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Se pouvait-il que ce soit la Terre ? La même force qui dissimulait si efficacement le monde des origines, même à rencontre des plus grands mentalistes de la Seconde Fondation, cette force était-elle à l’œuvre pour circonvenir sa quête de la Terre à son tout premier stade ? La Terre était-elle omnisciente ? Omnipotente ?

Trevize secoua la tête. Ce genre de raisonnement menait tout droit à la paranoïa. Allait-il rendre la Terre responsable de tout ? Chaque bizarrerie de comportement, chaque tournant de la route, chaque changement de situation devait-il être le résultat des secrètes machinations de la Terre ! Qu’il se mette à penser de la sorte et il était fichu.

A ce point de ses réflexions, il sentit le véhicule ralentir et fut brutalement ramené à la réalité.

Il s’aperçut qu’il n’avait pas jeté un seul coup d’œil sur la ville qu’ils étaient en train de traverser. Il décida de combler son retard, avec une certaine avidité. Les édifices étaient bas mais c’était une planète froide – la majorité des constructions devaient être souterraines.

Il ne vit nulle trace de couleur et cela lui parut aller à rencontre de la nature humaine.

A l’occasion, il pouvait apercevoir un passant, bien emmitouflé. Mais là aussi, les gens, comme les bâtiments, devaient sans doute être sous terre.

Le taxi s’était arrêté devant un vaste édifice bas, situé dans une dépression dont le fond restait dérobé à sa vue. Quelques instants s’écoulèrent et le véhicule ne bougeait toujours pas, son chauffeur tout aussi immobile. Son haut bonnet blanc touchait presque le toit de l’habitacle.

Trevize se demanda fugitivement comment l’homme s’arrangeait pour monter et descendre du véhicule sans l’accrocher puis il dit, de ce ton de colère maîtrisée qu’on était en droit d’attendre d’un fonctionnaire hautain traité cavalièrement : « Eh bien, chauffeur, à présent ? »

La version comporellienne du champ de force scintillant qui tenait lieu de séparation entre le chauffeur et ses passagers n’avait rien de primitif. Les ondes sonores pouvaient la traverser – même si Trevize était persuadé qu’elle demeurait hermétique aux objets matériels mus par une énergie raisonnable.

« Quelqu’un va venir vous prendre, répondit le chauffeur. Restez patiemment assis. »

Au moment où il disait ces mots, trois têtes apparurent en une lente ascension régulière, venant de la dépression où reposait l’édifice. Suivit bientôt le reste des corps. A l’évidence, les nouveaux venus grimpaient l’équivalent d’un escalator mais, de son siège, Trevize était incapable de voir les détails de l’installation.

Alors que les trois personnages approchaient, la porte de leur compartiment s’ouvrit, livrant passage à un flot d’air froid.

Trevize descendit, rattachant le col de son manteau. Les deux autres le suivirent – non sans une considérable réticence pour ce qui était de Joie.

Les trois Comporelliens offraient un aspect informe, avec leurs vêtements gonflants, sans doute chauffés électriquement. Trevize en conçut du mépris. Ce genre d’attirail n’avait guère d’emploi sur Terminus et la seule fois qu’il avait emprunté un manteau chauffant durant l’hiver, sur la planète voisine d’Anacréon, il avait découvert que le vêtement avait tendance à chauffer peu à peu de sorte que, le temps de s’en apercevoir, il transpirait désagréablement.

Tandis que les Comporelliens approchaient, Trevize nota, non sans indignation, qu’ils étaient armés. Et qu’ils ne cherchaient pas à dissimuler la chose. Tout au contraire. Chacun arborait un éclateur dans un étui passé à l’extérieur du manteau.

Ayant avancé d’un pas pour affronter Trevize, l’un des Comporelliens lança d’une voix rogue : « Excusez-moi, conseiller », avant d’ouvrir son manteau d’un mouvement brusque et de glisser dessous des mains fureteuses qui lui parcoururent rapidement les flancs, le dos, la poitrine, les cuisses. Le pardessus fut secoué puis tâté. Trop abasourdi par l’étonnement et la confusion, Trevize ne se rendit compte qu’une fois l’opération finie qu’il venait d’être l’objet d’une fouille aussi rapide qu’efficace.

Le menton baissé et la bouche déformée par une grimace, Pelorat était en train de subir la même indignité entre les mains du second Comporellien.

Le troisième s’approchait de Joie qui n’attendit pas d’être touchée. Elle, en tout cas, savait plus ou moins à quoi s’attendre car elle se débarrassa brutalement de son manteau et, durant quelques secondes, resta immobile, exposée à la bise dans sa tenue incroyablement légère, et lança, d’une voix aussi glaciale que la température ambiante : « Vous pouvez constater que je ne suis pas armée. »

Et certes, c’était pour tout le monde incontestable. Le Comporellien secoua le vêtement, comme si son seul poids pouvait lui indiquer la présence d’une arme – après tout, c’était possible –, puis il battit en retraite.

Joie remit son manteau, se blottissant dedans, et durant quelques instants Trevize admira son geste. Il connaissait ses sentiments à l’égard du froid mais elle n’avait pas laissé le moindre tremblement, le moindre frisson la trahir tandis qu’elle se tenait immobile en chemisette et pantalon (puis il se demanda si, au cours de l’alerte, elle n’aurait pas par hasard récupéré de la chaleur du reste de Gaïa).

L’un des Comporelliens fit un geste et les trois étrangers le suivirent. Les deux autres hommes leur emboîtèrent le pas. Les deux ou trois passants qui étaient dans la rue ne prirent même pas la peine de regarder ce qui se passait. Soit parce que le spectacle leur était trop habituel, soit, plus probablement, parce qu’ils avaient l’esprit occupé à rejoindre au plus tôt l’abri de leur destination.

Trevize découvrait à présent que les Comporelliens avaient gravi une rampe ascendante. Ils la descendaient maintenant, tous les six, et franchirent un sas presque aussi compliqué que celui d’un vaisseau spatial – destiné sans aucun doute à empêcher non pas l’air, mais la chaleur, de s’échapper.

Et puis, tout d’un coup, ils se retrouvèrent à l’intérieur d’un immense édifice.

Chapitre 5

Lutte pour le vaisseau

17.

L’impression première de Trevize fut qu’il était sur le plateau d’un hyperdrame – plus précisément, un mélo historique sur l’époque impériale. Il y avait un décor particulier, avec quelques variantes (qui sait, peut-être n’en existait-il qu’un seul, utilisé par tous les metteurs en scène), qui représentait la vaste cité planétaire de Trantor au temps de sa splendeur.

On retrouvait les larges espaces, le grouillement affairé des piétons, les petits véhicules qui fonçaient le long des couloirs à eux réservés.

Trevize leva les yeux, s’attendant presque à voir des aérotaxis grimper vers le renfoncement de cavités obscures, mais ce détail au moins était absent. En fait, une fois passée la surprise initiale, il était clair que l’édifice était bien plus exigu que ce qu’on aurait pu escompter voir sur Trantor. Ce n’était qu’un bâtiment, et non pas une partie d’un complexe qui s’étendait sans hiatus sur des milliers de kilomètres dans chaque direction.

Les couleurs également étaient différentes. Dans les hyperdrames, Trantor était toujours dépeinte comme incroyablement criarde et ses habitants étaient immanquablement affublés de vêtements parfaitement dénués de tout aspect pratique et utilitaire. Toutefois, cet assaut de couleurs et de fanfreluches était censé jouer un rôle symbolique car il signifiait la décadence (un point de vue qui était désormais obligatoire) de l’Empire en général et de Trantor en particulier.