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Quant aux R’hneh’ers, peu survécurent. Le rayonnement, agissant sur le cerveau humain, n’avait pas d’action sur eux, ce qui fait que, jusqu’à la fin, ils ne comprirent pas la nature de notre arme. Il en subsista en tout une vingtaine de mille, que nous eûmes grand-peine à sauver de la colère des Telbiriens humains. Finalement, ils furent exilés sur une planète extérieure, pour y développer, sous une stricte surveillance, une civilisation qui leur fût propre, s’ils en étaient capables.

La Terre et Vénus se rapprochaient de Belul, que tout le monde appelait maintenant le Soleil. Un jour, ayant eu la curiosité de regarder Vénus dans un télescope, je vis que sa silhouette commençait à devenir diffuse. L’atmosphère se recréait. Je montai avec Rhénia dans ma lanterne, abandonnée depuis des siècles, me semblait-il, dans Huri-Holdé extérieur. Le silex taillé se trouvait toujours sur ma table. Par la fenêtre, nous vîmes le même paysage désolé, tas de neige et de gaz solidifiés noyant les superstructures. Vénus, devant se placer plus près du Soleil, avait pris de l’avance, et était déjà plus chaude.

Nous montâmes à la lanterne une fois par semaine au début, chaque jour ensuite. Nous nous y trouvions un matin au lever du soleil, un soleil encore bien lointain. Quand ses rayons obliques touchèrent les masses d’air gelé, il me sembla voir monter une buée. Mais plus rien ne bougea, et je redescendis à mon travail, laissant Rhénia et Arel.

Un peu avant neuf heures je reçus un appel.

« Haurk, monte vite, cela a commencé ! »

J’aurais pu, sans me déranger, voir la scène sur un écran. Mais quelque chose en moi n’eût pas été satisfait d’une simple image. Je voulais contempler, directement, le début de la renaissance de ma planète.

Sur les toits, en face de nous, de grosses masses molles d’air solide commençaient à bouillonner, se détachaient, glissaient, tombaient dans les rues, tout en bas. Un semblant d’atmosphère, infiniment ténu, existait déjà. À mesure que le soleil se déplaçait vers le zénith, le bouillonnement s’accentua, et bientôt un épais brouillard, un brouillard d’air, masqua la ville. Par moments, sous l’influence des courants de convection, très violents dans cette atmosphère soumise à de terribles différences de température, le brouillard se déchirait, laissant apercevoir une tour à demi voilée d’une écharpe grise effilochée. Des toits s’écoulaient parfois des cascades d’air liquide, qui n’atteignaient jamais le fond, se gazéifiant à mi-chute.

Le lendemain, les baromètres enregistraient une pression égale au dixième de la normale, pression qui crût rapidement les jours suivants. Quand la Terre prit son orbite définitive, l’atmosphère était complètement restaurée depuis longtemps.

Mais la glace d’eau fut bien plus longue à fondre, et pour de multiples années encore la Terre serait une planète glacée. Le grand printemps s’accompagna de catastrophes mineures ; sur les pentes, le sol dégela par le sommet, comme il est normal, et de grands phénomènes de solifluxion entraînèrent des masses énormes de terre et de rocs. La surface de la Terre était un immense lac de boue. Les océans fondirent aussi par le sommet, et, parfois, d’immenses blocs de glace moins dense surgirent, accompagnés de petits raz de marée.

Mais peu nous importait. Nous étions enfin arrivés au port après tant d’épreuves, et nous avions résolu de façon heureuse le conflit avec Telbir. Je visitai cette belle planète plusieurs fois. Débarrassés des R’hneh’ers parasites, les Telbiriens faisaient de gros progrès, et nous les aidions de notre mieux.

La crise finie, j’abandonnai mes pouvoirs, et entrai dans le conseil des Maîtres, en même temps que Kelbic. Et, le premier jour de l’an 4629, devant le conseil présidé par Hani, j’annonçai officiellement aux peuples de la Terre et de Vénus la fin du grand crépuscule.

Mais tous les problèmes n’étaient pas résolus. Nous, aurions voulu entretenir des relations suivies avec le peuple de Kirios Milonas, par exemple. La découverte des R’hneh’ers, jointe à l’ancien avertissement qu’avait été l’invasion des Drums, nous confirmait dans l’idée que nous n’étions pas seuls dans l’univers. Enfin, peut-être des humanités descendant des équipages des astronefs perdus nous attendaient quelque part, dans la gloire de leur jeune civilisation, ou dans la honte de l’esclavage.

Je décidai donc de me consacrer, avec Kelbic et son équipe, à la recherche dans les domaines du vol hyperspatial et des déplacements temporels. Il n’y eut entre nous aucune rivalité. Kelbic assumait la direction du laboratoire depuis que j’avais été forcé de l’abandonner, et avait pris le travail là où il l’avait trouvé. À mon tour, je revenais, profitant de ce qui avait été fait entre-temps, et sans volonté d’accaparer la direction. Il y avait bien assez à faire pour deux !

Il me fallut plus de dix mois pour rejoindre ! Ce fut le plus dur travail de ma vie, mais j’en vins à bout, ne voulant pas passer le reste de mon existence dans un statut d’honorariat. Après tout, je n’avais que 54 ans : la jeunesse, pour nous qui vivons habituellement deux siècles !

ÉPILOGUE

J’en arrive maintenant à la partie la plus extraordinaire de mon histoire, ma projection dans votre époque. Nous avions accompli quelques progrès dans la maîtrise des champs temporels. Un soir, je restai seul au labo. Kelbic, jeune marié — il venait d’épouser ma nièce Aliora — était rentré tôt chez lui. Hoktou fêtait, avec les autres assistants, sa nomination comme professeur d’analyse supérieure à l’université, à 26 ans ! Je télévisai à Rhénia que je rentrerais tard, et, ayant eu une idée, modifiai le montage de mon appareil. Je n’avais nullement l’intention d’expérimenter ce soir-là. Ai-je fait une erreur en achevant ce montage ? Ou bien, comme je le soupçonne, les champs temporels agissent-ils parfois sur l’appareillage qui va les produire, le faisant fonctionner avant que le contact soit établi ? Je ne sais. Je fus soudainement baigné dans une vive lumière bleue, une lumière qui palpitait, et je perdis conscience.

Quand je repris connaissance, je me trouvais dans un milieu tout à fait étranger, dans un corps qui m’était étranger aussi, mais qui ressemblait au mien, et dans une période qui, pour moi, représentait la plus lointaine préhistoire.

Que s’est-il passé exactement ? Au moment où j’écris ceci, j’en suis encore réduit à des hypothèses. L’expérience que je vais tenter demain m’éclairera sans doute, mais, bien que j’aie pris cette fois mes précautions, autant qu’on en puisse prendre avec les champs temporels, je joue avec l’inconnu, et peut-être serai-je une fois de plus pris au dépourvu. Voici donc ce que je crois. Nous, les hommes d’Helléra, n’étions pas plus avancés que vous en ce qui concerne les questions de métaphysique. Je doute d’ailleurs que nous ayons été plus avancés à ce sujet que les hommes de l’âge de pierre — du premier âge de pierre ! Nous n’avons aucune preuve de l’existence de l’âme au sens métaphysique, et nous ignorons si elle survit après la mort. Mais il y a une chose que nous savons depuis longtemps, c’est qu’on peut détacher une conscience humaine de son vêtement de chair. Cette conscience est en effet une sorte d’organisation électro-psychique, qui peut parfaitement subsister un certain temps à l’état libre, mais nous n’avons jamais osé pousser l’expérience trop loin ! Je ne sais ce qu’il advint de mon corps sur Helléra, mais je suis moralement sûr qu’il y est resté vivant, d’une vie purement animale, que Kelbic a parfaitement compris ce qui s’est passé, et que lui et Rhénia veillent sur lui, attendant que je revienne.