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— Salut, les amoureux ! lancé-je jovialement. On peut entrer ?

Berthe est écroulée en travers d’un canapé. Le Gros, plus violet qu’un banquet d’évêques[23] est arc-bouté pour une nouvelle charge.

Mon intrusion apporte un oxygène neuf en cette pièce lourde de miasmes.

— Tiens, on bavardait à ton sujet. murmure le Colérique. Berthy me faisait gentiment observer comme quoi qu’on devrait affranchir les matuches d’ici rapport à la raptation de Marie-Marie.

— Toujours rien à son sujet ?

— Non, mec. C’est le black-boule complet. « L’Homme » s’est pas annoncé. Ce qu’il mijote, tu voudrais que je te dise ? Ça me file les copeaux. D’un assassin aussi criminel que lui, tu peux tout redouter.

Je secoue la tête.

— Quel intérêt aurait-il à faire du mal à Marie-Marie ?

— Ne serait-ce que pour la faire tenir peinarde. Il est remuant, le moustique.

— Penses-tu : c’est une carte qu’il garde dans sa manche pour la jouer le moment venu.

La Baleine, que nous avons négligée pendant le début de cette aimable conversation, se relève et se met à fureter dans la pièce, avec la frénésie d’un porc qui ne retrouve pas son auge.

— Qu’est-ce tu cherches, amour de ma vie ? s’inquiète l’Affable.

— Quéque chose, répond-elle, avec comme de l’évasif dans l’intonation.

Elle le trouve.

S’agit de la manivelle servant à monter le store à lamelles (et, accessoirement, à le descendre). Celle-ci est pliante, avec une longue tige métallique dont l’extrémité du haut est accrochée à l’enrouloir.

— Tu vas à la pêche ? rigole Alexandrovitch-Benito.

— Tiens, vérolerie ! hurle brusquement la houri en abattant le tube d’acier sur le crâne de son tourmenteur !

Béru a eu le temps d’une légère parade. Il n’en prend pas moins la manivelle sur son gros pif, lequel explose comme une tomate lancée depuis la planète Nut’s (pardon, je voulais dire la planète Mars, voilà que je me goure de friandise). Le raisin généreux du Mastar éclabousse l’alentour.

Franchement, y a un peu de mésentente dans le ménage. Le couple bérurien traverse l’une de ces périodes un tantinet soit peu grinçantes qui dorent l’auréole du célibat.

— Voyons, m’écrié-je. Vous perdez la tête, Berthe !

Je veux lui arracher son arme dont le contondement mis au service de la rage berthière me paraît dangereux. A cet instant (comme on dit dans mes livres) une voix sèche et forte retentit :

— Alto las manos !

Ce qui, traduit tant mal que bien, de l’espagnol, veut dire « Haut les mains ».

Ça nous sectionne le sifflet à tous trois.

On mate en direction de la porte et nous apercevons deux messieurs très bruns vêtus de costars clairs à rayures, tenant fort poliment leur chapeau de la main gauche et leur revolver de la main droite, ainsi qu’il est conseillé de le faire dans tous les bons manuels de savoir-vivre de Tenerife.

— J’ai dit : Haut les mains ! répète l’un d’eux en mauvais-anglais-d’école-secondaire-espagnole.

Et comme, saisis de stupeur, nous ne bougeons pas, son camarade reprend :

— Il a dit : « Haut les mains ! »

En allemand-touristique-de-l’école-hôtelière-des-Canaries.

— Pourriez-vous le répéter en français ? je soupire, mes amis ne parlent pas d’autre langue.

— On peut, assure le premier des deux intempestifs.

Et de lancer au couple de bovidés.

— Las manos en l’air !

Dès lors, nous obtempérons (I’obtempérance étant la mère de toutes les qualités).

Ils sont curieux, les duettistes. Un beau tandem. L’on dirait, à première vue, des gens de music-hall. On détecte un côté acrobate-cycliste chez ces messieurs. Mais, à deuxième vue, comme disait mon ami Lissac, on pige que ce sont des flics.

Espanches, pittoresques, fringués voyant, fleurant la friture à l’huile et le cosmétique, oui, mais poulagas en vert et contre toux.

On pourrait les croire du même âge.

Et même frangins. Parole : ils se ressemblent.

Pas antipathiques, au contraire. Ils devaient être marchands forains avant d’entrer dans la rouquine. Y a je ne sais quoi qui colporte encore dans leur individu.

— Police ? demandé-je.

— Oui.

— Nous aussi, roucoulé-je. Ravi de vous rencontrer, collègues.

Je leur tends une main franche et massive.

— Gardez les bras levés ! enjoint brièvement celui qui n’est pas l’autre.

Son œil noir n’est pas cordial.

— Qu’est-ce qui nous vaut la joie de votre visite, messieurs ?

— On va vous le dire…

Il montre Béru ensanglanté, la Gravosse armée de sa manivelle :

— Vous vous battiez ?

— Absolument pas ! Nous répétions une pièce que nous devons interpréter au gala de la police, le 22 du mois prochain. Un chef-d’œuvre du répertoire intitulé « On ne donne pas de lait, mais on siffle », une œuvre inconnue de Jules Mauriac, qui fait suite à son drame lyrique intitulé « La Main au panier à salade, ou les Mémoires d’un policier végétarien », vous connaissez ?

Quand il vous fixe plus de trois secondes, ses yeux se rapprochent comme les deux trous d’un fusil.

Il jette son chapeau sur le siège le plus proche et prend une carte jaunasse et craquelée dans sa poche :

— Voilà, police ! dit-il, car il tient à justifier ses dires. A présent, allez vous placer face au mur, tous les trois. Vous vous appuyez des deux mains contre et vous reculez les jambes.

Je vais pour objecter, il me coupe d’un Pronto ! qui ferait passer le lion récalcitrant du cirque Amar à travers un trou de serrure en flammes.

Alors, on obéit.

— Reculez davantage les pieds !

Nous voici bientôt obligés de nous arc-bouter des mains et des bras pour ne pas s’aplatir la trime contre la cloison.

Le policier qui m’a montré sa carte s’installe alors à califourchon sur une chaise. Il a les bras posés sur le dossier. Le canon de son arme est toujours pointé vers nous. Son pote, par contre, rengaine sa seringue et se met à fouiller la chambre.

Il est rapide, précis, déterminé. On devine l’expert. Pour commencer il va tirer les valises vides des Bérurier de leur armoire et les jette sur le lit. Ensuite il les sonde adroitement : une main à l’intérieur, une autre à l’extérieur, bien parallèlement, étudiant l’épaisseur du faux cuir.

— Ça veut dire quoi donc ? murmure Béru, à peine remis de son coup de manivelle.

— Une astuce de notre copain de cette nuit pour nous filer des bâtons dans les roues, espère ! Il nous aura dénoncés aux poultocks d’ici !

— Mais dénoncé de quoi ?

— Silencio ! aboie notre gardien.

On la ferme. A quoi bon énerver ces messieurs ?

Un long moment s’écoule. On ne perçoit que les mouvements rapides et feutrés du flic-farfouilleur. Soudain, comme il explore un sac de voyage made in Prisunic, il émet un « Tsst, tsst, tsst » vipérin.

— Si ? lui jette son camarade.

— Si ! fait l’autre en sortant un rasoir à manche de sa poche supérieure.

« Chliiiiiiic ».

— Mon sac, bande de vandaux ! glapit le Mastar.

Il amorce un geste pour abandonner sa fâcheuse position et se précipiter au secours de ses bagages en péril.

— Non, pas bouge ! crie notre coucheur-en-joue en braquant son inhalateur de poche dans le dossard de l’Eminent.

— Reste peinard, Gros, c’est pas de l’Hermès ! calmé-je.

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23

Certes, à présent ils sont en civil, mais ils continuent de bien bouffer.