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— Elle est à Lupanar-Desgonzès, en ce moment, la dame ?

— Elle est arrivée avant-hier.

Il y a un silence. Dehors, le dabuche se farcit une quinte d’atout qui manque lui faire glavioter les épluchures d’éponges lui servant à régénérer son raisin. Le monstre préhistorique que j’appelle señorita se précipite. J’en profite pour lâcher un salut et m’esbigner.

La putain de chignole, gagnée par l’émulation, tousse plus fort que l’écroulé avant d’accepter l’essence que je lui offre.

Répondant enfin à sa vocation profonde, la v’là qui redevient mobile.

Elle m’emporte dans un grondement apocalyptique vers la demeure de Mme veuve Nino-Clamar, la reine de la banane écrasée, chez qui mercredi soir le plus coûteux tueur à gages de l’après-guerre doit exécuter… un contrat !

PITRE NEUF

Etre talonné par le temps représente somme toute un avantage, car cela vous oblige à user de moyens que la réflexion vous détournerait d’employer[17]. Un citronnier… Pardon, qu’est-ce que je raconte ! Je voulais dire : ainsi tenez, présentement, à l’arrêt sur le promontoire servant de hauteur qui domine l’hacienda de la veuve Nino-Clamar, je contemple l’immense propriété et je me dis que je suis prêt à tout pour y pénétrer. Le procédé importe peu. Seul, le résultat compte. Air connu ! Qui veut la fin, veut…, etc. Faut pas avoir peur de se rebâcher les lieux communs de notre enfance, mes lapinoches ! Le proverbe populaire, comme les godasses éculées, n’est pas reluisant mais il soulage. Ayez toujours un dicton à portée de la bouche et nous ne blesserez jamais de la pensée.

Longeant la route, il y a un court de tennis. Sur ce court un couple fait des balles. Lui est un grand beau mec brun et bronzé ; elle une adorable blonde platinée, bronzée aussi, avec des jambes que je vous recommande pour vos parties de polochon. Elle porte une jupette que le vent retrousse, débusquant ainsi un pétrousquin qui assurerait le succès de vos vacances, quand bien même il pleuvrait à torrents. De temps à autre, au moment de ramasser les balles, le couple se retrouve au filet et se roule quelques pelles voraces. Je suppose qu’il s’agit là de la fille et du gendre de Mme Nino-Clamar. Des jeunes mariés, probablement.

Ma décision, je ne la prends pas, non : c’est elle qui me prend. Elle s’empare de moi sans que j’eusse à barguigner ni n’y songeasse. Faut se laisser aller, dans ces cas-là. Ton lutin intérieur agit pour toi. Fais-lui confiance, mec ! Obéis-y ! Il te mènera toujours sur les chemins de la réussite parce que lui, il a du pif.

Voilà que je sors mon couteau suisse à quarante-huit usages de ma fouille et dégage la lame-serpette. Un vrai petit druide ! J’allume une gauloise, pour faire plus frappant ! Et je fredonne la Druide de Schubert (paroles de Francis Blanche de l’Académie française). Le couteau posé sur le siège voisin, je dévale la pente à petite allure.

La Vévé tintinnabule comme un collier de négresse et pétarade plus fort qu’un bourrin au manège.

Le Santonio, tout son être est tendu, espérez. L’œil clairvoyant, il a. La détente sans cran de sûreté.

Je mate les grilles vertes du tennis. Le court commence à une boucle de la petite route poudreuse comme un rahat-loukoum Sur la droite, en face du tennis, l’est un gros eucalyptus au tronc boursouflé. Voilà qui me convient tout ce qu’il y a de parfaitement.

Je prends un peu de vitesse. Puis, parvenu à deux mètres de l’arbre, je champignonne à bloc, en amorçant un dérapage con trop laid. Ce que je souhaite se réalise : ma Coccinelle part en profil droit contre l’arbre. Même amorti, un choc reste un choc, j’ai beau m’y préparer en me cramponnant au volant, j’en détecte trente-quatre chandelles (y en a deux qui me sont cachées par le pare-soleil).

Pourtant je déambulais pas à plus de cinquante. Après ça vous vous demandez comment il peut subsister parfois un rescapé à bord d’un Boeing qui se plante à mille à l’heure dans le pic Harest !

J’open ma portière, non sans avoir récupéré mon ya qui a roulé sur le plancher. Je fais deux mètres, manière de me placer à l’arrière du véhicule, après quoi je chique au gus commotionné et je me laisse choir sur le talus. Un coup de serpette dans le boudin ! Il rend son âme fragile. Pousse son dernier soupir qu’une toile d’araignée contenait encore. Good bye, goodyear ! And good morninge, Dunlop ! Je glisse le coutif dans ma pocket.

A présent faut attendre un peu. A votre bon cœur, m’sieur-dame ! Le tap-tap des raquettes s’est tu. Je perçois quelques exclamations. Et puis un double bruit de pas sur le chemin. C’est le moment de revenir à toi, San-A. ! Je m’agenouille sur la route. Je suis poussiéreux. Ma pommette droite me fait souffrir. Y ayant porté la main, je constate qu’elle est entamée et saigne. Je me barbouille un peu le visage de mon sang français. Je chique au julot hébété.

Les deux tennismen se pointent en courant. Dieu, que la fille est belle ! De près, elle est féerique. Le mec qui se la respire n’a pas le droit d’en conserver l’exclusivité. Ce ne serait pas moral ! Un crime de lèse-amour ! Et puis d’abord, j’veux pas ! Faut que je lui prenne part au cérémonial. Que je la concélèbre, comme on dit dans la liturgie esthétique. J’en exige ! M’en faut !

— Il est blessé ! écrie la prodigieuse créature dans un espagnol teinté d’accent américain.

— Ce ne doit pas être très grave, murmuré-je (en anglais). Mon pneu arrière droit a éclaté. Rien d’étonnant, voyez le carrosse que j’ai déniché. Dur de faire le rallye de Monte-Carlo avec cette poubelle, eh ? Si j’avais su, j’aurais expédié ma Rolls par bateau. En tout cas, merci d’avoir pris la peine de vous déranger. Je suis navré de perturber votre partie. De même qu’un cigare n’a plus le même goût lorsqu’on le rallume, un match de tennis perd de son mordant quand on l’a interrompu…

Je m’écoute causer.

Je m’exhorte :

« Vas-y, mon gamin ! Chauffe ! Chauffe, Tonio ! Faut que tu les aies au gras-double ! A la menteuse. A la sympathie ! Que t’oublies rien. Que tu frappes tout terrain ! T’es un rupin en vacances ! Un beau garçon blasé ! Gentil ! Drôle ! Le zig de bonne compagnie ! Séduisant ! Courageux ! Oublie pas le geste désinvolte, le revers de main pour étancher négligemment le sang qui te pisse sur la devanture. C’est ta seule chance. Si ça foire, tu pourras plus rambiner, never (Orléans, Blois, Tours et Nantes). Toute la sauce, mec ! Faut les subjuguer, mon frère ! Néglige rien. Sors le grand développement ! Appelles-en à ta pointe de vitesse. »

J’enveloppe l’ensorcelante blonde d’un regard qui filerait des frissons à Sainte-Foy-lès-Lyon vierge-martyre, j’y mets tout mon potentiel séductif. Dans ce regard j’lui parle de mon comportement sexuel. Lui raconte la topographie de mes trois ménestrels. Lui ouvre des horizons salaces vertigineux. Lui pratique le lapin sauteur, le cordonnet abusif, la bougie démoniaque, le ramoneur fantasque. Lui explique la minouche triangulaire. Lui promets mon zémerveil, dans le raz d’Adda[18]. Je lui cigogne le parvis ! Lui hisse mon pêne[19]. Je lui raconte la manière que Sodome a rencontré Gomorrhe et comment qu’y z’ont fait pour avoir des filles de Lotte (à l’américaine) ensemble ! Je lui déballe ma cartoucherie ! Lui fais espérer le reste ! Me certifie conforme.

Je vois dans l’angle droit de sa prunelle gauche qu’elle intercepte le message. Me reçoit cinq sur cinq.

— Regardez un peu ce qu’on m’a loué, exalté-je en désignant la Vévé. Ils appellent ça une auto ! Le plus fort c’est qu’ils semblaient le penser. Un cimetière de bagnoles refuserait de l’héberger. Enfin, si je suis blessé, elle, du moins, est bien morte ! Ce sera ma consolation. Je viens très probablement de sauver des vies ! Je lui ai porté l’estocade ! Olé ! Motte la bête ! M. Volkswagen verrait ça, il en avalerait la Croix de fer de son grand-père ! Je vais arracher le sigle. Par pudeur ! L’Allemagne ne mérite pas cette infamie ! Elle a assez souffert, la malheureuse, avec toutes ces invasions et ces réévaluations. Voilà qui est fait. La carcasse est anonyme ! Bon pour la fosse commune ! Pas d’inscription, ou alors si : ceci fut une auto jadis, voilà tout ! Quelle folie fis-je de venir à Tenerife sans voiture. Moi qui en ai quatorze ! Neuves ! Mon vice c’est de les roder. Notez qu’une Rolls ça ne se rode pas. On vous la livre avec toutes ses avaries de vieillesse. Elle sent le neuf, mais c’est du chiqué. Un parfum d’usine. Une illusion. Elle est canonique dès le berceau. C’est une messe de requiem ! Belle, noble ! Avec grandes z’orgues ! Mais ici les chemins ne sont pas conçus pour. Inaptes à la recevoir. J’eusse mieux fait de m’expédier l’une de mes Porsche. Petits coursiers fringants ! Pur-sang arabes ! Ou non, attendez, une Alpine de ma chère France. Une merveille ! Une montre suisse ! Le rêve ! La mobilité sur quatre roues. La vraie, celle qui vous rend léger et puissant, invincible ! Une Alpine occulte ! Qui régénère, qui Régie Renault. Petit bouquet de chez nous ! Bluet, marguerite, coquelicot ! C’est la bicyclette de l’homme moderne. Ne jamais se déplacer sans. L’Alpine dans le train, toujours ! Jamais forget ! Quand je pars en voyage et que je fais ma check list dans ma salle de bains, je me la récite en bon ordre. Entre ma brosse à dents et mon rasoir électrique. Avant l’after shave… Alpine ! Ici, c’eût été l’idéal. Tiens, au fait, je vais me la faire expédier en express.

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17

C’est à des phrases de cette qualité qu’on mesure ce que j’aurais pu donner si je m’étais mis écrivain. au lieu de me mettre san-antonieur. D’accord, je ferais ch’suer tout le monde, mais j’aurais des articles dans les Nouvelles littéraires.

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18

Lequel est justement un affluent du Pô !

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19

Y a que moi qui me marre, mais c’est toujours ça !