NAPOLÉON XVIII[50]
— J’ai entendu comme des échappements libres ? me dit Béru.
— C’est la saloperie d’existence de ces vilains messieurs qui s’échappait.
— Tu les as eus ? Je lève le paque brun. Mais c’est pas Béru que je guigne, plutôt Eve-Charly-Schmurtz, Elle réagit, la donzelle. Son regard s’exorbite, croyez !
— Ben, qu’est-ce qui lui est arrivé ? demandé-je au Mastar en désignant d’affreux coquards violacés sous les yeux de la donzelle.
— Comme y a que m’sieur l’abbé qu’est conscient, j’y ai fait un bout d’interrogatoire en t’attendant. Moi, ce qui me préoccupe, tu t’en doutes, c’est la mouflette. Le bon père, qu’a le sens de la confession, m’a pas trop laissé languir ; sa charité chrétienne y a fait saisir tout de suite les aphtes d’un pauvre oncle déniécé depuis des jours et des jours.
— Alors ? Il éclate de rire. — Tu sais où qu’elle est, la sifflette ? Dans une chambre du San Nicolas, à quéques pas de la nôtre, assure l’abbé. Ils l’ont ségréguée là avec les deux savants qu’on leur a pris la place, cézigue-pâte et moi, chez les Nino-Clamar.
Pas un chat.
Pas un chien.
Et les canaris dorment.
Je sonne, regrettant de ne pas disposer de mon fameux sésame (il est au greffe de la prison de Santa-Cruz).
Je me suis coiffé d’une casquette blanche, à longue visière verte trouvée sur la plage arrière de l’auto.
Une fenêtre s’ouvre au premier.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un message urgent de l’ambassade de France à Madrid, Excellence.
— Je vous ouvre.
C’est tout ce que je lui demandais.
Un moment assez court s’écroule, au bout duquel le juge Pasoparatabaco vient tirer le verrou. Il est en pyjama, avec par-dessus celui-ci, une veste d’intérieur en velours qu’il a dû acheter au marché aux puces lors de son voyage de noces à Madrid.
J’ôte ma casquette.
— Mes respects, monsieur le juge.
Il se cabre ! Claque des dents. Du moins fait semblant, vu que son râtelier est présentement en pleine macération sur sa table de chevet.
— Allons, remettez-vous, lui dis-je. Les évadés qui rentrent au bercail ne sont pas des gens dangereux. Je viens pour que sonne chez vous l’heure de la vérité. Que le dénouement d’une affaire assez embrouillée ait lieu sous vos auspices me paraît correspondre à la logique et représenter un gain de temps.
Sans attendre l’histoire de sa vie, je siffle Béru, toutou fidèle, et vais l’aider à déballer notre monde dans la belle demeure ancestrale du juge.
— Mais quoi, mais qu’est-ce, mais qui, mais pourquoi ? entonne l’aimable magistrat.
— Les pions, monsieur le juge, il est temps d’achever la partie. Pour cela nous allons séparer les prévenus, selon une méthode élémentaire.
— Mais…
— Je savais que vous accepteriez de bonne grâce, assuré-je. Toi, Gros, occupe-toi du tueur. Ficelle-le solidement quelque part, et gaffe-toi de ses airs inanimés (ils ont une âme). Moi, galantin comme pas douze, je vais me consacrer à ces dames. Auparavant, j’ai deux trois questions à te poser, manière de préparer la mèche de la lanterne avant que de l’éclairer.
Je lui chuchote ce que j’ai à lui demander dans son tiroir à sottises, si bas, si bas, qu’avec la meilleure volonté du monde, je pourrais pas vous le transcrire ici. Lui me balbutie ce qu’il a à me répondre d’une voix moins perceptible encore, si bien que vous ne saurez rien de ce bref dialogue.
Après quoi, je pousse Inès et la môme Eve dans la chambre où se trouve, devinez qui ? Oui, mes bien chéries : Contracepcion en chair, en os et en chemise de nuit. Elle a vachement dû se dépenser pour renflouer son standinge auprès de son vioque. Le Magic-City, la Grande-Roue viennoise, le Carnaval de Rio, les folles nuits d’Andalousie, tout y a passé. Un plumard ravagé par les prouesses, ça se remarque comme le cirque Jean Richard dans votre jardin !
Le juge, rougeoyant de honte, d’humiliation, de peine et d’autres choses encore (sûrement que j’en oublie, mais qu’est-ce que vous voulez, j’ai pas deux cerveaux !) se précipite en glapissant.
— Mais qui vous permet ? Je vous interdis de violer le mur de ma vie privée !
J’enrogne tout soudain.
— Oh, eh, juge : du calme, sioux-pelé ! Le mur de ta vie privée, mon pote, je l’ai déjà escaladé, sans jeu de mots !
La seconde partie de ma phrase, je me l’offre en français de la région de Lutèce, pour ne pas le meurtrir.
Et, pour passer le temps, je ficelle Eve en me servant des bas de Contracepcion.
— Je vous défends de molester un prêtre chez moi ! Sous mon toit ! Dans ma propre maison ! pléonaste le juge qui ne sait où donner de l’indignation.
Je lui fais signe d’approcher. Comme ça, avec l’index. Un gars qui gueule, rien de tel pour lui couper le sifflard. Tu le regardes, tu lui ordonnes de s’avancer. Il baisse illico la sono, finit très vite par se taire et s’approche, dompté comme un toutou.
Alors je lui saisis la main, la porte à la hauteur de la poitrine abbatiale.
— Touchez, m’sieur le juge. Il a du néné, le saint homme, non ?
Il foutrait les doigts sur un nœud de vipère ou sur celui d’un Sénégalais normalement constitué, il aurait pas un sursaut plus violent.
— Non ! ! ! s’écrie-t-il.
— Eh ben si ! lui réponds-je, en écho bien dosé (car chacun doit régler son écho). Vous voyez que je ne vous amène pas les seins innocents, mon juge ? Port illégal de soutane, en Espagne ça doit coûter cher, non ?
— La peine capitale ! il bredouille en se signant.
Puis il exclame, les mains verticales devant lui, comme des butoirs de chemin de fer.
— Vade retro, Satanas, ce qui, les fins lettrés l’ont déjà compris, une fois traduit de l’espagnol, signifie : arrière, Satan !
On satan à tout, sauf à la réaction de la donzelle. Sont-ce ses nerfs qui craquent ?
Elle se marre !
Les filles, t’as toujours un moment où ça flanche.
— Belle Inès, l’instant est venu de tout dire car je dois tout savoir. Quand la vérité s’impose, il faut s’y réfugier complètement. Ça soulage tout le monde. Mais, avant de vous questionner, je tiens à vous préciser une chose qui restera entre nous. Elle est en marge de l’affaire, bien que je sache à quel point elle fut déterminante, et jamais vous ne la révéleriez spontanément. Vous portez un grand amour au cher abbé Schmurtz, n’est-ce pas ? Du moins à sa… heu… véritable personnalité. Déçue par le mariage, bafouée par votre époux et votre belle-mère, vous avez trouvé un refuge dans des amours particulières. Vous nourrissez pour cette gentille gredine une véritable passion. Elle vous a révélé des délices jusqu’alors inconnues, je pense ?
Inès baisse les paupières. Son teint pâle fait ressortir le noir de sa robe[51]. Je sais qu’elle ne me regardera plus jamais in the eyes, comme disent les ophtalmos britanniques. J’ai fait pis que la mettre à nu. Je lui ai dénudé l’âme jusqu’au péché[52]. Pour une farouche Espagnole, c’est terrible, croyez-le. Moi, je pense qu’à sa sortie de taule, elle rentrera au couvent des Filles de la rue du Calvaire. Je ne lui vois pas d’autre alternative.
— Je vais devoir vous faire mal, très mal, Inès. Mais il est indispensable que vous compreniez à quel point vous fûtes aveuglée par la passion (selon saint Gigot-Alail) et dupée par celle-là même qui sut allumer ce brasier dans vos veines ![53] Votre petite amie, au fait, sous quel prénom vous a-t-elle séduite ?
50
Oui, il a bel et bien écrit Napoléon XVIII !
— Pourquoi ? lui avons-nous demandé.
— Pourquoi pas ? nous a-t-il répondu.
51
Un professionnel écrirait que la robe noire souligne la pâleur de son teint parce qu’un professionnel fait de la copie de livre, you see ?
52
Alors là, de toute beauté, hein ? Appliquez vos deux mains sur un tampon encreur. Applaudissez en mettant une feuille blanche entre vos bravos et envoyez-la moi par la poste. Merci.