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Huri-Holdé poussait ses habitations à 1 000 mètres de haut et 450 mètres de profondeur. Elle comprenait 580 niveaux — vous diriez étages — et couvrait un cercle irrégulier d’environ 75 kilomètres de diamètre. Les habitations n’étaient pas entassées les unes contre les autres, et de grands parcs, à différents niveaux, l’aéraient. À la limite nord, dominant la mer, se situait le palais du Conseil, siège du conseil des Maîtres, du gouvernement, et, dans les niveaux inférieurs, des universités. Entre ce palais et la mer s’étendait, sur plusieurs kilomètres, un parc qui contenait nos stades et le musée d’Art.

Notre organisation sociale vous paraîtrait curieuse et impossible. En réalité, la Terre abritait deux peuples différents, les tekns et les trills.

Les tekns, infime minorité, comprenaient les savants, les chercheurs, les ingénieurs, les médecins des hôpitaux, certaines catégories d’écrivains. Je me suis souvent demandé si ce terme ne dérivait pas lointainement de votre mot « technicien ». Ce n’était nullement une caste héréditaire ou fermée. Chaque enfant, selon ses aptitudes et ses goûts, était classé, vers l’âge de 16 ans, parmi les tekns ou les trills. Un trill qui, plus tard, montrait des aptitudes pour les sciences, pouvait demander sa reclassification comme tekn. Le cas était cependant rare.

Le principe de base de notre civilisation est que la science est un outil puissant, bénéfique … et dangereux ! Il vaut mieux être ignorant qu’à demi savant, et la science ne doit pas être confiée à des personnes d’une moralité douteuse. Tout jeune homme ou toute jeune fille qui était classé comme tekn devait jurer, devant le conseil des Maîtres, de ne jamais révéler à qui que ce soit, en dehors de la classe des tekns, aucune connaissance scientifique dont la divulgation n’avait pas été permise. À l’intérieur de la classe, il n’en allait pas de même, et chacun était libre de discuter ce qu’il voulait avec tout autre tekn, même d’une discipline différente. La pénalité, pour toute violation de la loi, était terrible : exil à vie sur Pluton, sans espoir de retour.

Tout tekn ne devait de comptes, sauf acte criminel bien entendu, pratiquement inconnu d’ailleurs, qu’au conseil des Maîtres en dernier ressort, et, plus souvent, au Maître des hommes.

Les trills, eux, formaient tous les autres corps de métier : mécaniciens — qui assez souvent passaient tekns — nourriciers (catégorie qui englobe les équivalents de vos boulangers, bouchers, épiciers, etc.), acteurs, artistes, écrivains, etc. Il n’y avait aucune haine ni rivalité entre les classes, car, à part le fait de ne dépendre que des Maîtres, le statut de tekn ne donnait aucun avantage social en temps normal. Il était bien rare qu’une famille ne comptât pas un ou plusieurs tekns, et le fils du boulanger, par exemple, pouvait parfaitement être Maître du ciel, et son fils à son tour redevenir boulanger. En ce sens que tout enfant avait réellement en naissant les mêmes chances, nous étions une vraie démocratie, bien plus que les vôtres !

Les trills avaient leur gouvernement, qui possédait ses propres techniciens, tekns ou non, selon le cas. En cas de conflit entre un tekn et le gouvernement, le Grand Conseil, formé du conseil des Maîtres et du gouvernement trill, tranchait le litige. Si cela était impossible, on faisait appel à la troisième classe sociale, la moins nombreuse, puisqu’elle ne comprenait que 250 membres, le Tribunal suprême.

Nos mœurs étaient assez différentes des vôtres, quoique notre morale ait été fondamentalement la même. Depuis que j’ai échoué dans votre époque, j’ai pu étudier des textes qui pour nous étaient perdus, textes bouddhiques en particulier, et je suis arrivé à la conclusion qu’étant donné la nature humaine, il n’y a qu’une seule morale possible pour des États civilisés, trouvée et perdue mainte fois, avec des variations de détails. Nous étions bien plus larges en matière sexuelle que vous, par exemple, et nos mœurs permettaient la polygamie, laissant à chacun le soin d’arriver à un état stable …, s’il le pouvait ! Il existait diverses religions, dont l’une assez voisine de votre christianisme, et peut-être lointainement dérivée de lui ; mais beaucoup de nos concitoyens étaient agnostiques, sans qu’il y en eût davantage parmi les tekns que parmi les trills. Depuis longtemps nous pratiquions le contrôle des naissances, sans que ce contrôle devînt tyrannique. Le gouvernement trill, comme le conseil des Maîtres, agissait plus par éducation et persuasion que par contrainte, en temps normal. Et, cela vous surprendra probablement, en votre siècle de prosélytisme hargneux, le comble de la mauvaise éducation, aussi bien chez les tekns que chez les trills, était de prétendre détenir la vérité, l’unique Vérité ! À l’exception bien entendu des discussions scientifiques !

Et maintenant mon histoire, et celle du Grand Crépuscule.

CHAPITRE III

LE SOLEIL VA EXPLOSER !

Je suis Né à Huri-Holdé, au numéro 7682 de la Stanatine, la rue verte, diriez-vous, le cent douzième jour de l’année 4575. J’avais un frère aîné, Sark, qui, bien que classé tekn, préféra devenir trill, et était un des peintres les plus appréciés d’Huri-Holdé. Mon père, Rahu, était également un trill, auteur dramatique connu, sans être génial ; ma mère, Aphia, était une tekn, astrophysicienne à l’observatoire de Téphantior, dans l’hémisphère sud.

Ma vie d’enfant fut heureuse, sans histoire. Très vite, à l’école, je me signalai par mon absorption rapide et gloutonne de toutes les connaissances scientifiques non classées, et, dès l’âge de 12 ans, il fut évident que je serais un tekn. Mon seul autre intérêt semble avoir été à cette époque le jeu de rekin, sorte de rugby à trois dimensions, joué dans des champs antigravitiques, et où ma très grande taille m’avantageait.

À 15 ans, un an en avance, je subis l’examen psychotechnique et fus classé comme tekn. Je quittai alors l’école commune et suivis des cours spéciaux à l’université préparatoire, jusqu’à 18 ans. Je dus alors prêter le serment.

Je me souviendrai toujours de ce jour. L’avant-veille, j’avais passé un examen difficile, trop difficile. C’était aussi, sans que je le sache, le suprême test, celui de loyauté. Enfermé tout seul dans une salle, avec le texte des problèmes qui, je l’appris plus tard, avaient été volontairement choisis très au-dessus de mon niveau, et, posé négligemment sur une table, comme oublié, le-manuel de référence contenant les solutions, j’ai passé là des heures épouvantables. J’avais été informé que si je ne résolvais pas les problèmes, ma classification comme tekn pourrait être revisée. Je soupçonnais que la présence du manuel était un piège, mais je savais ayant été invité à le vérifier, qu’il n’existait aucun moyen de m’épier. Je résistai à la tentation et remis une copie presque blanche, ayant réussi à trouver la solution d’un seul problème sur six, et d’une manière qui n’était pas du tout orthodoxe, me dit plus tard le maître des Nombres. Bien me prit de ne pas tricher. J’aurais été impitoyablement rejeté.

Le matin du serment, je revêtis pour la dernière fois mes habits habituels, de couleur claire. Désormais, je serais vêtu, toute ma vie, de gris foncé. Je fus conduit tout à fait en haut du palais du Conseil, la Solabac, disions-nous, devant le conseil des Maîtres. Ils étaient tous là, même les Maîtres martiens ou vénusiens, derrière une grande table de nickel, en forme de croissant. La salle était immense, et je me sentais perdu, tout seul, face à ces formidables intelligences.