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— Je vous laisse le volant, vieux. N’oubliez pas de vous foutre sur le « P » lorsque vous stoppez sur un terrain pentu.

— Pas d’autres consignes ? m’enquiers-je.

Il arrange son nœud de cravate déjà malmené, déjà plein de créneaux, de goulets, de renflements.

— Non, pas d’autres.

— On se reverra ?

— Ben voyons ! Ce serait dommage, non ?

Et il disparaît par un sentier proche.

Etonnant bonhomme, hein ? Franchement, moi, il m’épate. Sa maîtrise, plus encore que son comportement, m’impressionne. Il te vous conduit son orchestre de main de maître. D’une baguette implacable.

Il savait donc que j’étais invité chez les Nino-Clamar.

Il tenait à ce que je participe à leur soirée. Alors, il m’a fait évader.

Puis suivre…

M’a attendu.

Conduit jusqu’ici.

Laissé la voiture…

Un conte de fées à suspense, je vous dis ! La fée Marjolaine chez les tueurs !

Je repars. La propriété est à 500 mètres à peine. Je retrouve la route en pente, le tennis, le portail grand ouvert. C’est plein de lumière sur l’esplanade : les lampadaires normaux, plus l’éclairage de la piscine, mais avec, en supplément, des tas de spots disposés savamment dans des touffes de plantes grasses et qui mettent de merveilleuses (dirait Marie-Chantal) taches orangées sur la façade de la maison. (Ouf ! j’ai horreur des phrases longues. Proust me fait ch… à cause de ça. Pour moi, une phrase de plus de trois lignes est une agression que je souhaiterais punissable.)

Je m’attends à découvrir une super-flopée de bagnoles rangées en épis sur l’esplanade. Vous savez. comme dans les beaux romans anglais des Trukmuch’ sisters ou de Mrs. Lookmycat. The réception au château, avec les larbins qui s’affairent, les Rolls empilées comme les boîtes à chaussures sur les rayons de chez André[29], les jeunes filles en organdi blanc et pucelage d’apparat, les jeunes gens en spencer Tracy, et tout le tremblement, les vieillards chenus à favoris frisottés.

Ici, rien de tel !

Trois malheureuses tires, mes fils, en tout et pourtour.

Et encore faut voir quoi, comme pompes : des chignoles maussades, de petites cylindrées, bien mesquines (que je peux plus dire la marque sous peine de procès après un tel préambule). A côté d’icelles, la « mienne », bien qu’américaine, fait figure de superstar. On dirait la princesse Grâce en visite chez les petites-sœurs-des-pauvres-à-la-jambe-de-bois.

Je coupe le moteur, courjute les calbombes et descends du carrosse.

Le grand San-Antonio peut-il se permettre de vous signaler que son guignol cogne à 110 au moment où il carillonne ? Vous vous en branlochez le minuscule ? Je conçois. Mais enfin, mon devoir de grand écrivain scrupuleux était de vous signaler la chose. Voile à café ! Pardon : voilà qui est fait ![30]

Je perçois un brouhaha de conversations, mais relativement modeste. Décidément ça se confirme : nous serons en comité restreint.

La porte s’open.

Un maître d’hôtel espagnol, avec des yeux clairs et la peau bistre m’ouvre.

— Le marquis ! s’écrie Dorothy qui devait me guetter, en se précipitant sur moi comme une souris affamée sur un morceau de gruyère.

Dieu, qu’elle est bathouse, la petite veuvasse ! Les michetons la verraient, ils caneraient à qui mieux mieux pour le seul plaisir de se payer une veuve aussi jolie. Elle est loquée vaporeux, dans les tons parme, avec plein de jolis froufrous blancs un peu partout. Son maquillage, elle l’a appris par correspondance chez Carita : une magnificence ! La peinture au service de la sculpture ! Le Titien collaborant avec son camarade Samothrace pour réussir cette tête si expressive qui a assuré pour toujours la réputation de la « Victoire ».

— Oh, cher marquis, dit-elle, je commençais à craindre !

Son accent est adorable (en même temps qu’américain). Qu’est-ce que je débloque, moi ? Elle me parle en anglais, donc elle a pas d’accent puisqu’elle utilise sa langue maternelle ! Vous voyez, les auteurs, si on se surveillait pas, comme on passerait vite pour des fumistes ! C’est pas son accent, c’est son sourire qui est adorable. Et son regard combien ardent ! Elle me fait avec les prunelles ce qu’elle voudrait me pratiquer avec les mains. Au carré !

Son bras accroche le mien.

— Méchant, souffle-t-elle, me laisser sans nouvelles, ces trois jours.

— Je vous demande pardon, murmuré-je, une affaire importante m’a obligé de faire un aller-retour à l’ombre.

— Où donc ?

— A Londres.

On franchit la porte du salon, et comme elle est à deux battants, vous parlez si ça nous est facile !

C’est éblouissant de lumières, d’argenteries, de cristaux. Y a des montagnes de fleurs ! Des sièges en velours frappé. Des tableaux dont le cadre seul vaut le prix d’une toile de maître achetée au B.H.V.

Je vais m’incliner devant Inès.

Un peu moins austère que l’autre jour, peut-être. En noir. Légèrement maquillée. L’œil toujours secret et inquisiteur. Puis son mari, le fringant… (attendez que je retrouve mon papier où j’ai noté son blaze)… Alonzo Balmasquez y Suerunpazo s’avance, la main tendue.

Aïe ! Il est en smoking blanc ! Je rougis. Bredouille. M’excuse. Rien de plus atroce que d’être loqué tout-le-monde dans une soirée habillée. Je me retourne vers les dames. Mon avion personnel vient de se poser. Pas eu le temps d’aller à l’hôtel, sue téter manquer à tous mes devoirs que de creuser mon retard. J’ai préféré…

C’est moi qui jacte ? Ou un moulin à paroles remonté dans ma fouille ? Les phrases continuent de sortir, comme la fumée d’une pipe qu’on a déposée sur le rebord de la commode. J’écoute plus, ne pense plus ce que je dis.

Ne sais plus ce que je dis !

Ça se dévide à blanc. Le cran du moulinet n’est pas mis.

— Je ne vous présente pas l’abbé Schmurtz, mon cher marquis, vous l’avez rencontré ici l’autre matin…

— Mais certainement je… Sprrrzzzccc… et… grffgtrzzzxx.

Cette fois ça patine pour de bon dans ma pensarde. J’ai coulé une bielle, fait sauter le carter. Ça fume, ça craque, ça chahute. Y a du farfouillis, du grabouillage, de l’encafouille. Qu’est-ce qu’on peut faire devant tant de saisissement ? Devenir idiot ? Déféquer sous soi et consommer ses excréments à la petite cuiller ? Oui, vous croyez que c’est l’attitude à adopter ? Pas d’autres solutions envisageables ? Vraiment ?

Bon. Faut que j’y réfléchisse…

Ce bellâtre d’Alonzo me pousse en direction de deux personnages qui devisaient à l’écart.

Deux personnages que j’ai aperçus au moment où je serrais la main à « l’abbé » et qui motivent mon délabrement cérébral, ma tornade intellectuelle, mon typhon intérieur.

— Le marquis de San-Antonio ! trompette cette pomme.

Sa main balance de moi à un interlocuteur.

— Le docteur Prosibe, de Berlin.

Je prends la main de Martin Braham, comme s’il s’agissait d’une tranche de colin qui aurait raté son rendez-vous avec sa mayonnaise. Martin Braham, vous savez : le tueur !

— Ravi de faire votre connaissance, assure « l’Homme ».

— Ravi, ravi, vraiment ravi !

Onze cents Pétridès. Pardon : on s’en pétrit dix, longuement, bougrement, solidement, à s’en déclaveter le levier de la pompe.

On se mate. Il sourit. Vous avez déjà vu sourire une vipère, vous ? Un serpent à lunettes ? Moi, c’est la première fois.

— Et permettez-moi, marquis, de vous présenter le professeur Cassegrène, de Paris. que vous devez connaître de réputation, je suppose ?

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29

Publicité gratuite. Surtout pas de don en nature, je vous prie !

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30

Je me demande si ça vaut le coup de m’excuser encore pour ce genre d’accident. Un bébé ne s’excuse pas d’avoir souillé ses langes, après tout. Je ne devrais même pas rectifier. M’immoler en plein sur l’autel (de passe) du calembour.