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Le silence se prolongea entre eux durant quelques secondes, un silence presque oppressant, et finalement Pelorat, qui voulait orienter la conversation dans une autre direction, reprit : « Pourquoi fixez-vous ainsi l’écran ?

— L’habitude, dit Trevize avec un sourire quelque peu désabusé. L’ordinateur me dit qu’aucun vaisseau gaïen ne me suit et qu’aucune flotte seychelloise ne vient à ma rencontre. Je continue malgré tout à l’observer avec anxiété, conforté par mon propre échec à discerner de tels vaisseaux, alors que les senseurs de l’ordinateur sont des centaines de fois plus aigus, plus perçants que mes yeux. Qui plus est, l’ordinateur est capable de déceler certaines propriétés de l’espace très précisément, des propriétés qu’en aucune condition mes sens ne seraient capables de percevoir – et sachant tout cela, je n’en continue pas moins à le fixer.

— Golan, si nous sommes réellement des amis…

— Je vous promets de ne rien faire qui chagrine Joie ; du moins, dans la mesure du possible.

— Il s’agit à présent d’autre chose. Vous me dissimulez votre destination, comme si vous ne me faisiez pas confiance. Où allons-nous ? Tendriez-vous à croire que vous savez où se trouve la Terre ? »

Trevize leva les yeux, haussa les sourcils. « Je suis désolé. J’ai gardé pour moi mon secret, pas vrai ?

— Oui, mais pourquoi ?

— Pourquoi, en effet. Je me demande, mon ami, si Joie n’en est pas la cause.

— Joie ? Serait-ce parce que vous ne voulez pas qu’elle le sache ? Franchement, vieux compagnon, on peut lui faire une totale confiance.

— Ce n’est pas cela. A quoi bon lui faire ou non confiance ? Je la soupçonne de pouvoir m’extirper de l’esprit tous les secrets qu’elle voudra. Non, je crois avoir une raison plus puérile. J’ai l’impression que vous ne faites attention qu’à elle et que je n’existe plus. »

Pelorat eut l’air horrifié. « Mais ce n’est pas vrai, Golan.

— Je sais, mais j’essaie d’analyser mes propres sentiments. Là, vous êtes venu me voir uniquement à cause de vos craintes pour notre amitié et, à y réfléchir, j’ai comme l’impression d’avoir ressenti les mêmes craintes. Sans avoir ouvertement voulu l’admettre, je crois bien avoir eu l’impression que Joie nous a séparés. Et si je râle ainsi et vous dissimule certaines choses avec mauvaise humeur, c’est peut-être simplement pour chercher à rétablir l’équilibre. Puéril, je suppose.

— Golan !

— J’ai dit que c’était puéril, n’est-ce pas ? Mais quel individu n’est pas puéril de temps à autre ? Quoi qu’il en soit, nous sommes bel et bien amis. C’est une affaire entendue et par conséquent je ne vais pas m’amuser plus avant à de tels jeux. Nous nous dirigeons vers Comporellon.

— Comporellon ? » dit Pelorat, décontenancé.

« Vous vous souvenez certainement de mon ami le traître, Munn Li Compor. Nous avions fait tous les trois connaissance sur Seychelle. »

Le visage de Pelorat s’illumina visiblement. « Bien sûr que je me souviens. Comporellon était le monde de ses ancêtres.

— S’il a dit vrai. Je ne crois pas obligatoirement tout ce que raconte Compor. Mais Comporellon est un monde connu et Compor disait que ses habitants connaissaient la Terre. Eh bien, dans ce cas, nous allons en juger par nous-mêmes. Il se peut que ça ne débouche sur rien mais c’est le seul point de départ dont nous disposions. »

Pelorat se racla la gorge, l’air dubitatif. « Oh ! mon cher ami, en êtes-vous sûr ?

— Il n’y a pas matière à être sûr ou pas sûr. Nous avons un unique point de départ et, si faible soit cet indice, nous n’avons d’autre choix que de le suivre.

— Oui, mais si nous agissons sur la base de ce que nous a raconté Compor, peut-être devrions-nous dans ce cas considérer l’ensemble de ce qu’il nous a raconté. Je crois me souvenir qu’il nous a dit, avec la plus grande insistance, que la Terre n’existait pas en tant que planète vivante – que sa surface était radioactive et qu’elle était totalement dénuée de vie. Et s’il en est ainsi, alors nous allons sur Comporellon pour rien. »

8.

Tous trois déjeunaient dans la salle à manger, qui se trouvait par le fait littéralement bondée.

« Tout ceci est délicieux », dit Pelorat avec une intense satisfaction. « Cela fait-il partie de notre approvisionnement initial de Terminus ?

— Non, pas du tout, dit Trevize. On l’a épuisé depuis belle lurette. Non, cela fait partie des vivres que nous avons achetés sur Seychelle, avant de prendre le cap de Gaïa. Inhabituel, n’est-ce pas ? Ce sont diverses variétés de fruits de mer, mais en plutôt croquant. Quant à ce produit… j’avais l’impression que c’était du chou lorsque je l’ai acheté mais ça n’en a pas du tout le goût. »

Joie écoutait mais ne dit rien. Elle chipotait dans son assiette.

Pelorat lui dit avec douceur : « Il faut manger, chérie.

— Je sais, Pel, et je mange. »

Trevize intervint, cachant mal un rien d’impatience : « Nous avons de la nourriture gaïenne, Joie.

— Je sais, dit celle-ci, mais j’aime mieux la conserver. Nous ne savons pas combien de temps nous serons dans l’espace et puis il faudra bien que je m’habitue à manger de la nourriture d’Isolat.

— Est-ce donc si mauvais ? Ou bien Gaïa ne doit-elle que manger Gaïa ? »

Joie soupira. « A vrai dire, nous avons un dicton : “ Quand Gaïa mange Gaïa, rien n’est perdu ni gagné ”. Ce n’est rien de plus qu’un transfert de conscience du bas en haut de l’échelle. Quoi que je mange sur Gaïa, c’est Gaïa, et quand la plus grande partie en est métabolisée et devient moi-même, c’est encore et toujours Gaïa. En fait, par l’acte même de manger, une partie de ce que je mange a une chance de participer à une intensité de conscience plus élevée, tandis que, bien entendu, d’autres portions sont transformées en déchets sous l’une ou l’autre forme et par conséquent s’enfoncent au bas de l’échelle de la conscience. »

Elle prit une grosse bouchée, la mâcha avec vigueur durant quelques secondes, déglutit puis reprit : « Tout cela représente une vaste circulation. Les plantes croissent et sont mangées par des animaux. Les animaux mangent et sont mangés. Tout organisme qui meurt est incorporé dans les cellules des moisissures, des bactéries et ainsi de suite… encore et toujours Gaïa. Dans cette vaste circulation de la conscience, même la matière non organique a sa place, et tout ce qui circule a périodiquement sa chance de participer à des niveaux de conscience élevés.

— On pourrait dire la même chose de n’importe quelle planète, remarqua Trevize. Chaque atonie en moi a une longue histoire durant laquelle il peut avoir fait partie de quantité d’êtres vivants, y compris des humains, et durant laquelle il peut également avoir passé de longues périodes comme élément de l’océan, ou dans un bloc de charbon, ou dans un rocher, ou bien encore dans le vent qui nous souffle dessus.

— Sur Gaïa, toutefois, observa Joie, tous les atomes font également en permanence partie intégrante d’un niveau de conscience planétaire plus élevé dont vous ne pouvez rien savoir.

— Eh bien, s’enquit Trevize, qu’arrive-t-il dans ce cas à ces légumes de Seychelle que vous êtes en train de manger ? Deviennent-ils partie intégrante de Gaïa ?