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En dépit de la tournure déconcertante et peut-être dangereuse que prennent les événements, l’épreuve des portes — le tirage des trois cartes — se conclut par un succès. Eddie Dean, désormais amoureux de la Dame d’Ombres, accepte de demeurer dans le monde de Roland. Detta Walker et Odetta Holmes, les deux autres cartes de Roland, fusionnent pour former une troisième personnalité lorsque le Pistolero parvient finalement à les contraindre à reconnaître leurs existences mutuelles. Cet hybride est capable d’accepter l’amour que lui porte Eddie et de l’aimer en retour. Odetta Susannah Holmes et Detta Susannah Walker deviennent ainsi une troisième femme : Susannah Dean.

Jack Mort périt sous les roues du même métro — ce fabuleux métro de la ligne A — qui avait sectionné les jambes d’Odetta quinze ou seize ans auparavant. Ce n’est pas une grande perte.

Et, pour la première fois depuis un nombre incalculable d’années, Roland de Gilead n’est plus seul dans sa quête de la Tour Sombre. Cuthbert et Alain, ses compagnons des temps enfuis, ont été remplacés par Eddie et Susannah… mais le Pistolero a tendance à se révéler une amère médecine pour ses amis. Très amère.

Terres Perdues reprend l’histoire de ces trois pèlerins de l’Entre-Deux-Mondes quelques mois après l’ultime confrontation près de la deuxième porte. Ils ont parcouru un assez long chemin vers l’intérieur des terres. Leur période de repos a pris fin, laissant la place à une période d’instruction. Susannah apprend à tirer… Eddie apprend à tailler le bois… et le Pistolero apprend ce que signifie perdre l’esprit par petits morceaux.

(Note : Les lecteurs connaissant bien New York constateront que j’ai pris certaines libertés avec la géographie de cette ville. J’espère qu’ils m’en excuseront.)

(…) Qu’un amas d’images brisées sur lesquelles frappe le soleil : L’arbre mort n’offre aucun abri, la sauterelle aucun répit, La roche sèche aucun bruit d’eau. Point d’ombre Si ce n’est là, dessous ce rocher rouge (Viens t’abriter à l’ombre de ce rocher rouge) Et je te montrerai quelque chose qui n’est Ni ton ombre au matin marchant derrière toi, Ni ton ombre le soir surgie à ta rencontre ; Je te montrerai ton effroi dans une poignée de poussière.
T.S. ELIOT
« La Terre vaine » (trad. de Pierre Leyris, in Poésie, Ed. du Seuil)
Si un chardon dépenaillé montait plus haut Que ses voisins, c’était sans tête — sinon l’herbe L’envierait. Qui avait pu trouer, déchirer La patience rude et sombre, assez meurtrie Pour perdre tout espoir de verdir ? Seule une brute Dut la broyer ainsi, avec un cœur de brute.
Robert BROWNING
« Le Chevalier Roland s’en vint à la Tour Noire » (trad. de Louis Cazamian, in Hommes et Femmes, Ed. Aubier Montaigne)

— Quelle rivière est-ce là ? s’enquit distraitement Millicent.

— Ce n’est qu’un ruisseau. Enfin, peut-être un peu plus qu’un ruisseau. On l’appelle le Perdu.

— Vraiment ?

— Oui, dit Winnifred.

Robert AICKMAN « Hand in Glove »

LIVRE I

JAKE

L’EFFROI DANS UNE POIGNÉE DE POUSSIÈRE

I

L’OURS ET L’OS

1

C’était la troisième fois qu’elle tirait de vraies balles… et la première fois qu’elle utilisait l’étui que lui avait fabriqué Roland.

Ils avaient des munitions en abondance ; Roland avait rapporté plus de trois cents cartouches du monde où Eddie et Susannah Dean avaient vécu avant qu’il ne les tire. Mais l’abondance n’encourage pas le gaspillage, bien au contraire. Les dieux désapprouvent le gaspillage. C’était ce que le père de Roland, puis Cort, son maître, lui avaient enseigné, et il le croyait toujours. Les dieux ne punissent pas les pécheurs sur-le-champ, mais, tôt ou tard, il faut payer le prix de son péché… et plus l’attente est longue, plus le châtiment est lourd.

De toute façon, ils n’avaient pas eu besoin de vraies balles, du moins au début. Roland était un tireur d’élite depuis plus d’années que la belle femme noire clouée à son fauteuil roulant n’aurait pu l’imaginer. Il s’était contenté de corriger sa visée en la regardant braquer son arme vide sur les cibles qu’il avait installées à son intention. Elle apprenait vite. Eddie aussi.

Comme il s’en était douté, c’étaient tous les deux des pistoleros-nés.

Ce jour-là, Roland et Susannah s’étaient rendus dans une clairière située à un kilomètre environ du campement qui leur servait de foyer depuis presque deux mois. Les jours s’étaient écoulés, paisibles et semblables. Le Pistolero avait guéri de ses blessures pendant qu’Eddie et Susannah suivaient son enseignement : il leur apprenait à tirer, à chasser, à vider et à nettoyer les bêtes qu’ils avaient tuées ; à étirer, puis à tanner et à traiter leurs peaux ; à tirer parti le plus possible de leurs prises ; à retrouver le nord grâce au Vieil Astre et l’est grâce à la Vieille Mère ; à écouter la forêt dans laquelle ils se trouvaient, une centaine de kilomètres au nord de la Mer Occidentale. Ce jour-là, Eddie était resté seul au campement, et le Pistolero n’en était nullement décontenancé. Roland savait que les leçons qui marquaient le plus durablement étaient toujours celles que l’on apprenait de soi-même.

Mais la plus importante de toutes les leçons n’avait pas changé : comment tirer, comment atteindre sa cible à tous les coups. Comment tuer.

La clairière était bordée au nord par un demi-cercle grossier de sapins sombres et odoriférants. Au sud, le terrain se faisait chaotique et descendait sur une hauteur de cent mètres, formant un gigantesque escalier de corniches et de falaises fracturées. Un ruisseau jaillissait des bois pour traverser la clairière en son centre, bouillonnant au fond de son lit bordé de mousse et de pierre friable avant de se déverser sur une plage de roc fissuré donnant sur le vide.