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San-Antonio

T'es beau, tu sais !

PITRE PREMIER

— On dirait des guignols, hein ? note Marie-Marie.

— Chut ! objecté-je. Doucement, môme. Bien que la langue française soit en régression, elle est encore utilisée, ou du moins comprise par certaines peuplades.

— Full ! annonce le liftier.

Une grosse vache rousse, qui planque son goitre derrière seize rangs de perles fines, maugrée en voyant se refermer les portes de l’ascenseur devant son nez en forme de tubercule.

La cabine est assez spacieuse. Capacité 12 personnes, annonce un panneau de cuivre au-dessus des boutons.

Chacun des passagers réclame son étage. Le liftier, un petit Canarien frisotté, claviote le sélecteur d’un index agile.

— Tu vois, ronchonne Miss Tresses, époustouflante dans sa robe d’organdi bleue à fanfreluches rouges et blanches (vive la France !), ce qu’a de tartant, à mon âge, c’est qu’en public t’as le pif à l’hauteur du dargeot de tes comporains. J’me croirais sur les flancs de ce volcan à la mords-moi le nœud papillon, dans une culée de larves… Y s’appelle comment, déjà, le volcan de Tenerife ?

— Le Teide, moustique.

— Et y m’sure ?

— Près de 4 000 mètres !

— Pour une p’tite île commak, c’est vraiment gâcher la marchandise. T’en filerais la moitié à la Hollande, ils pavoiseraient, là-bas !

Elle a disparu dans le grouillement de la cabine, la musaraigne. Je sens sa menotte frémir dans la mienne. Sa voix acidulée monte du magma humain, comme d’un puits.

L’ascenseur opère un premier arrêt au troisième. Un couple d’Américains nous quitte. Lui est en smoking vert bouteille, à revers jaunes, qui s’harmonise admirablement avec sa chemise de soie mauve et son pantalon à damiers rouges et noirs. Elle, porte une combinaison blanche, peinte à la main. On a brossé un chat angora à la fourche de la partie pantalon et deux grosses pommes à l’emplacement des seins. L’effet est infiniment artistique et évocateur. Leur déboulement met un peu de bien-être dans la cage d’acier. L’appareil à air conditionné ronronne doucement, tandis qu’un discret haut-parleur diffuse une musique d’ambiance.

— En somme, on est déjà l’année prochaine ? demande Marie-Marie, depuis sa forêt de culs.

Son allusion a trait au fait que nous venons d’aborder le 1er janvier, parmi une grande liesse de touristes à forte majorité germanique. Les dernières chandelles du feu d’artifice sifflent encore au-dessus de Puerto de la Cruz.

— En somme, oui, admets-je. Une année toute fraîche, ma chérie !

— M’appelle pas ma chérie ! glapit la Teigne.

— Ah bon, à cause ?

— Tu gaspilles ! Y t’restera quoi, quand on se mariera, plus tard ?

— Je trouverai autre chose, promets-je.

Septième étage. Trois autres personnes déhottent. Des Allemands grassouillards. Un couple de quinquagénaires rose porc, plus la maman à madame, obèse, frisottée. Ouf ! nous nous trouvons maintenant en petit comité. Y a de la détente. On se communique du regard cette sympathie spontanée qui lie des rescapés. Les gens, vous noterez, ont un confus besoin de se sentir « entre eux ». Tiens, au cours d’une soirée, dès que sont parties quelques fournées d’invités, un lien se crée entre ceux qui restent, n’importe leur âge ou leurs affinités. Et chez le toubib ? T’arrives, le salon d’attente est plein, personne ne moufte. Y z’osent pas tousser. Une dame qui laisse tomber son sac à main, et toutes les physionomies se dressent, comme à une incongruité. Bon, ça se dissémine. Peu à peu se produit un allégement de l'atmosphère. Des yeux se sourient… Au bout d’un moment, quand les effectifs sont réduits, ça bavasse. Le dernier qui reste avec toi, tête à tête, tu lui expliques ta chaude-pisse et lui te raconte son polype, plus les hémorroïdes à sa bonne femme.

L’ascenseur continue sa grimpette. Sur le cadran des étages, des chiffres s’allument et s’éteignent. Déjà, un vieux monsieur s’avance. Bel homme encore. Il porte un smoking noir, bien coupé. Il a des cheveux de neige. Cinquante centimètres de serpentin orange pendent à son épaule.

Il est tout bronzé, ce qui met foutralement son abondante chevelure en valeur. Il ressemble à Joseph Kessel, en plus svelte.

Tout à coup : crac !

Panne. Noir complet, immobilité. Nous sommes dans une obscurité tellement dense et hermétique qu’en comparaison, une photo en négatif de Paul VI sur une piste de ski ressemblerait à un pot de yaourt[1].

Et puis le silence suit. Le silence de la peur. La musique s’est tue, l’appareil à air conditionné est inerte.

Le petit liftier cogne la porte métallique du poing.

Comme ça, juste pour dire…

— C’est les plombs qu’a sauté ? me demande Marie-Marie d’une voix moins fiérote.

— Long dix raies, môme, ratifié-je en battant du briquet.

La petite flamme juchée dans le creux de mon poing rassure. A partir du moment où t’as macéré dans le noir intégral, te faut pas grand-chose comme lueur pour créer une impression de vive lumière…

Des visages effrayés luisent. Outre le liftier et nous, y a le vieillard dont je vous ai fait état quelques lignes plus haut, un couple entre deux âges (et entre deux étages) plus un grand pédé allemand, coiffé à l’épagneul breton et vêtu de velours noir.

Le couple est hollandais, c’est donc dans la langue de Rembrandt que la dame dit sa trouille. Le liftier la brame en espagnol, sans cesser de tambouriner. Visiblement il déplore sa profession et regrette de ne pas s’être fait plagiste. La pédale teutonne éructe ses craintes dans cette maladie de gorge qui s’appelle « l’allemand », tandis que le vieillard aux cheveux de neige (Dieu. la belle image !) se contente de soupirer :

— Well, well, well !

Ce qui, nul à bord de cet ouvrage n’en ignore, tendrait à faire croire qu’il parle anglais comme père et mère Windsor.

Suit une période de confusion. Les passagers de l’ascenseur échangent des inquiétudes, d’abord dans leurs dialectes maternels, ensuite en anglais moderne.

La personne néerlandaise suggère que, l’appareil à air conditionné s’étant arrêté et la cabine paraissant étanche, nous allons, si la panne dure, périr d’asphyxie.

Histoire de ne pas être en reste de mauvais présage, la folle guêpe germaine préfère supposer que le treuil de l’ascenseur va craquer et que nous chuterons librement dans les entrailles de l’hôtel où nos os deviendront cendre et poudre.

Ainsi se crée la panique.

Le garçon d’ascenseur récite à haute voix des « Notre père quête z’aux cieux » et des « Je vous allume Harry » qui pour être lâchés en espagnol, n’en sont que plus fervents.

— T’as pas les jetons, fifille ? demandé-je à ma petite camarade de panne.

— Avec toi, jamais ! bredouille la mauviette dont la main moitit.

La femme des Pays-Bas se met à glapir, fräulein ma Rondelle à hurler. Le liftier récite son acte de construction.

Je décide alors de « faire quelque chose ».

Je confie mon briquet au old monsieur. J’empare un canif à manche de nacre dont la lame est very résistante. Me mets à dévisser la plaque d’évacuation située au plaftard. Pour ce faire, me perche sur les épaules hollandaises du zuydersien, tandis que le beau vieillard en smoking me brandit la flamme bleutée de mon Cartier guilloché. En quelques minutes je dégage l’ouverture. Un souffle d’air caverneux nous tombe sur la coloquinte. Petit rétablissement et me v’là juché sur le toit de la cabine. Le briquet m'est transmis, tel le flambeau olympique. Il me permet de constater que nous sommes à un bon mètre de l’étage supérieur. Que fait le mignon Santonio ? Je devrais pas vous en causer car ça carbonise mes batteries, mais je déteste les crachoteries. Moi, je joue franco surtout lorsque je me trouve en territoire espagnol : rien dans les pognes, rien dans les fouilles. Ce que je vais vous bonnir se loge dans ma chaussette. Il s’agit d’un démonte-pneu. Je me l’extrais de sa planque et l’insinue dans la partie caoutchoutée située entre les deux vantaux coulissants de l’étage. Je cigogne à l’énergie. Les vantaux s’écartent légèrement. Mes efforts quintuplent (redoubler n’étant pas suffisant) et j’obtiens une ouverture suffisante pour permettre le passage d’un homme (ou d’une femme, à la rigueur).

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1

Subtil. hein ? Ça s’appelle la métaphore-gigogne.Des exclamations fusent, proférées en plusieurs langues. Car, contrairement à ce que des connards se figurent, l’onomatopée n’est pas internationale.