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J’introduis (si je puis dire) Mam’zelle Follingue dans « ma » chambre.

— Asseyez-vous, je vous commande quelque chose ?

— Non, merci, j’ai bu au bar en attendant que vous fussiez prêt.

On se visage. Dommage que ce faux jeune homme ne soit pas une vraie jeune fille, car il serait alors une « ravissante jeune fille ». La nature commet parfois des bévues. Moi, vous me connaissez. J’ai pas l’habitude de m’insurger contre les erreurs d’aiguillage du barbu ; je me contente de les déplorer…

— Vous ai-je dit que je m’appelais Charly Weeb ? murmure l’arrivant en papillotant des stores.

— Non, mais voilà qui est fait.

J’attends que mon évaporé y aille de son couplet. Dans ma position, faut toujours user de l’attentisme, sinon on risque de s’emberlificoter les pinceaux dans des baratins fumeux. Charly continue de me défrimer. Pour le coup, je sens croître un plant d’inquiétude dans le jardin de mes appréhensions, comme l’eût joliment écrit le général Massu dans son traité sur l’électrification des fellaghas. Pourquoi cet examen approfondi de ma physionomie ? Lui aurait-on fait un portrait parlé de Braham, et aurait-il des doutes ?

— Qu’y a-t-il ? jeté-je avec un feint détachement.

— Excusez-moi, fait le gentil jeune homme, mais vous avez mis un de vos sourcils à l’envers.

J’ai soudain un commencement de détresse dans le fondement.

— Vraiment ! riposté-je en me penchant sur un miroir.

Il est exact que, dans ma précipitance, je me suis filé un ramasse-miettes du mauvais côté. Ça me donne une expression clownesque. Récupérant tant bien que mal mon self-contrôle, j’arrache le sourcil pour le remettre en place.

— Je me suis rhabillé un peu trop précipitamment, dis-je.

Charly continue de sourire.

— Je ne voudrais pas être indiscret, mais je suis certain que vous devez être beaucoup plus bel homme sans ÇA.

D’un geste il a désigné ma perruque. Je lui vote une grimace évasive.

— Peut-être, mais vous vous doutez bien que, dans ma profession, on est contraint de respecter un certain folklore ; le métier a ses traditions.

— Vous changez souvent d’aspect ?

— Et vous ? je riposte.

Charly Weeb fronce les sourcils.

— Quoi, moi ?

— Vous changez de sexe alors que je me contente simplement de modifier mon aspect. Chez vous, la transformation est beaucoup plus radicale. C’est comment, votre véritable prénom, Charly ? Charlotte ?

Je monte le ton pour balayer l’expression indignée que mon vis-à-vis tente hâtivement de se composer.

— Ne protestez pas ! Je veux bien vous appeler « cher monsieur », si vous y tenez absolument, mais à la condition que vous me laissiez goûter vos lèvres. Vous possédez une bouche rigoureusement formidable et qui vous trahit beaucoup plus sûrement que ces délicates rondeurs qu’il est sacrilège de comprimer. C’est de la mutilation, ma chérie.

On évite un instant de se regarder. Quelque chose de neuf nous lie et nous trouble. Un sentiment confus qui, en quelques minutes, m’a révélé la vérité à propos de « mon visiteur ». C’est chouette, l’instinct. Révélateur, les effluves ! Percutant, les ondes ! La viande, qui ne raisonne pas, a ses raisons que la raison ignore. Elle comprend par osmose.

Dans une chambre voisine, des Allemands beurrés tentent de prolonger l’atmosphère de Noël, pourtant bien mortibus, en braillant à pleine voix « O Jean Ferrat ! O Jean Ferrat, que j’aime ta verdure ! »[7]. Le bruit perpétuel de l’océan rythme la nuit. Rien de plus lancinant, de plus désespérant, de plus agonique que ce va-et-vient du flot. La mer semble reculer vers les infinis, comme si elle venait de se soumettre à la terre. Une profonde docilité l’apaise. Y a une période confuse, au large, un papotage de vagues indécises. Et puis la v’là qui charge de plus belle, ayant puisé dans ce temps mort une nouvelle fureur galopante. Elle radine, crinière au vent, dans un élan cosaque…

— Vous paraissez bien sûr de votre diagnostic, soupire enfin ma compagne. Et si vous vous trompiez ?

Je ricane :

— Ce sont les autres qui me trompent ; pour ma part je joue toujours franc jeu avec moi-même. Vous êtes une fille !

— On parie ?

— On parie !

— Quoi ?

— Une nuit d’amour ! Tel est mon enjeu si vous êtes bien du beau sexe.

— D’accord. Mon enjeu à moi. c’est également une nuit d’amour, répond-elle du tac au tac.

Ma gorge se sèche. Dites, les gars, supposez que je me sois gouré !

Charly se dresse et pose sa veste sur le dossier de son siège.

Il dénoue sa cravate.

— Je continue ou on déclare forfait ? demande-t-il.

Je suis fasciné par sa poitrine. Y a du renflement à cet étage, mais c’est pas formellement le gabarit loloches. Il arrive à pas mal de bonshommes authentiques de charrier du dodu dans ce secteur.

— Continuez ! ordonné-je.

Le visiteur du soir déboutonne sa chemise. Dessous, il porte une espèce de tee-shirt très serré. Ce sous-vêtement ne s’enfile pas mais s’agrafe sur le devant. Charly réprime un léger sourire dont je ne sais s’il exprime la gêne ou au contraire l’ironie. Vous savez combien sont voisins, très souvent, les sentiments les plus contradictoires.

Je suis le jeu des crochets cédant l’un après l’autre. Croyez-moi ou allez vous faire… par les…[8] mais en vérité, c’est une forme du suspense.

Lorsque les six agrafes ont pété, le (ou la ?) décarpilleur saisit à deux mains les revers du tee-shirt pour les maintenir fermés. Il s’approche de moi. Son sourire s’humidifie. L’instant est capiteux. Y a de la tension artérielle jusque dans les pieds de ma chaise.

Ma parole d’homme, y m’brave, Charly !

C’est le gros défi édifiant.

L’affrontement délibéré.

Vlouttt !

D’un double geste vif il arrache le sous-vêtement !

Merci, Seigneur ! T’es bon avec San-Antonio. Irréprochable ! Sans rancune pour le pauvre pécheur que j’I am. C’est un vrai plaisir que de bondieuser avec Toi. La prochaine fois que je ferai la cuistance, y aura des Pater de foi et des navets Maria au menu ! Et puis des je croise en deux ! Des jeux-con-fesse ! Des actes de contribution ! On T’invoque et T’es là ! Homme ni présent ! Tu le mets jamais aux adorés absents ! Tu permanes ! Suffit qu’on ait atteint l’âge d’oraison, qu’on te supplie des trucs et tu les exauces. Notre Père qu’es exaucieux ! Nous sommes à ras terre et tu nous exhausses ! Ah, Dieu que je T’aime d’exister ! Ou de si bien faire semblant ! T’es un père, Dieu merci. Mon héros favori : Buffalo Bible ! Ja wohl, Yahveh ! Je descends à la Trinité ! Ta voix, Ton doigt, Ton royaume à quelques kilomètres. Scie-aile ! Pas radis ! Je te recommande mon âme, pour pas qu’elle se perde en route, et je garde le récépissé. J’sus Ton homme ! T’es mon home ! Mon haume ! Monôme ! Protège logos ! Le gosse ! Tout Ton petit monde ! Ceux qui croassent en Toi, et ceux qui signent Delacroix ! Cela va Dieu sec homme ! Mais sois loué (un bon prie-Dieu ! Ah ! Dieu, ton nom de Dieu, de bon Dieu, de sacré bon Dieu rayonne sur notre misère. Grâce Te soit rendue (sauf Grâce de Monaco qui, malgré son âge, peut encore servir ici-bas). Nous avons tant besoin de toits ! Vain Dieu ? Non ! Tonnerre de Dieu ! Borde aile de Dieu ! Aie pitié d’œufs ! Ils doutent de toi, te renient, le contestent, parce qu’ils sont malades, mourants, cocus, purulents, pauvres, abandonnés, sinistrés, biafrais, seuls, bernés, envahis, torturés, en faillite, remplacés, ridiculisés, anémiés, endeuillés, souffreteux. Parce qu’ils ont soif et n’ont rien à manger, parce qu’ils ont sommeil et ne peuvent plus baiser, parce qu’ils ont mal et ne peuvent pas remplacer leur poste de tévé. Parce que c’est immoral qu’une voiture neuve tombe en panne. Parce que leur gonzesse les fait suer. Parce que leurs enfants grandissent et les insultent. Parce que le merveilleux de Gaulle est rentré chez Vous. Parce qu’ils se sentent de gauche dans un régime de droite ou de droite dans un régime de gauche ! Parce que lorsqu’ils ont épousé leur femme elle n’avait pas de varices et que leur mère n’était pas encore veuve ! Parce qu’il ne devrait pas pleuvoir pendant les vacances ! Parce que les connards auxquels on signe des chèques ont l’infernal toupet de les foutre à l’encaissement ! Parce que des plus forts battent des plus faibles ! Parce qu’une bonne dose de L.S.D. Te remplace ! Parce que la pipe est plus soulageante que la prière ! Parce que c’est ainsi ! Parce qu’ils ont froid pendant que Boussac a chaud ! Parce que Mao sait toung ! Parce que ces salauds… Parce que ces gredins… Parce que le tiers ne devrait jamais être provisionnel ! Parce qu’il n’y a pas de raison pour que leur épouse brosse ailleurs ! Parce qu’il y en a de plus riches, de plus décorés, de mieux portants qu’eux-mêmes ! Parce qu’on fait toujours la guerre ! Parce qu’on la fera toujours ! Et encore pour des chiées de raisons aussi ridicules que les quelques-unes ci-dessus mentionnées, ils Te doutent, Dieu ! Prétendent que T’es bidon ! Te qualifient d’utopie ! Les monstres ! Les z’ingrats ! Punis-moi ces vaches, Dieu ! Fais-leur en ch… encore plus, pour leur apprendre à mourir (car, à vivre, ils sauront jamais). Barbouille-les plus mieux de gadoue, Dieu ! Qu’ils pissent le sang, défèquent leurs tripes, s’assèchent des glandes, ratatinent du zob ! La politesse, c’est d’avoir conscience des autres : eux sont trop mal polis pour être au net, Dieu ! Tu leur laisses trop prendre leur pied ! Ils disent que c’est Toi, le coït ! Pour Te dérisionner. Tu veux que je te dise, Dieu ? T’es trop bon diable !

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7

N’essayez pas toujours de comprendre, vous êtes agaçants à la fin !

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8

Allez, au travail, bande de faignasses ! Remplissez les blancs à la main !