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Pelorat ! Tiens, au fait. Il pénétra dans la chambre de ce dernier. « Y a-t-il ici de la place pour Joie, Janov ?

— Oh oui, tout à fait.

— Je peux transformer la salle commune en chambre pour elle. »

Joie leva vers lui ses grands yeux. « Je n’ai nul désir d’une chambre à part. Je suis tout à fait satisfaite de rester ici avec Pel. Je suppose, toutefois, que je puis utiliser les autres pièces si besoin est. La salle de gym, par exemple.

— Certainement, toutes les autres cabines sauf la mienne.

— Bien. C’est l’arrangement que j’aurais moi-même suggéré si j’avais eu à en décider. Naturellement, vous ne pénétrerez pas dans la nôtre.

— Naturellement », dit Trevize qui baissa les yeux pour découvrir que ses semelles dépassaient le seuil. Il recula d’un demi-pas et dit, maussade : « Il n’y a pas de quoi passer ici sa lune de miel, Joie.

— J’oserais dire que, vu l’exiguïté des lieux, ça conviendrait pourtant à merveille. Et encore, Gaïa les a agrandis de moitié. »

Trevize se retint de sourire. « Il faudra vous montrer très amicaux.

— Nous le sommes », dit Pelorat, que le sujet de la conversation rendait à l’évidence mal à l’aise, « mais franchement, mon bon ami, vous pouvez nous laisser nous arranger tout seuls.

— Justement non, répondit lentement Trevize, je veux bien vous faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un voyage de noces. Je n’ai aucune objection à ce que vous pouvez faire par consentement mutuel mais vous devez bien vous rendre compte que vous ne jouirez d’aucune intimité. J’espère que vous comprenez cela, Joie.

— Il y a une porte, observa cette dernière, et j’imagine que vous ne nous dérangerez pas lorsqu’elle sera verrouillée – en dehors bien sûr d’une réelle urgence.

— Bien sûr que non. Toutefois, il n’y a pas d’isolation phonique.

— Ce que vous essayez de dire, Trevize, dit Joie, c’est que vous entendrez, tout à fait clairement, toutes nos conversations, ou les bruits éventuels que nous sommes susceptibles d’émettre au cours de rapports sexuels.

— Oui, c’est ce que j’essaie de dire. Et, gardant ceci à l’esprit, je compte bien que vous en viendrez éventuellement à limiter ici vos activités en ce domaine. Ceci pourra vous paraître désagréable, et j’en suis désolé, mais c’est la situation telle qu’elle est. »

Pelorat se racla la gorge et dit doucement : « A vrai dire, Golan, c’est un problème que j’ai déjà dû affronter. Vous vous rendez bien compte que toute sensation que peut éprouver Joie, lorsque nous sommes ensemble, est éprouvée par Gaïa tout entière.

— J’y ai pensé, Janov », dit Trevize, l’air de retenir une grimace. « Je n’avais pas l’intention de l’évoquer – juste au cas où l’idée ne vous serait pas venue.

— Mais elle m’est venue, j’en ai peur », dit Pelorat.

Joie intervint : « N’en faites pas tout un plat, Trevize. A tout instant, il y a peut-être des milliers d’êtres humains, sur Gaïa, engagés dans des rapports sexuels ; des millions qui mangent, boivent ou se livrent à d’autres activités dispensatrices de plaisir. Tout cela suscite une aura générale de plaisir que Gaïa ressent, dans le moindre de ses éléments. Les animaux inférieurs, les plantes, les minéraux ont leurs plaisirs progressivement de plus en plus atténués qui contribuent de même à un plaisir de la conscience généralisé que Gaïa éprouve en tout temps et dans tous ses éléments, une joie qui n’est ressentie dans aucun autre monde.

— Nous avons nous-mêmes nos propres formes de plaisir, dit Trevize, que nous sommes en mesure de partager, d’une certaine manière, si nous le désirons ; ou de garder pour nous, si nous le désirons aussi.

— Si vous pouviez éprouver les nôtres, vous vous rendriez compte à quel point vous autres Isolats pouvez être déficients en ce domaine.

— Comment pouvez-vous savoir ce que je ressens ?

— Sans savoir de quelle manière vous ressentez, il est toutefois raisonnable de supposer qu’un monde de plaisirs partagés doit être plus intense que l’ensemble de ceux disponibles pour un unique individu isolé.

— Peut-être pas, mais même si mes plaisirs sont déficients, j’ai coutume de garder pour moi mes joies ou mes peines et de m’en satisfaire, si minces soient-elles, d’être moi-même et non le frère de sang du premier caillou venu.

— Ne raillez pas, dit Joie. Vous appréciez le moindre cristal minéral dans vos os et vos dents et n’aimeriez pas voir l’un d’eux endommagé même s’ils n’ont pas plus de conscience que n’importe quel cristal de roche de la même taille.

— C’est effectivement exact, admit Trevize, à contrecœur, mais nous avons réussi à glisser hors du sujet. Peu m’importe que Gaïa tout entière partage votre plaisir, Joie, moi, je ne tiens pas à le partager. Nous vivons ici dans un environnement exigu et je n’ai pas envie d’être forcé de participer à vos activités, même indirectement.

— Vous discutez bien pour rien, mon brave ami, intervint Pelorat. Je n’ai pas plus envie que vous de voir violer votre intimité. Ou la mienne, tant que nous y sommes. Joie et moi saurons rester discrets ; n’est-ce pas, Joie ?

— Il en sera selon votre désir, Pel.

— Après tout, dit Pelorat, nous avons toutes les chances d’être bien plus longtemps à terre que dans l’espace et sur les planètes, les occasions d’avoir une intimité véritable… »

Trevize l’interrompit : « Je me fiche de ce que vous pourrez faire sur les planètes, mais sur ce vaisseau, je suis le maître à bord.

— Exactement, dit Pelorat.

— Eh bien, maintenant que ceci est réglé, il serait temps de décoller.

— Mais attendez… » Pelorat le tirait par la manche. « Décoller pour où ? Vous ne savez pas où se trouve la Terre, moi non plus, Joie non plus. Idem pour votre ordinateur car vous m’avez dit depuis longtemps qu’il ne contenait pas la moindre information sur cette planète. Qu’escomptez-vous faire, alors ? Vous ne pouvez pas simplement errer dans l’espace au hasard, mon ami. »

A cela, Trevize sourit presque avec allégresse. Pour la première fois depuis qu’il était tombé dans l’étreinte de Gaïa, il se sentait maître de son propre destin.

« Je vous assure que je n’ai pas l’intention d’errer au hasard, Janov, lui répondit-il. Je sais exactement où je vais. »

7.

Pelorat entra tranquillement dans la salle de pilotage après avoir attendu de longs moments tandis que ses petits coups sur la porte demeuraient sans réponse. Il trouva un Trevize abîmé dans la contemplation du champ stellaire.

« Golan… » dit Pelorat, et il attendit.

Trevize leva les yeux. « Janov ! Asseyez-vous… Où est Joie ?

— Elle dort… Nous sommes en plein espace, à ce que je vois.

— Vous voyez correctement. » La légère surprise de son compagnon n’étonna pas Trevize. Dans les nouveaux vaisseaux gravitiques, il n’y avait tout bonnement aucun moyen de détecter un décollage. Il n’y avait aucun effet d’inertie ; aucune poussée d’accélération ; aucun bruit ; aucune vibration.

Doté de la capacité de s’isoler jusqu’à cent pour cent des champs gravitationnels extérieurs, le Far Star quittait une surface planétaire comme s’il flottait sur quelque mer cosmique. Et dans le même temps, l’effet gravitationnel à l’intérieur du vaisseau, paradoxalement, demeurait normal.