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Ces savants ont été remplacés par deux personnages qui se font passer pour eux. Admettons.

Seulement où y a un sac de nœuds à pédales, c’est quand les deux remplaçants, au lieu d’avoir partie liée, sont deux antagonistes qui se tirent la bourre à mort. D’un côté, on a un Béru en taule, inculpé de trafic de drogue et ayant reconnu les faits, de l’autre, « l’Homme » qui se planquait de vous, qui a kidnappé Marie-Marie. Qui s’est escamoté. Qui a pu trouver le lieu de son exploit (que je lui ai tu et dont je n’avais parlé à personne). Il a su la date !

L’ « abbé » est-il revenu de son erreur, bien qu’il n’y paraisse pas ? Est-ce par « lui » que « l’Homme » a pu rectifier mon coup d’arnaque ?

Non, mes fils. Le dénominateur commun, c’est l’Américain ! Lui seul a pu « évader » Bérurier, comme il m’a « évadé », et mettre au point avec le tueur le numéro des savants.

Nous sommes au moins bien d’accord là-dessus ? C’est noir sur blanc ! Pas d’objections ?

Parfait.

Ça revient donc à dire, mes pigeonnes roucoulantes, à plume, à poil et à vapeur, ça revient à dire que « l’Homme » et l’Américain travaillent de concert (ou de conserve quand ils vont pique-niquer). Or l’Américain dispose de pouvoirs officiels exceptionnels puisqu’il a ses entrées chez un juge d’instruction espagnol. Y aurait-il donc alliance entre notre cher tueur et une forme plus ou moins occulte du pouvoir amerloque ?

Ne nous attardons pas sur ce point, filochons. On va peut-être bien faire jaillir l’étincelle à force de se frotter le bout de la zézette sur du silex. Prenons donc pour acquise une collusion : tueur-détective ricain. Si elle existe, ce ne serait point le tueur qui nous aurait joué le coup des stupéfiants-dans-nos-bagages puisque son compère s’est ingénié à nous sortir de taule en prenant d’énormes risques.

Là, ça se remet à flotter. Le ruisselet qui commençait à se constituer se disperse déjà dans les sables assoiffés.

Si l’équipe « Ricain-Homme » nous avait expédiés au trou, elle ne se serait pas, deux jours plus tard, monté la cervelle en neige pour nous en arracher. Ce qui me paraît aussi abra qu’adabrant, non ?

Je barbote dans des ténèbres sanieuses (les plus réputées). Le ciel est bleu, la mer est verte, laisse un peu les ténèbres ouvertes…

Après le biautifoul Danub’bleu, les gentils clowns nous interprètent Fascination.

J’adore.

Pour moi c’est un hymne, Fascination. Aussi bathouse que la Marseillaise. Il raconte une France que j’ai pas connue mais dont j’ai tellement entendu causer que c’est mieux que si j’y avais vécu. Une époque où seul l’amour importait. Avec des fiacres, des becs de gaz, le French Cancan, Modigliani, Paris-sur-Seine, Villennes-sur-Seine, les soirées de Mes Deux, des louis d’or en circulation… Moi, de Gaulle aurait interprété Fascination au lieu de la Marseillaise, sur les champs de foire, je me serais fait gaulliste irrésistiblement. A quoi ça tient, une vocation politique, hein ?

Mais faut pas que je m’écarte au moment le plus palpitant du récit.

Remarquez, personne m’empêche, heureusement. Même si je voudrais pas le terminer, mon récit, je suis libre, hein ? Charbonnier est maître dans sa maison quand sa femme est en voyage !

Vous pariez que je le finis pas ?

Qu’est-ce qu’a dit « chiche », là ?

Quelqu’un a crié chiche, j’ai entendu.

Bon, vous l’aurez voulu. Je le termine pas. Je vais vous commencer un autre livre. Moins beau que çui-ci !

Ça vous pendait au pif, depuis le temps que vous m’agacez ! Faut pas toujours provoquer l’honnête auteur, qu’à la fin il prend la mouche.

Allez, tchao !

FIN[40]

REPRISE DU LOUIS XV[41]

Bon, allez quoi, merde, on va pas se fâcher ! Moi, vous me connaissez. Pétardier mais bon cœur. Vous ne pensiez pas que j’allais vous laisser quimper sérieusement avec un chibre turgescent, comme ils disent dans le roman porno (car il n’y a pas plusieurs livres pornos, mais un seul dont on intervertit l’ordre des scènes pour faire accroire chaque fois qu’il s’agit d’un nouveau). Ou bien vous faire du chantage, comme les radasses de jadis qui vous abandonnaient le guignol sur sa rampe de lancement et vous réclamaient une rallonge pour la mise à feu !

Trop honnête pour être au lit, le San-A. Ça le perdra !

Tant pis. Le fatalisme est affaire de volonté. Ce qui t’aide surtout à l’apprendre, c’est quand t’as plus les moyens de faire autrement.

Très bien, je suis à vous.

Donc, mes trois clowns qui musiquent. Irréel, je vous jure. Dans ce salon !

Trois faux clowns, avec un faux abbé, deux faux savants, un faux trafiquant de drogue, un vrai tueur.

Du Prévert !

Je me dis, ça nous mène où, ça ?

Ils achèvent Fascination. On les applaudit. Moins fort que le Beau Danube bleu. Pas qu’on aime moins, mais on est de plus en plus crispés, tous. Y a de l’orage dans l’air. On est saturés d’électricité. De l’angoisse nous coule dans les paumes des mains. On avale sa salive comme si elle était de l’étoupe. On se regarde en bredouillant de la prunelle. On a envie de crier. De dire « Stop », d’ouvrir plus grandement les portes-fenêtres.

Les trois gugus se concertent à voix basse. L’un d’eux regarde une montre-bracelet. Pas une montre en carton, une vraie, en jonc poinçonné. Leur conciliabule se prolonge.

Alonzo s’avance vers le trio.

— Eh bien, messieurs, bravo, et… heu… merci beaucoup pour cette sérénade impromptu. Comme le petit cachottier qui vous envoie ne se manifeste pas, je vais vous demander de nous dire son nom afin que… heu… nous puissions le remercier pour… pour cette amusante idée qui…

Il la boucle.

Car sans lui avoir accordé la moindre attention, nos clowns attaquent le grand air du toréador, de Carmen Bizet (épouse de Georges).

Le pauvre Alonzo ne sait plus où Alonzer. (Il a davantage l’air d’un duc que d’un moulin à aubes. Planté au mitan du salon, il fait taureau seul dans le toril. Il regarde. Ses naseaux fument. Il racle la moquette du pied.

Ça joue fort ! Les vitres tremblent. Les cuivres pètent. Les tasses à café fibrillent sur leurs soucoupes volantes.

J’aime bien, aussi, le grand air du Toréador-mon-cul-n’est-pas-en-or. Enthousiasmant ! Du Lopez avant la lettre ! Mais dans une pareille tension nerveuse, il te pousse à la démence. Te fissure les parois du rectum.

— Vite ! Vite ! Quelqu’un !

Ça vient de l’extérieur. C’est ponctué d’un galop de galoches. C’est dit en espagnol !

Une silhouette surgit sur l’esplanade abondamment illuminée. A travers le fin grillage qui nous préserve des moustiques, on voit débouler un bonhomme tout tordu, qui boîte en arc de cercle. Il est fringué péquenot : gros velours, chemise rapiécée.

Il s’annonce à la porte-fenêtre et — ô dérision ! — frappe au grillage.

— Vite ! Vite ! dit-il.

S’il n’était pas asthmatique, il est en train de le devenir. Sa respiration fait un bruit de vessie pétomane.

Le maître d’hôtel s’empresse de remonter le store grillagé. L’homme s’arrête sur le seuil, impressionné par le luxe, par les toilettes, par les clowns.

— Qu’y a-t-il, José ? demande Inès.

Le paysan halète. Et ne se rassasie pas du spectacle que nous formons. Il trouve ça dément, lui aussi.

— Un homme mort, finit-il par dire.

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40

Laissez-le piquer sa crise et continuez de tourner les pages. Vous pensez bien que nous avons des moyens de rétorsion contre San-A. Et il le sait ! (L’éditeur.)

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41

Qu’est-ce que je vous avais dit ? Notre lettre recommandée a fait de l’effet, non ? (L’éditeur.)