Agir promptement, mais ne pas s’emballer. Jamais confondre chaude-pisse et première communion., c’est pas le même cierge qui coule, comme aurait dit Paul Claudel dans son ode à Pompidou.
L’autoroute…
J’écrase. Cette tuture a une puissance qui te plaque au dossier dès que tu lui titilles le champignon.
Le ruban déferle sous nos boudins comme dans un film-poursuite.
Et puis, très vite, c’est l’aéroport. La piste est illuminée. Le bâtiment est presque désert. Je stoppe sur une zone d’ombre du parking.
— Attends-moi là, Gros. Ouvre le zœil et défouraille dès que ça remue dans le tas.
— P’t’être même avant ! promet le Mastar. J’en ai gros comme le Teide sur la patate, moi.
L’abandonnant à ses rancœurs, je pénètre dans l’aéroport. Mon vaporisateur est dans ma poche, mais je conserve la main sur la grosse crosse. Ce que je fais là est d’une témérité délirante, seulement je suis un téméraire délirant !
Comme pressenti de l’extérieur, tout est désert. Les guichets sont vides. Y a personne ! Mais alors personne dans le hall des départs. Rien de plus déroutant que cet immense local neuf, grandement éclairé, où l’on ne voit âme qui vive.
Je grimpe au premier, là où s’effectuent les embarquements.
Je découvre un très vieux mec en combinaison bleue rapiécée occupé à balayer un espace dont il semble qu’il n’aura jamais suffisamment de temps à vivre pour finir de le traverser.
— Señor !
Il lève des yeux blanchâtres sur l’éminent San-Antonio.
— Y a-t-il encore un avion en partance ?
— Non.
— Il y a longtemps que le dernier est parti ?
Il hausse les épaules, regarde en direction de la piste…
— Il va partir.
— Pour où ?
— J’sais pas[46]. C’est un vol privé.
Je cours à la porte des départs. Fermée ! A une autre : fermée. Vite ! N. de D…[47] Vite ! N. de F…[48]. La dernière… Fermée de même ! Je tambourine, m’y retourne les ongles. Cherche le système de déclenchement de la cellule photo-électrique ! Ne trouve pas, N.R.F.[49].
J’interpelle le maître de balai.
— Comment ouvre-t-on ? Ça urge !
— C’est défendu. Fini, fermé !
— Vous avez la clé ?
— Non !
Je repère la cellotte de la dernière porte et braque mon feu dans sa direction.
Vzzzzzouiiiiit !
La déflagration s’amplifie, rebondit, cascade, ronfle, tourne, boomerangue, harangue, tangue, fissure, détraque, barouffe. Mon petit vieillard s’est jeté à plat ventre pour réciter un Notre Père qu’êtes soucieux. La porte s’ouvre en grinçant, vu que si j’ai obtenu satisfaction sur le plan de l’ouverture, c’est en faussant le système glandu-thermo-spéculateur à compensation-molto-stridente. Peu ain porte. Je fais comme vous quand vous n’avez pas de jeu à la belote : je passe !
En bout de piste…
Tout à fait. En train d’effectuer son point fixe ! Un Mirage 20. Merci, monsieur Dassault, ça c’est du zinc.
Je me dis « Trop tard, gars ! » S’en sera fallu de pas énormément beaucoup, mais s’en sera phallus.
Et puis, non ! Je refuse. Le prendrai en marche, si besoin. Sauterai assez haut ! Un cheval emballé, on lui fait quoi t’est-ce ? Le courageux passant ! Hop ! Médaille du courage ! L’ordre de la nation ! Ouvrez le ban !
Je bondis dans un de ces petits véhicules à moteur électrique qu’on en voit plein sur les aéroports.
Me semble que je l’ai toujours piloté, c’t engin. Le premier bitougnot que j’actionne, et ça ronronne. La première manette que j’enclenche, et ça déboule.
Je me virgule en direction de la piste. A l’opposé du zavion. Ses deux turbo-réacteurs-sauce-hollandaise vrombissent à outrance, les gueux !
J’espère que la tour de contrôle jette un œil sur la piste illuminée. Qu’on me voit !
M’y voici déjà sur la piste. A 800 bons mètres de l’appareil. Attendez que je recompte : non, à 795 mètres seulement. J’ai le compas dans l’œil, ce soir !
Je stoppe au milieu de la piste. Quitte ou double ! Si le Mirage (de Fatima) 20 fonce, la collision sera inévitable. San-A. réduit en pâte et le zinc en tas de ferraille.
J’ai un culot gros comme ça, je peux seulement pas en faire le tour avec mes deux mains !
Les moteurs s’enragent.
Me semble que le Mirage a démarré.
Non : c’était un mirage !
Le régime de ses turbotières baisse. Son grondement s’assagit (avant de s’en servir). Comprenant qu’il m’a vu, je me mets à rouler dans sa direction, sans quitter le milieu de la piste.
La porte du coucou est relevée. Mais le radio qui se tient dans l’encadrement n’a pas descendu l’échelle de Jacob. Il semble furax.
— Eh ben alors ! m’exclame-t-il en français, en voilà des façons ! Qu’est-ce qui vous prend ?
— Où allez-vous ?
— Casablanca. Mais que faites-vous ?
— Un rétablissement, cher ami. Un simple rétablissement.
Il veut me refouler. C’est lui qui a droit à la culbute dans la voiturette. Heureusement pour lui car je vous prie de croire que ça pétarade brusquement dans l’appareil.
— Restez dans votre poste de pilotage et foutez-vous à plat ventre ! crié-je au pilote.
Les trois clowns sont là. Plus habillés en gugus, mais encore mal démaquillés. Ils n’ont pas pris le temps de détacher leurs ceintures et ils plombent toute affaire cessante, fous de rage et de crainte en m’apercevant.
C’est ça qui me sauve, le fait que ces braves mitrailleurs tirent sans s’être libérés de leur sangle. L’angle de tir est limité. Je peux me réfugier sous une banquette. En chandelle ! Je pousse un râle affreux, que si Sergio Leone l’entendait, il m’engagerait pour tourner son prochain Où-est-ce-terne : « Il était un foie » (roman d’un alcoolique).
— Touché ! exulte l’un des trois sanglants guignolets.
Pour lors ils se détachent.
Et comme cette fois, ils ont tort ! Les voici debout tous les trois en même temps. Ce régal pour un zig dans ma position.
Casse-pipe maison !
Pas de pitié pour les tueurs.
Tout mon chargeur y passe. Dire que c’est eux qui m’ont refilé cette arme. Ironie du sort !
Ma dernière bastos envolée, je me lève. Je suis sûr de moi. Je sais quand je suis en état de grâce. Les trois rufians sont entassés dans la travée du Mirage, tous plus ou moins morts ou grièvement blessés.
Je me tourne vers le pilote blafard qui lève les bras.
— Repos, mon commandant ! lui dis-je. Il ne s’agit pas d’un règlement de comptes entre truands, je suis le commissaire San-Antonio, des concerts parisiens. Vous êtes témoin qu’ils ont tiré les premiers et que, par conséquent, j’étais en état de légitime défense ? Là-dessus, excusez-moi, on m’attend pour un autre coup de balai. Nous nous reverrons plus tard chez les matuches d’ici pour les salades.
Je saute du coucou et cavale à en perdre ma laine sur la piste fleurant le skizofrène (comme dirait Béru s’il en était capable).
Mince, j’oubliais de vous dire… Vous parlez d’une tête de linotte : avant de gerber, j’ai récupéré le paquet marron que le violoniste est allé chercher, quelque part chez les Nino-Clamar.
46
Rien de plus ardu que de traduire « j’sais pas » en espagnol. Mais le traduire DE l’espagnol, alors là, c’est the prouesse.