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Qui sommes-nous, nous, vos lointains descendants ? Au risque de décevoir beaucoup de vos prophètes, nous ne sommes que des hommes, presque identiques à vous. Notre crâne ne s’est pas monstrueusement développé, nous n’avons pas perdu nos cheveux, nos ongles ni nos dents : elles sont bien meilleures que les vôtres ! Nous ne sommes ni des nains rabougris, ni des demi-dieux, quoique notre stature moyenne soit plus élevée que la vôtre. Nous avons toujours cinq doigts aux mains et aux pieds, quoique, aux pieds, le cinquième soit nettement plus atrophié. Nous ne sommes ni télépathes, ni télékinestésistes, ni doués de clairvoyance. Quelques changements, cependant : vos races diverses se sont fondues, et notre peau est généralement foncée, plutôt, dorée que brune, nos cheveux et nos yeux sont noirs. Il existe cependant encore des blonds, assez rares, et les yeux clairs ne sont pas inconnus : les miens étaient gris. Le plus grand changement a été interne : nos circonvolutions cérébrales sont plus nombreuses et plus plissées que les vôtres, et, en moyenne, nous devons être plus intelligents, sans être une race de génies. Simplement, les niveaux intellectuels vraiment bas ont disparu. Mais les véritables génies ne se rencontrent guère plus souvent que de votre temps.

Si mes souvenirs sont exacts, notre civilisation, dans son développement, a présenté les traits suivants : après un nouveau paléolithique, à la fin de la septième glaciation, et un nouveau néolithique, nous passâmes comme vous par les âges des métaux. Mais, plus heureux, nous sortîmes très vite, dès le temps qui équivaut à votre Antiquité classique, du stade nationaliste, si on peut appliquer ce mot aux rivalités entre cités. L’humanité n’avait survécu et ne s’était encore redéveloppée que sur une grande île, l’île Kiobu, dont l’unification se réalisa très vite et fut durable. Le repeuplement de la Terre se fit ensuite, et nous n’eûmes jamais qu’une seule grande civilisation, avec des variantes locales. Bien des causes de conflit nous furent ainsi épargnées.

Mais d’un autre côté, l’unité de civilisation ralentit nos progrès, et il y eut de longues périodes de stagnation, voire même des rechutes vers la barbarie, connues de nos historiens sous le nom de « crépuscules ».

Vers l’an 1810 de l’ère qui part de l’unification de l’île Kiobu, vint notre première période de grandes découvertes scientifiques. Nous inventâmes alors la machine à vapeur, puis l’électricité, et, vers 1923 (les similitudes de dates avec les événements de votre ère sont curieuses, et me donnent à penser qu’il doit exister un rythme normal du progrès humain) nous commençâmes à utiliser l’énergie atomique. Moins de vingt ans plus tard — il n’y avait pas eu le frein du secret militaire — la première expédition partit vers la Lune, où elle trouva, à notre grande surprise, la preuve d’un premier passage humain. Mais je puis vous affirmer que votre arrivée y est la première ! Quelque temps plus tard, vers 1950, ce fut Mars, où nous retrouvâmes aussi votre empreinte, puis en 1956 Vénus, où, pendant longtemps, à vrai dire jusqu’à ma découverte personnelle, nous crûmes être les seuls à avoir débarqué.

La Lune, comme vous le savez, est stérile, et sans air, et n’a jamais abrité de vie. Mars a été habité par une race intelligente, mais ses traces en sont longtemps restées, jusqu’à la découverte de Klobor, peu importantes. Quant à Vénus, nous la trouvâmes enveloppée de ses épais voiles de formaldehyde, inhabitable et inhabitée.

Cela ne nous troubla guère. Nos techniques se développaient à pas géants, et nous réussîmes à transformer complètement son atmosphère. L’homme qui dirigea ces travaux est, par hasard, un de ceux dont je me rappelle le nom. Comme il appartient à notre ère, et non à la vôtre, je ne vois nul inconvénient à le mentionner ici. Ce manuscrit sera depuis longtemps oublié quand il vivra. Il s’appelait Pouhl Andr’son et a laissé un compte rendu de sa grande œuvre intitulé : La Grande Pluie.

Devenue habitable, Vénus fut colonisée. Mars resta essentiellement un terrain d’exploitation, et le point de départ des raids vers les planètes extérieures et des tentatives vers les étoiles. Mais je parlerai de tout ceci plus tard. La Grande Pluie dura de 1988 à 2225, mais la colonisation commença, sous dômes, bien avant sa fin.

Entre 2245 et 3295 se place ce que nous avons appelé longtemps « le grand crépuscule », et qui est maintenant connu sous le nom de « millénaire obscur ».

Brutalement, sans signes avant-coureurs, sans que rien ne puisse permettre de la prévoir, une invasion s’abattit sur la Terre. Des êtres terriblement armés surgirent de l’espace, brisèrent toute résistance humaine en quelques épouvantables semaines, et réduisirent l’humanité en esclavage, régnant sur notre planète pour plus de mille ans. Nous ne savons pas d’où ils venaient. Nous ne savons pas où les derniers survivants sont repartis. Peut-être les rencontrerons-nous à nouveau un jour, mais à présent nous sommes assez forts pour pouvoir leur tenir tête. Ils n’avaient pas forme humaine, mais ressemblaient à des barils montés sur huit pattes, avec sept longs tentacules. Longtemps, l’humanité souffrit en silence, et dans les misérables laboratoires souterrains où quelques hommes entretenaient la flamme vacillante de notre science, on chercha nuit et jour l’arme libératrice. Elle fut trouvée enfin, une souche de virus mortels pour les envahisseurs, mais sans effet sur l’homme. L’ennemi ne sut jamais que la maladie qui le décimait était notre œuvre. Il céda enfin, et, un beau matin, tous les astronefs quittèrent la Terre, emportant les survivants, peut-être un million, un sur mille ! Avant de partir ils détruisirent tout ce qu’ils avaient construit, et on eut pu dire que pendant mille ans l’humanité avait vécu en vain, s’ils n’avaient laissé comme trace de leur passage une chose inestimable, la connaissance de l’existence du cosmomagnétisme, ce cosmomagnétisme qui est la base de notre puissance. Je dirai plus tard ce qu’il est. Entre la date du départ des Drums (et j’ai trouvé avec amusement que ce mot, en anglais, veut dire tambour, ce qui décrit assez bien ces êtres), et l’an 3600 se plaça la reconstruction. L’humanité avait subi des pertes considérables lors des destructions effectuées par les Drums, la majorité des hommes était d’une ignorance effrayante, les savants rares, ainsi que les sources d’énergie. Mais la civilisation, avec l’aide des colons de Vénus, jamais attaqués par les Drums, reprit une fois de plus sa marche en avant, et en 4102 se plaça la découverte qui, croyions-nous, allait nous donner l’univers, celle de l’hyperespace.

Nous avions, d’abord, au moyen de fusées atomiques, puis de cosmomagnétiques, très supérieurs, exploré tout le système solaire, de Mercure à … comment vais-je appeler cette planète extérieure à Pluton et que vous ne connaissez pas encore ? Mettons Hadès. C’est d’ailleurs un insignifiant mondicule, émouvant seulement en ce qu’il marque les bornes du système solaire. Mais même les cosmomagnétiques ne peuvent atteindre la vitesse de la lumière, encore moins la dépasser. Et bien qu’il y ait des radiations plus rapides que la lumière, la vitesse de celle-ci est en effet une limite infranchissable, vos physiciens ont raison, pour tout objet matériel de nature électromagnétique. Ces radiations plus rapides ne sont pas électromagnétiques, et s’il existe une matière correspondante, nous n’en connaissons encore rien. Nous ne pouvons d’ailleurs utiliser ces ondes que dans des appareils extrêmement complexes, faisant appel à des interactions espace-temps-matière, par l’intermédiaire du cosmomagnétisme, et … Je n’ai pas le droit d’en dire plus. Vous comptez quelques cerveaux étrangement doués, et je ne veux pas risquer de changer le futur. C’est bien assez que je me sois laissé aller à démontrer la possibilité théorique de ces radiations, il y a quelques mois.