— Ministre, répondit Trevize, vous êtes trop pressée. Vous promettez ce que vous ne pouvez tenir. Vous ne pouvez m’offrir refuge face à une requête de la Fondation exigeant que je lui sois livré.
— Conseiller, je n’ai jamais promis ce que je ne pouvais tenir. La requête de la Fondation ne concerne que votre vaisseau. Elle n’en a fait aucune vous concernant en tant qu’individu, vous ou l’un quelconque de vos passagers. La seule demande a trait à votre bâtiment. »
Trevize jeta un bref regard à Joie avant de demander : « Puis-je avoir votre permission, ministre, pour consulter un court instant le docteur Pelorat et mademoiselle Joie ?
— Certainement, conseiller. Je vous accorde un quart d’heure.
— En privé, ministre.
— On va vous conduire dans une salle et, au bout d’un quart d’heure, vous serez ramenés ici, conseiller. Dans l’intervalle, vous ne serez pas dérangés et nous ne chercherons pas non plus à espionner votre conversation. Vous avez ma parole et je la tiens toujours. Néanmoins, vous restez sous bonne garde, aussi ne faites pas la bêtise de tenter de vous échapper.
— Nous comprenons, ministre.
— Et quand vous reviendrez, nous comptons sur votre libre accord pour nous remettre le vaisseau. Dans le cas contraire, la loi suivra son cours, conseiller, pour votre plus grand désagrément à tous. Est-ce bien compris ?
— Parfaitement compris, ministre », dit Trevize en maîtrisant sa rage, car l’exprimer ne lui aurait absolument rien valu de bon.
18.
C’était une pièce exiguë mais elle était bien éclairée ; elle contenait un divan et deux chaises et l’on pouvait entendre le doux murmure d’un ventilateur. Dans l’ensemble, elle était manifestement plus confortable que le vaste et stérile bureau du ministre.
Un garde les y avait conduits, un grand type grave, les mains à portée de la crosse de son éclateur. Il resta dehors comme ils entraient et leur dit, d’un ton péremptoire : « Vous avez quinze minutes. »
A peine avait-il prononcé ces mots que la porte coulissante se refermait avec un bruit sourd.
« Je ne peux qu’espérer qu’on ne nous espionne pas, dit Trevize.
— Elle nous a donné sa parole, remarqua Pelorat.
— Vous jugez les autres à votre image, Janov. Sa prétendue “ parole ” ne suffira pas. Elle la rompra sans hésiter si elle le désire.
— Peu importe, intervint Joie. Je peux nous isoler.
— Vous avez un écran protecteur ? » demanda Pelorat. Joie sourit ; éclat soudain de ses dents blanches. « L’esprit de Gaïa, Pel. C’est un esprit gigantesque.
— Si nous sommes ici, nota Trevize avec colère, c’est à cause des limitations de ce gigantesque esprit.
— Que voulez-vous dire ? s’étonna Joie.
— Quand a éclaté la triple confrontation[1], vous m’avez effacé de l’esprit du Maire comme de celui de ce Second Fondateur, Gendibal. Aucun des deux ne devait à nouveau songer à moi, sinon de manière lointaine, indifférente. Je devais être désormais livré à moi-même.
— Nous étions obligés de le faire, dit Joie. Vous étiez notre ressource la plus importante.
— Oui. Golan Trevize, l’homme qui a toujours raison. Mais mon vaisseau, vous ne le leur avez pas ôté de l’esprit, hein ? Le Maire Branno ne m’a pas réclamé ; moi, je ne l’intéresse absolument pas, mais le vaisseau, en revanche, elle le réclame. Celui-là, elle ne l’a pas oublié. »
Joie fronça les sourcils.
Trevize poursuivit : « Réfléchissez-y. Gaïa a tranquillement supposé que j’étais compris avec le vaisseau, que nous formions une unité. Si Branno ne pensait pas à moi, elle ne penserait pas non plus au vaisseau. Le problème est que Gaïa ne comprend pas la notion d’individualité. Elle nous a considérés, le vaisseau et moi, comme un seul organisme ; c’était une erreur.
— C’est possible », dit doucement Joie.
« Eh bien, dans ce cas, dit Trevize tout net, c’est à moi de rectifier cette erreur. Il me faut mon vaisseau gravitique et mon ordinateur. C’est obligatoire. Par conséquent, Joie, assurez-vous que je garde le vaisseau. Vous pouvez contrôler les esprits.
— Oui, Trevize, mais nous n’exerçons pas ce contrôle à la légère. Nous l’avons fait dans le cadre de la triple confrontation mais savez-vous depuis combien de temps cette rencontre était prévue ? Calculée ? Pesée ? Ça a pris – littéralement – des années. Je ne peux pas simplement m’approcher d’une femme et lui modifier l’esprit pour faire plaisir à tel ou tel.
— Est-ce bien le moment… »
Joie poursuivit derechef : « Si je commence à suivre une telle voie, où nous arrêtons-nous ? J’aurais pu influencer l’esprit de l’agent à la station d’entrée et nous aurions franchi le poste sans encombre. J’aurais pu influencer l’esprit de l’agent dans le véhicule et il nous aurait laissés partir.
— Eh bien, puisque vous faites mention de cela, pourquoi ne pas l’avoir fait ?
— Parce que nous ignorons où cela pourrait mener. Nous ignorons les effets secondaires qui pourraient faire empirer la situation. Si je réajuste à présent l’esprit du ministre, cela affectera son comportement vis-à-vis de ceux avec lesquels elle entrera en contact et, puisqu’elle occupe un poste élevé dans son gouvernement, cela pourrait affecter les relations interstellaires. Jusqu’à ce que l’affaire soit totalement étudiée, nous n’osons pas lui toucher l’esprit.
— Alors, pourquoi rester avec nous ?
— Parce que le moment peut venir où votre vie sera menacée, je dois protéger votre vie à tout prix, même au prix du mon Pel ou de moi-même. Votre vie n’était pas menacée à la station d’entrée. Elle ne l’est pas non plus maintenant. Vous devez vous débrouiller seul, et continuer au moins jusqu’à ce que Gaïa soit en mesure d’estimer les conséquences d’une éventuelle action avant d’en décider. »
Trevize s’abîma dans une période de réflexion. Puis il dit : « Dans ce cas, il faut que je tente quelque chose. Ça pourrait ne pas marcher. »
La porte s’ouvrit, coulissant dans son logement aussi bruyamment qu’à sa fermeture.
« Sortez ! » dit le garde.
Comme ils émergeaient, Pelorat murmura : « Que comptez-vous faire, Golan ? »
Trevize hocha la tête et murmura : « Je ne suis pas entièrement certain. Je vais devoir improviser. »