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« V’là un petit fripon qu’a bien fait d’avoir la vue basse et de prendre une cuiller à lancer pour une truite arc-en-ciel.

— Aaaaah, Paris ! exclame Dorothy pour dire quelque chose, Pâââris !

— Y sera toujours Paris, affirme péremptoirement le Mastar, quéqu’un voudrait pas me refiler un rabe de mayonnaise, plize ? Le saumon est une bestiole qui succule mais demande la burette. Sans vaseline, t’as intérêt à morfiler du coton hydropique ! Si je vous dirais, moi je préfère un bon filet de maquereau au vin blanc à un saumon sans mayonnaise. Même un hareng-pommes-à-l’huile te dévale mieux le courant. Je voudrais pas chiquer la petite bouche, mais votre cuistot devrait la tourner au citron, la mayonnaise. C’est plus onctionneux et tu la rotes moins.

Je cherche, mais en vain, le regard du Dodu pour l’inciter à la prudence. J’ai idée que les deux « clockputch » de l’Américaine lui ont un peu trop dégommé la menteuse. Remarquez qu’au point où nous en sommes, lui et moi, on ne risque pas grand-chose.

— Aaaah, Paris ! Pâââââris ! re-exclame Dorothy en me téléphonant un regard incendiaire beau comme Carthage en flammes, un ancien film de la Métro.

— Ben, c’est Paris ! tranche Béru. Faut pas non plus se coincer la queue dans la portière.

Heureusement, Inès me demande ce qu’il faut voir actuellement à Paname. Je lui cite deux ou trois spectacles à succès en me référant aux critiques de M. Jean-Jacques Gautier (l’homme qui préserve tes soirées en t’épargnant d’aller au théâtre). Tout en répondant aux questions de Mme Balmasquez y Suerunpazo (franchement, sans Alonzo ça fait pas rire, j’aurais dû revenir en arrière pour rectifier. Je verrai sur épreuves. Si ça paraît tel quel, c’est que je les aurai pas relues, comme souvent, car les épreuves en sont une pour moi !). Tout en répondant aux questions de Mme Nani-Nana-Chose, reprends-je (car après une trop longue parenthèse vous êtes paumés comme des enfoirés), je cherche discrètement sa jambe sous la table (dessus ça ferait impoli). N’allez pas croire, surtout, que je suis le genre de cloche qui fait du pied aux dames. Généralement c’est elles qui m’en font ! Je cherche sa jambe uniquement pour ne pas la trouver !

Un brin d’explication pour éclairer vos esprits ténébreux ?

Facile.

Moi, vous me connaissez. Quand je vigile, j’ai tous les sens en batterie. Je fonctionne à pleine turbine. Or je tiens à m’assurer d’une espèce de quelque chose que je crois avoir confusément enregistré.

Ma patte gauche s’en va en mission spéciale. Elle a des instructions détaillées et sait l’itinéraire à suivre. La v’là qu’investigue consciencieusement dans la périphérie du siège d’Inès.

Elle ne rencontre rien.

Elle insiste, traverse à gué l’écartement de la chaise : ballepeau !

Renseigné, je lui lance l’ordre de regagner sa base. Mine de rien, je me décolle un peu de la table. Faut propicier, mes poules. Pas louper le bon moment. Il ne tarde pas. Inès est en train de causer sur sa gauche au loufiat, lequel demande, je crois comprendre, des instructions à propos de ce qui va succéder au saumon.

Moi, floutt, je laisse glisser ma serviette sur le sol dallé de marbre rose.

— Pardon ! fais-je en plongeant brusquement.

Y a du remue-ménage rapidingue sous la table, à quelques encablures de là. Mais avec une pincée de fractions de seconde de retard sur mon regard d’aigle. J’ai eu le temps de voir, mes chères chéries. De voir un spectacle qui pour être ultra-bref n’en fut pas moins intéressant. Sucez zan ! Pardon : jugez-en ! La grave, la noble, l’austère Inès avait la jambe droite de l’abbé Schmurtz entre les deux chères siennes. Qu’en dites-vous ? Et un C.D.T. de plus pour San-A. ! Rendez-moi un petit service : notez-le dans la colonne crédit, je vous en prie, notez ! Notez qu’après, au moment de faire mes comptes, je vais oublier de le facturer à mon éditeur. C’est fait ? Merci mutch !

Ecoutez, j’en suis baba de l’abbé, moi ! Car, de deux choses l’une, ou bien Mme Alonzo Machin-Truc est en passe de se faire excommunier par le pape, ou bien de l’être par son mari, car de deux choses la hune (comme disait Surcouf) : ou bien elle sait que l’abbé est une abbesse et elle a donc des instincts féministes. Ou bien elle l’ignore et alors elle chahute avec le clergé, ce qui n’est pas catholique pour une Espagnole. Bref (comme disent les gens qui sont longs), dans un cas comme dans l’autre, elle n’est pas exactement celle que je pense et cette fieffée coquine envoie le bouchon sur les nénuphars quand elle me joue la scène du « Ne-me-regardez-pas-ainsi-monsieur-je-suis-presque-vierge-et-ça-m’intimide ».

Voilà ce que j’avais à dire sans plus attendre.

Et sans plus attendre, je l’ai dit.

Qu’on se le dise !

Ceci dit, belle abbesse[36], votre jeu me surprend. Le voilà bien le personnage clé de voûte de cet édifice rococo. Parce qu’enfin, Eve le sait bien, ELLE, qu’elle n’est pas curé ni homme.

— Vous avez des ennuis, mon cher marquis ? demande Martin Braham.

— Avec ma serviette seulement, répliqué-je. Elle s’était évadée.

On se sourit.

La conversation continue. Le repas aussi. Lui, il se poursuit par un gigot à l’ail, tout à fait de circonstance. Celui qui en disconviendrait aurait droit à mon pied là où vous savez !

Je vous passe la salade.

Les fromages.

La crème renversée (surtout sur le revers du faux professeur Cassegrène).

Je vous passe la rhubarbe.

Vous me passez le séné.

Nous passons au salon.

Rien de plus tartignolant à décrire qu’un repas pour un grand romancier. Idem pour un cinéaste. C’est le moment de l’ellipse. Les gens s’installent. Deux répliques. Un plan de coupe. Tu les retrouves au fumoir. Fume, c’est du habana ! La mange, c’est pas un spectacle. Une seule réussite du genre : la Cène. Et encore, on a supprimé les longueurs. « Prenez et mangez ! Prenez et buvez ! »

Et puis hop : au fumoir !

Les grandes scènes romaines, pareil ! Quo Vadis (Basile). L’orgie ! La troussette, gros plan de bafrage. Et puis hop : au vomitorium ! Henry VIII, kif-kif mon zami ! Il mord dans un gigot. Plan de coupe ! Zou : le v’là qui rote au fumoir !

Moi, San-Antonio, tout malin que vous me savez, je peux pas faire mieux. J’ai beau chercher, macache ! Une connerie de Béru. Le coup de théâtre de l’abbé avec Inès. Et puis hop : au fumoir !

Au fumoir ! Au fumoir !

Fumer, ça oui. Mais jaffer, c’est trop dégueulasse. Dégradant ! Faut être Gauld et Millaud pour faire passer. Et encore ce qui les sauve, c’est d’être lus seulement par des gens qu’ont faim. Les seuls écrivains qu’on lise entre onze heures et midi ! Le soir never, ça nécessiterait du bicarbonate ! En pagaille ! Donc, on est au salon. Le loufiat, bien stylé, passe les cigares en humidificateur d’acajou. Chouette collection. J’en prends un.

Et alors, mes chers camarades, il se produit un truc qui va vous en boucher un coing. Un coup de sonnette retentit. Tout le monde se dévisage. Le maître d’hôtel pose le coffret à havanes sur une console, s’excuse et sort.

Pendant son absence, nobody n’ose l’ouvrir. On dirait qu’une bombe vient de crever le plaftard sans exploser. Qu’elle gît au milieu du salon et qu’on n’ose seulement pas respirer avec les fesses de crainte de la faire sauter.

Enfin, le pingouin radine.

Il semble être sorti de sa réserve pour aller faire un tour. Il s’approche de Dorothy.

— Madame, murmure-t-il, il y a là trois messieurs déguisés qui prétendent être LA surprise.

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36

Çui-là, c’est pas qu’il soit mauvais, mais je sais qu’il me fera du tort car il est d’un style banal. J’en aurais pondu que des commaks, on serait pas en train de causer de moi Kékonti pour le fauteuil de M. Jean Dutour.