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De toute façon, une intervention serait désormais superflue, vu que le sac est éventré comme un lapin qu’on détripe.

Léger sifflet du raseur.

On se retourne tant bien que mal. Il sourit.

Replie son taille-crayon.

Le range.

Ses mains d’obstétricien se coulent dans la fente et en retirent un petit sac de toile aplati, de l’épaisseur d’une galette. D’un coup de dents, le poulet (si je puis dire) sectionne le gros fil ayant servi à coudre les bords du sac. Il enfonce à présent un doigt par l’ouverture, comme un toubib vérifiant que vous avez bien l’appendicite. Son index bordé de noir est à présent poudré de blanc. Il goûte, acquiesce.

— Je crois que c’est nous qui l’avons dans le sac, murmuré-je.

« Pour s’arracher à cette béchamel va falloir un canot gonflable, une solide paire de rames et la boussole des grands jours !

PIE ONZE

Trois jours, mes frères !

Et surtout trois nuits !

Sans nouvelles, sans visites, sans le moindre interlocuteur, si l’on excepte le geôlier à demi idiot et au quatre quarts sourd-muet qui m’apporte mes plateaux de bouffe.

J’ai gueulé.

J’ai glapi.

Menacé, tonné, hélé, gémi, supplié, promis, averti, cassé, graphité, disloqué, fulminé.

En vain.

Pures pertes.

Seule réponse : le silence cotonneux de la prison de Santa-Cruz où les deux poulagas aux fringues rayées comme la fenêtre de ma cellote nous ont amenés, menottes aux poings.

Interrogatoire d’identité par un type chauve et jaune dont l’haleine sentait la poissonnerie d’Europe centrale. Nos fafs de poulardin n’ont pas paru impressionner ce fonctionnaire. Un sourcilleux pas content d’être au monde et de voir briller la pointe enneigée du Teide.

J’ai demandé la permission d’appeler mon chef, à Paris. Il a refusé d’un simple mouvement de tête, comme à un qui demanderait s’il y a du caviar au menu d’un restaurant de routiers biafrais.

Ils ont trouvé un kilo d’héroïne pure dans le sac des Béru, et 1 000 grammes dans une de mes valises. Si on n’a pas embastillé Félicie, c’est uniquement parce qu’il y avait Antoine et que, franchement, cette respectable vieille dame de m’man inspire le respect.

Elle était anéantie, ma vieille.

— Mais, Antoine, qu’est-ce que ça signifie ? J’ai fait moi-même cette valise…

— T’inquiète pas, ma poule : un petit dégourdi a voulu nous posséder, mais ça ne tirera pas à conséquence…

Je commence à me demander si j’ai pas forcé sur le sirop d’optimisme.

Trois jours, trois nuits !

Plus rusé qu’un renard, « l’Homme ».

Je rouscaille en songeant que j’ai omis de dire à ma mère de prévenir le Vieux. Je tenais tellement à la rassurer à chiquer les insouciants, que l’idée ne m’a même pas effleuré.

Et maintenant je joue les Papillon dans ma cellule. Il y fait une chaleur d’enfer car elle se trouve tout en haut du bâtiment et le mahomed s’en paie une vieille tranche, croyez-moi.

Je m’ennuie, j’enrogne, j’ô-rage, j’orage !

Le cocufiage du siècle, mes agnelles !

Comment qu’il nous a eus, Martin ! Un vrai seigneur ! Il nous endort, kidnappe la môme, disparaît. Puis s’arrange pour nous faire alpaguer par les bourdilles. Sale affaire, car, croyez-moi, on ne charrie pas avec les stups, au pays du Caudillo en branche ! Si on s’en tire à moins de cinq piges de mitard, c’est que le Vieux aura remué le ciel, la terre et tout ce qu’il y a autour pour nous obtenir un régime de faveur.

La répression antidrogue est lancée à bloc, à présent. Et la France est dans ses petits mocassins. On s’est tellement spécialisé dans la renifle, chez nous, qu’aux douanes on dépiaute nos passeports pour vérifier qu’il n’y a pas de sachets suspects à l’intérieur. Rien que de lire « République française », ils hennissent, les gabelous. Ils lèchent les lettres dorées sculptées pleine moleskine bleue, pour s’assurer que c’est pas du « h ».

Ma cellule, faites confiance, elle est pas signée Sofitel ! Vous pouvez chercher sa classification dans le Kléber-Colombes, m’étonnerait que vous lui trouviez la rubrique. Elle pue la merde et le cancrelas séché. Les murs sont gris comme ceux d’une cellule reconstituée sur une scène de théâtre. On peut y lire les mêmes graffiti que chez nous, mais en espago. L’homme pas d’accord, avant tout, il regimbe sur ses murs. Le peuple, il écrit sa colère avec un caillou pointu dans le plâtre. Il est resté terriblement rupestre, c’est atavique.

Je mate le bat-flanc de bois agrémenté d’une paillasse moins épaisse que le montant d’une quête en Ecosse. Me semble y voir trottiner des bestioles. Le pou canarien, je crois pas me gourer, il est plus dégourdi que le pou continental. Plus intrépide. L’âme hidalgote, parole ! Incisif. Te vous investigue partout, loin et profond.

Je me demande si le ménage Béru comporte bien, en détention. La Gravosse qui voulait divorcer, la v’là déjà en pleine séparation de corps ! Une espèce de répétition, quoi !

Et m’man, toute seule, à l’hôtel San Nicolas.

Enfin presque, parce qu’Antoine, malgré qu’il n’ait pas encore accompli son service militaire, c’est une présence. Mais en ce qui me tournibocale le plus fortement, c’est l’affaire de ce soir, chez les Nino-Clamar. Et puis Marie-Marie, dont je me demande bien pourquoi elle a été enlevée par « l’Homme ». Puisqu’il nous bitait avec le coup des valoches camées, je ne vois pas bien l’intérêt qu’il avait à kidnapper une petite fille plus collante que 1 000 rouleaux de papier tue-mouches.

Tout ça, c’est des bribes désabusées. La pensée qui s’effiloche, vous voyez. Qu’arrive pas à se lier vraiment. Les éléments conservent leur autonomie : impossible de faire « prendre » la mayonnaise.

Quand je suis fatigué de marcher dans cet espace clos, si morose, je me laisse choir sur un escabeau. L’unique de ma gentilhommière. Il boite bas et on y prend des échardes aux miches. Dur à arracher, une épine dans le prosibe. Ça requiert de la main-d’œuvre étrangère… Même en te regardant dans une glace, t’es feinté. Notez que les miroirs, ici, sont portés manquants. Toujours un risque d’évité. S’il y en avait un, je risquerais de le briser, dans mon énervement et de contracter ainsi sept ans de malheur. Alors que là, au moins, j’ai mes chances intactes.

Une grosse bestiole d’un noir bleuté grimpe le long du mur. J’arrache ma godasse pour lui fracasser les côtelettes, mais à l’ultime seconde, j’interromps mon geste. Pourquoi prendre la vie de cet animal ? Il m’ignore. Me donne même une leçon en vivant librement dans une geôle. Faut que je m’efforce de l’imiter. Se sentir libre en prison, ça doit pouvoir se faire, non ? En se conditionnant le chou. Exister ici ou là, c’est toujours apprendre à mourir.

Un bruit de pas. Plusieurs personnes. Serait-ce pour moi ? Le verrou de ma porte grince.

Ils sont trois. Des gardes aux fringues trop grandes et râpées jusqu’à l’usure. Des vrais bidasses de comédie.

On me passe les menottes et on m’entraîne.

Enfin, du nouveau. Un contact humain. Je vais pouvoir parler. L’homme, c’est là qu’est sa faiblesse : il ne peut rester silencieux très longtemps. Lui faut de la jactance pour sentir qu’il existe, qu’il correspond bien à l’idée qu’il s’est faite de lui une fois pour toutes.

Ces messieurs traînent la grolle le long du couloir voûté roman. Cette prison doit être un ancien cloître. Le sol est pavé de larges dalles (et de bonnes intentions). Les bruits prennent de l’ampleur, du moelleux. Tu chanterais ici, t’aurais l’impression d’avoir la voix de Caruso.

On descend à l’étage inférieur par un large escalier dont les balustres en bois tourné feraient rêver au moins dix antiquaires de ma connaissance.