plusieurs jours que je sais !

— À un autre, dit Kelbic. Tenez, celui-ci, le gros. Vous aurez tout le temps de parler ensuite. »

L’effet fut plus lent cette fois, mais aussi sûr. Calmement, l’homme dévida une série d’injures destinées au R’hneh’er dans sa cage.

Le reste du groupe regardait sans comprendre.

« À vous maintenant, dit Kelbic. En gros ! Nous ne faisons plus le détail ! »

Il braqua sur eux le projecteur. Ils tentèrent vainement d’éviter le rayonnement invisible. Kelbic les y baigna, en fauchant, arrachant quelques cris de souffrance. Puis ce fut un pandémonium. Tous voulaient parler à la fois, maudissant les R’hneh’ers, hurlant des malédictions, se lamentant sur le sort des êtres chers demeurés sur Telbir. Soudain un jeune homme bondit, arracha le fulgurateur de la ceinture de Kelbic et, avant que nous eussions pu l’en empêcher, foudroya le Telbirien dans la cage.

« Tuez-moi si vous voulez ! Ils ont mangé ma sœur, ces bêtes-là !

— Expérience concluante, dis-je. Il ne nous reste qu’à monter des projecteurs sur nos cosmos, et à partir à la recherche d’astronefs ennemis. Après cela, nous pourrons débarquer, et …

— Je pense à un autre plan, Haurk. Si nous baignions Telbir tout entière dans le rayonnement ?

— Cela demanderait beaucoup de projecteurs, à moins d’opérer de loin.

— Impossible. Le rayonnement obéit à la loi des carrés des distances. Il devient rapidement trop faible, à moins de disposer au départ d’une puissance fantastique. Cela ne peut se faire à partir de cosmos. Mais avec d’énormes projecteurs montés sur la Terre elle-même …

— Et à quelle distance de Telbir faudrait-il amener notre planète ?

— En comptant une puissance de 100 000 kw, qui est le grand maximum que nos appareils puissent théoriquement supporter, environ trois millions de kilomètres.

— Pratiquement impossible, Kelbic.

— Pourquoi ?

— À cette distance, l’attraction entre la Terre et Telbir serait si forte que nous ne pourrions sans des manœuvres compliquées empêcher les deux planètes de se heurter. Sans compter de formidables marées, le risque de tremblements de terre dévastateurs, etc. Je comprends ton but : balayer la surface de Telbir en peu de temps, de façon à déclencher une révolte presque simultanée partout. Mais c’est impossible, et nous devons nous en tenir à des projets moins ambitieux, par exemple occuper et libérer Telbir secteur par secteur.

— Ce sera long et coûteux en vies !

— Je ne vois pas d’autre moyen. Entre-temps, nous pouvons désorganiser la flotte spatiale adverse, capturer ses navires, rallier de notre côté leurs équipages. Et, quand nous serons prêts, frapper, et frapper dur !

— Je crois que tu as raison. Ah ! Au fait, te rappelles-tu maintenant les premiers mots que tu m’as adressés ? »

Je me sentis rougir. Animal de Kelbic ! Lors de notre rencontre, je venais de lire son mémoire, et je lui avais dit : « Allons, allons, qu’est-ce que c’est que ce non-sens ? »

La première bataille psychotechnique eut lieu un mois plus tard. Bien que plusieurs escarmouches sanglantes se fussent produites dans l’intervalle, nous avions différé l’emploi de notre nouvelle arme jusqu’à ce qu’une flotte entière de nos cosmos pût en être pourvue. La bataille fit rage au niveau de l’orbite de la planète la plus extérieure, orbite que la terre traversa à la vitesse modeste de 140 kilo-mètres-seconde. Nous décélérions à plein. Malgré tous ses efforts, Kirios ne put réussir à empêcher Kelbic et moi de prendre part à l’engagement.

Nous avions 45 cosmos en ligne, contre une flotte ennemie d’environ 120 engins. L’ennemi ouvrit le feu de très loin, par missiles, auxquels répondirent les nôtres. Quand nous fûmes à bonne portée, je donnai l’ordre de balayer l’espace. Au début, rien ne se produisit, comme si la coque des navires ennemis était imperméable aux ondes mnémoniques, ce qui, nous le savions, n’était pas le cas. Quelques torpilles partirent encore vers nous, que nous détruisîmes sur leur trajectoire, sans riposter. Subitement la ligne de bataille ennemie flotta. Un astronef ouvrit le feu sur sa voisine, qui riposta. Toutes deux s’anéantirent dans une fulguration aveuglante. Puis la radio parla :

« Arrêtez ! Arrêtez le feu ! C’est une épouvantable méprise ! Nous sommes prêts à engager des pourparlers ! »

Sous bonne escorte, une traîtrise étant toujours possible, ils furent autorisés à se poser sur la Terre. Une délégation des équipages fut reçue par le conseil. L’histoire était identique : pour tous ils s’étaient soudain éveillés d’un rêve fou, avaient massacré les trois ou quatre R’hneh’ers qui étaient avec eux dans l’appareil, et avaient demandé à engager des pourparlers. Dans un seul cas, les R’hneh’ers avaient été les plus forts.

La guerre continua ainsi pendant quatre mois environ, avec de très faibles pertes en vies humaines, mais de très lourdes pertes pour l’ennemi en matériel. Notre flotte se grossit au contraire des astronefs capturés, qui, montés par leurs équipages ralliés, renforcèrent notre défense. Puis l’ennemi comprit, et ses engins ne se montrèrent plus que rarement.

Enfin vint le moment décisif. Nous avions entamé autour de l’étoile la longue spirale qui devait nous amener sur l’orbite de Telbir, mais en quadrature par rapport avec elle. Le climat de la Terre serait ainsi un peu plus chaud qu’il ne l’avait été quand elle tournait autour du Soleil. Vénus se placerait en position de planète intérieure, mais de manière que son climat fût plus tempéré. Ce fut un cauchemar pour les astronomes de calculer ces orbites et les moments de passage, pour ne perturber que le moins possible l’équilibre du système en y ajoutant deux mondes. Si un jour la vie intelligente doit disparaître, les cosmogonistes venus d’ailleurs auront du mal à expliquer pourquoi, autour de Belul, deux planètes n’obéissent pas à la loi classique des distances !

Nous frappâmes le premier coup dans un petit village isolé dans les montagnes. Trois de nos cosmos foncèrent vers lui, la nuit, tandis qu’une flotte plus importante feintait sur la capitale, attirant ainsi ce qui restait d’engins de combat aux Telbiriens. Le village fut baigné de rayons mnémoniques, puis nos trois appareils, montés par des équipages ralliés, atterrirent. Quelques minutes plus tard, le village était à nous, et tous les R’hneh’ers qui s’y trouvaient étaient morts. Et pas d’une manière agréable, le village possédant un de ces abattoirs humains auxquels, jusqu’à présent, je n’avais pas trop voulu croire.

L’expérience, ayant pleinement réussi, fut poussée à fond. La même nuit eurent lieu une série d’attaques, si on peut appeler ceci des attaques, sur des villages, des petites villes, un peu partout. D’autres cosmos survolèrent les grandes cités, traçant au hasard des sillons où la mémoire était retrouvée, et qui se transformaient immédiatement en foyers de révolte.

La résistance des R’hneh’ers fut relativement courte. Ils étaient peu nombreux, habitués à se reposer, pour tous travaux techniques, sur les humains soumis, et il semble qu’ils furent totalement incapables de replacer sous leur joug les hommes libérés par le rayon mnémonique. Un mois après, tout était fini, et, malgré quelques épisodes coûteux, au moindre prix. Deux mois après, nous reçûmes sur la Terre une ambassade du gouvernement humain de Telbir, venue offrir une alliance.