Выбрать главу

Retenez cette date : 1939 ; nous en reparlerons plus loin …

Toujours est-il qu’en février 1953, avant même de faire en France ses débuts d’écrivain, Francis Carsac était publié dans la plus prestigieuse des revues américaines. Ça, c’est le scoop, en exclusivité pour les lecteurs de cette édition de Terre en Fuite.

* * *

Qu’en est-il aujourd’hui de cette œuvre, en son temps célébrée par tous ? Des souvenirs ! Et des souvenirs seulement … Il faut savoir qu’aucun roman n’est plus disponible en librairie depuis des années et que les deux douzaines de nouvelles de l’auteur sont dispersées dans des supports périodiques disparus et difficiles à dénicher. L’Intégrale publiée par les Éditions Néo est donc un véritable événement éditorial qu’il convient d’apprécier pleinement — bien qu’il soit toutefois regrettable que cet indispensable travail de sauvegarde d’une partie de notre patrimoine littéraire de science-fiction n’ait pas été pris en charge par un éditeur disposant de moyens plus importants.

Ouvrons une parenthèse pour faire remarquer qu’une fois de plus, un éditeur de petite taille occupe désormais un créneau tenu, défendu, il y a moins de dix ans par un « très gros » éditeur. En 1977-79, c’est Presses Pocket — du groupe des Presses de la Cité, coté en bourse, le premier dans notre pays, dit-on, grâce au chiffre d’affaires réalisé par son département France-Loisirs — qui inondait le marché de dizaines de milliers d’exemplaires de deux romans de Francis Carsac. J’y vois, hélas, la parfaite illustration de l’effritement du marché de la science-fiction. Si celle-ci a un avenir éditorial dans notre pays, il passe probablement par un « transfert des compétences » des grands groupes vers des structures plus modestes, indépendantes, spécialisées, efficaces, disposant d’un réseau de distribution adapté à leurs ambitions ; réseau qu’il reste hélas à mettre en place.

Sauvée in extremis l’œuvre de Carsac ; récupérée au fin fond des oubliettes ! Et pourtant ! L’amateur de science-fiction cède ici la place au libraire spécialisé : la popularité de Francis Carsac auprès de notre « clientèle » (que ceux qui me lisent et sont devenus au fil des années des amis plus que de simples clients me pardonnent cette expression) ne semble pas s’être effritée d’un iota. La bonne, la grande, la sublime science-fiction « classique », en substance le meilleur de ce qui fut publié entre 1939 et 1965 (je pourrais justifier ces deux dates mais tel n’est pas ici mon propos) constitue toujours la base de toute bibliothèque spécialisée. Il n’est pas utile de dresser une longue liste d’œuvres essentielles et d’auteurs représentatifs de cette science-fiction « classique ». Vous les connaissez toutes et tous !

À l’évidence, malgré son absence des librairies, Francis Carsac est de ceux-là. J’en vois pour preuve le nombre impressionnant de lecteurs me demandant régulièrement si j’ai réussi à leur dénicher quelques-uns de ces romans « introuvables » qu’ils cherchent avec frénésie et le fait que ces trouvailles-là se vendent dans la journée.

Une portion non négligeable des lecteurs de science-fiction, y compris de nombreux amateurs de fraîche date ne connaissant l’auteur que de réputation, perçoivent toujours Francis Carsac comme « le meilleur écrivain français des années cinquante » et « le seul qui faisait à l’époque jeu égal avec les Américains ».

À dire vrai, je ne trouverais pas cette double affirmation contestable si, quelque part, elle ne signifiait que la seule bonne science-fiction française est celle qui imite la science-fiction américaine jusqu’à l’égaler ! C’est là condamner par avance toute éventuelle future école française cultivant sa différence. Mais, à dire encore plus vrai, après mûre réflexion, en me remémorant certaines lectures françaises récentes et en étant convaincu que je vais me faire ici quelques ennemis de plus, je dirais volontiers que si la science-fiction française avait davantage suivi l’exemple américain, elle aurait effectivement fini par l’égaler ; alors qu’aujourd’hui elle patauge trop souvent dans une « choucroute littératurante » et affiche un total mépris de ses lecteurs — si tant est qu’elle en ait encore …

À lire les exploits de nos vaillants littéranautes publiés dans leur collection fétiche, on ne peut que regretter davantage la longue non-disponibilité de l’œuvre de Francis Carsac.

Ses deux premiers romans, Ceux de Nulle Part et Les Robinsons du Cosmos, sont épuisés depuis plus de trente ans dans leur édition originale et depuis près de vingt ans dans leur deuxième édition luxueuse et à tirage limité. Deux romans qu’il faut chercher bien longtemps avant de les trouver et de sortir son carnet de chèques si l’on souhaite les acquérir … Terre en Fuite, le troisième Carsac, n’avait jamais été réédité depuis son apparition en 1960 ! Ce Monde est Nôtre et Pour patrie l’espace ont attendu quinze et dix-sept ans avant d’être réédités ; rééditions épuisées depuis près de dix ans. Seul La Vermine du Lion a été régulièrement réédité en 1967, 1973, 1978 et 1982, mais ce dernier roman n’est pas à mon avis le meilleur de l’auteur.

* * *

S’il ne s’agit pas d’un véritable purgatoire littéraire, alors que l’on veuille bien m’expliquer quelle expression il convient d’utiliser !

J’ai soudain envie de poser une question un peu tordue : À qui la faute ?

« Aux éditeurs, bien entendu ! », répondra le chœur des écrivains laissés sur la touche ou l’ensemble des lecteurs insatisfaits de ne pas trouver en librairie ce qu’ils souhaiteraient y trouver. C’est toujours la faute aux éditeurs ! Mais à y regarder d’un peu moins loin, on s’apercevra que pour qu’une œuvre paraisse, puis reste disponible (en tant que rééditions ou réimpressions et non en tant qu’invendus), il est nécessaire d’organiser les conditions indispensables à sa rencontre avec un lectorat, sous la forme d’une chaîne de transmission dont les principaux rouages sont l’écrivain, l’éditeur et la critique.

Dans le cas de Francis Carsac, le jeu est faussé dès le premier maillon de cette chaîne.

Francis Carsac n’a jamais été un écrivain de science-fiction. C’était un scientifique de très haut niveau, de réputation internationale, un de ces hommes que nous envie l’étranger, comme disent les ministres lorsqu’ils inaugurent les chrysanthèmes. Sous son véritable nom de François Bordes, il a mené une carrière professionnelle qui ne devait probablement pas lui laisser beaucoup de temps pour écrire de la science-fiction ! Voir à ce sujet les préfaces des deux premiers volumes réédités dans cette collection.

Francis Carsac était un amateur, dans la meilleure et la plus noble acception du terme. Nul doute qu’il aurait pu devenir et rester le premier écrivain français de science-fiction s’il avait choisi cette carrière ; il maniait la plume plutôt mieux que ses confrères, certes sans toutefois atteindre la finesse et la richesse d’un Klein ou d’un Curval ; l’imagination ne lui faisait pas défaut ; il connaissait la science-fiction, en particulier la science-fiction américaine, mieux que quiconque ; sa gigantesque culture scientifique et son penchant naturel à l’extrapolation, à la spéculation, se seraient greffés sur ces nombreuses qualités pour le transmuter en redoutable chef de file d’une école française de science-fiction véritable, capable de franchir l’Atlantique.