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Eh ben, mes drôles ? Qu’est-ce qui l’a dans le pétrus ?

LOUIS XV[37]

— La surprise ! Quelle surprise ? récrie l’assistance, à l’exception de moi-même qui ne peut décemment, étant l’auteur, manifester d’intérêt pour un événement annoncé depuis plusieurs pages.

La belle Américaine se tourne vers sa bru et son amangendre.

— Vous aviez prévu quelque chose ? demande-t-elle.

— Non.

Sainte Blondine me sermonne du doigt.

— Voulez-vous parier que c’est un tour du marquis ?

— Non, chère madame, est-il de mon devoir d’honnête homme de répondre catégoriquement.

Inès interroge le loufiat.

— Qu’appelez-vous des messieurs déguisés, Pablo ?[38]

— Ils sont travestis en gugus, madame, et munis d’instruments de musique.

— Amusant, fait l’abbé. Je crois que c’est un spectacle à ne pas manquer, d’ailleurs ce ne serait guère courtois de ne pas les recevoir vis-à-vis de la personne qui les envoie.

Notre trio d’hôtes opine et le maître d’hôtel repart chercher sa caravane.

— Je me demande bien ce dont il s’agit, murmure Inès à la cantonade.

Elle parcourt ses invités du regard.

Tous, nous lui décochons une mimique évasive signifiant, à peu de chose près : « Ce n’est pas moi l’auteur de LA surprise. »

Entrée des clowns, ladies et gentlemen.

A la lettre.

Ils sont trois en effet, mais qui font du pétard comme plus. Trois à cabrioler, à gambader, à pousser des hurlements fantasiesques. Trois avec des tignasses rousses à jet d’eau, des nez qui s’allument, des complets immenses à carreaux immenses. Des chaussures chaplinesques. Des poches-sacs d’où débordent des trucs ahurissants. Trois avec des gueules peintes, de grosses lunettes à essuie-glace, des bouches grosses comme des pivoines, des oreilles blanches et des yeux triangulaires.

Ils se marrent, claquent leurs semelles sur le carrelage. Ils investissent la pièce, sont de partout à la fois, se juchent sur les meubles, donnent des poignées de main avec des mains qui vous restent dans la main, exécutent des sauts périlleux…

Une horde !

Une invasion de singes en délire. En rut ! Affamés.

Ils boivent nos liqueurs, ils mangent nos cigares, ils mettent les nœuds de smoking des autres messieurs sur le sommet de leur tête, comme un ruban d’œuf de Pâques. Leurs clameurs restent à l’état d’onomatopées, si bien qu’on ne peut définir leur nationalité.

On est secoué par leur déferlement. Sans voix, malmenés dans notre confort bourgeois, On ne sait plus où l’on en est. Déjà qu’avant, fallait une drôle de torche électrique pour s’y retrouver !

Leurs pirouettes deviennent de plus en plus frénétiques, leurs cris de plus en plus perçants.

Le reste du personnel, attiré par le brouhaha, pousse ses pifs par l’encadrement. Une vieille cuisinière, une jeune femme de chambre !

Les clowns vont les prendre par la main, les font asseoir de force dans une bergère restée vacante.

Dorothy se marre bien, mais Inès fait la gueule. La promiscuité avec les larbins, c’est pas sa longueur d’onde. Elle reste très « ancienne Espagne », la mystérieuse épouse d’Alonzo. Elle se croit toujours à l’époque des Gonz oui t’adorent (comme dit Béru). Doit regretter le droit de fouettage. Le garrot ! La main coupée aux voleurs. Je sens bien que, quant à elle, cette séance de clowns l’ulcère. Elle n’éclate pas parce qu’elle est déroutée. Avant d’exploser, elle entend savoir à quoi ça rime, ce débarquement inopiné de gugus frétillants. Le repas était de bon ton, l’ambiance détendue mais cérémonieuse quand même. Et puis voilà soudain que Monsieur Loyal et sa clique investissent le salon. En prennent possession. Le mettent à sac. Font se vautrer les domestiques sur les pose-culs des patrons. Ali, non ! Pas de ça, Lisette !

Heureusement, les guignols arrêtent leurs folles gambades. Ils cramponnent leurs instruments. L’un a une clarinette, bien sûr, l’autre un saxo, ça va de soi ; et le troisième un violon, vous vous en doutez. Ils attaquent (à mains armées) le Beau Danube bleu, lequel n’a pas fini de couler sous le pont de nos trompes d’Eustache. Interprétation très circus. Ils jouent façon conservatoire Barnum, ces messieurs. C’est cacophonique, ponctué de nouvelles pirouettes en mesure.

Je quitte furtivement mon fauteuil, voisin de celui de Dorothy, pour aller m’asseoir près de Martin Braham.

— Un gag à vous, je suppose ? lui chuchoté-je. Ces messieurs sont vos péones ?

Il secoue la tête.

— Non, mon cher. Et je me proposais de vous poser la même question, pensant qu’il s’agissait de renforts venus de France.

Ment-il ?

Comment savoir avec un type comme lui ?

Je n’insiste pas. Questionner « l’Homme » équivaut à interroger le marc de café ou les pépins de melons.

Profitant de ce que les Médrano’s brothers mobilisent l’attention, je vais me couler furtivement près de l’abbé.

— Très marrant, votre intermède, ma chérie, l’assuré-je avec un sourire badin.

— Je n’y suis absolument pour rien et je cherche à comprendre, me répond Eve.

— Pourtant, vous avez insisté pour qu’on les reçoive.

— Eh bien, je me demandais de quoi il s’agissait, j’ai voulu voir.

— Et maintenant que vous voyez et entendez ?

— Je ne comprends pas.

— A propos, c’est pour bientôt, la petite séance d’équarrissage ?

— Je pense que oui.

— Et qui est le futur bienheureux ?

— On vous le dira le moment venu.

Elle me répond du tac au tac, d’où je conclus qu’à première vue elle ignore que je ne suis pas le vrai Martin Braham et que le doktor Prosibe n’est pas le docteur Prosibe.

Nom de Dieu ! comme disait la princesse en retirant sa main mouillée de la calotte du capitaine, jamais je me dépêtrerai de cet écheveau. Dès que je fais un geste avec ma pensée, je me blesse aux aspérités d’un mystère[39].

A la volée, tiens donc, en gestaugustant du semeur, je vous balance mes questions comme des grains de blé.

Ces hommes appartiennent-ils à l’Américain ?

Sont-ils ici pour prévenir une action du tueur ?

Je me suis même un instant demandé si le soi-disant inspecteur du Narcotic Bureau ne faisait pas partie du trio, mais à l’examen, aucun des trois clowns ne possède la stature de mon « collègue ».

Que branloche-t-il, lui, en attendant ?

Est-ce lui qui a fait venir Béru ?

Comment le tueur a-t-il pu prendre l’identité d’un invité des Nino-Clamar ?

Attendez, y a mieux. Y a plus troublant, Faut que je vous l’expectore en entier…

Nani nana nana nana, font les musicos…

« Le Beau Danube bleu » à la crème fouettée.

Danube bleu, mes choses, oui !

Tu l’as déjà vu, le Danube ? Rien de plus tarte. De plus gris. De moins poétique. Un grand collecteur. Du cours d’eau de terrain vague ! Y aurait pas eu Strauss, il passait inaperçu. On se contentait d’y déverser les résidus d’usine.

Oui, je vous causais du très troublant de la chose. Faut que je mette en botte, attendez, pour mieux qu’on s’y retrouve. Ecoutez-moi, au lieu d’écouter la zizique. Qu’ensuite vous n’aurez rien pigé et clamerez tous azimuts que c’est de ma faute ; que j’esprime mal. Que j’emberlife et chiotte encore !

Les Nino-Clamar attendaient deux savants avec lesquels ils sont, paraît-il, en rapport (au sujet de quoi, j’en sais foutre rien) mais qu’ils ne connaissent pas. Vous me filez le derche ? Bon.

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37

Et allez donc, on en est plus à Sapricht, pardon : à ça près ! (L’éditeur.)

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38

Dans les livres dont l’action se situe dans une ambiance (pardon, un contexte) ibérique, il y a toujours un personnage subalterne qui s’appelle Pablo. Je n’y peux rien, et si je baptise mon maître d’hôtel Pablo, c’est uniquement pour ne pas vous dépayser. Alors remerciez-moi au lieu de ricaner comme des ce-que-vous-êtes !

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39

Celle-là, je l’ai pas lue, mais j’aurais pu. Faut dire que je ne me suis pas respiré tout Claudel.