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— Mira.

— Je trouve Mira belle, plaisanté-je, mais ça ne la fait pas rire parce qu’elle ne boit que du sherry.

Du coup, je reprends mon sérieux et la suite de mon exposé.

— Mira est une garce, une gueuse et une catin, madame Balmasquez y Sueruntango[54].

— Aooooôôôh ! fait-elle, mais plus bas et sur un ton plus pathétique.

— Elle n’a pas hésité à coucher avec moi, madame Balmasquez y Suerunpazodoble.

— Vous mentez, elle a horreur des hommes.

— Si la chose est exacte, elle cache bien son aversion. Faire semblant de ne pas avoir horreur à ce point-là, c’est étourdissant de délectabilité, madame…

Et tout de go, tout à trac, tout-à ce-que-vous-voudrez, je lui lâche brutalement :

— Mira a un grain de beauté sur le haut de la cuisse gauche et un autre sur la fesse droite. La pointe de ses seins est fortement dilatée, de couleur ocre, et son nombril est très en creux. Elle a le système pileux extrêmement fourni dans la région que vous savez, à tel point qu’elle doit se raser la partie latérale des cuisses. Je ne pense pas avoir oublié quelque chose, ou alors si je vous donnais plus de précisions, nous risquerions de tomber dans les confidences d’alcôve.

Pas pâle, Inès !

Verte !

Pomme !

Vert pomme virant à l’épinard !

Sur le point de défaillir.

De tourner de l’œil, comme Jean-Paul Sartre.

Je la soutiens.

— Jésus, Jésus, Jésus ! murmure-t-elle par trois fois en s’agrippant à mon bras d’airain.

— Je m’appelle Antoine, rectifîé-je.

Ensuite, on cause sérieusement…

— Je crois que t’as eu la paluche un peu lourdingue, note Bérurier. C’est la nestésie magistrale que t’y as filée à c’te carne, pas du tout au compte-gouttes.

Quand on lui soulève un store, on aperçoit sa prunelle révulsée. Il est d’un gris de mer du Nord et ses narines sont pincées comme les lèvres d’une douairière dont la levrette se fait calcer au déboulé par un corniaud.

Au début du commencement, poursuit le professeur Cassegréne-Béru, j’ai cru qu’il nous jouait la dame aux bégonias façon Feuillère et j’y ai placé quèques tatouilles pour lui ranimer la centrale, mais à force je m’ai bien aperçu qu’il avait son taf d’oubli.

— Il faudrait un médecin, dis-je au juge.

Le magistrat est un peu débordé par les événements. Son premier soin a été de congédier Contracepcion, afin de parer au plus pressé en redonnant à sa dignité l’éclat du neuf. La perspective d’héberger un agonisant ne lui sied pas beaucoup. Dans ces petits patelins, vous savez comment sont les gens.

— Attendez un peu, que diable, il respire, non ?

— Oui, mais c’est tout !

— Ce n’est déjà pas si mal. J’aurai le temps d’enregistrer sa déposition par la suite, à tête reposée.

— Vous avez retéléphoné à la police ?

— Oui, on a bel et bien retrouvé les deux savants et la petite fille dans la chambre 604 du San Nicolas. Ils sont tous trois en bonne santé.

— Vous avez donc la preuve formelle que nous fûmes victime d’une machination ?

— Oui, je… effectivement…

— Parfait. De même vous avez entendu les déclarations du faux abbé ? Elles ne laissent planer aucun doute ?

— Aucun, c’est exact, mais quelle histoire ! Mon Dieu ! Tenerife, une île si calme où il ne se passe jamais rien que d’agréable !

— C’est la volonté de Dieu, juge !

— Eh bien, oui, il semblerait.

— Elle est infinie comme Sa bonté, vous ne trouvez pas ?

— Elle l’est, monsieur le commissaire !

Bon, enfin ! Me voici réintégré dans mes fonctions, auréolé de la considération à laquelle j’ai droit. Monsieur le commissaire ! Baouf ! Ça fait du bien à entendre, ça rassure !

— Cet homme, monsieur le juge…

Je désigne Martin Braham, affalé, bras en mannequin démonté de chez Sigrand, sur son canapé.

— Cet homme est le plus célèbre tueur de l’après-guerre. Il a commis des actes d’une audace inouïe. On le soupçonne même de…

Je lui chuchote quelques mots dans la broussaille auriculaire qui lui touffe les portugaises[55].

— Non ! sursaute-t-il. Ça n’est pas possible !

— Possible, tu parles ! Probable oui. Prouvé, non. Mais vous savez mieux que personne ce qu’est une absence de preuves, juge !

« Or donc, cher ami, l’individu qui gît ci-joint a édifié une fortune en abattant certains grands de ce monde dont la personnalité était par trop encombrante. Tout récemment, il lui est arrivé quelque chose. Une chose qui frappe aussi aveuglément que la maladie et la mort : il est tombé amoureux.

— De la… ?

— De l’abbé, oui, la belle Mira (culée de frais). Oh, ce n’est pas la fleur des pois chiches, cette personne. Il s’agit d’une aventurière endurcie. Un peu son homologue féminin, si vous voyez.

— Oui, oui, je vois. S’affubler d’une soutane !

Il se signe (du Zodiac).

Je crois que c’est ce qui l’a le plus fortement ébranlé, Pasoparatabaco. Ce travesti sacrilège de la belle Mira. Ç’a été le tournant du match, comme on dit à l’avant-dernière page des journaux (sauf pour l’Equipe).

— Donc, ce couple monstrueux s’est constitué. L’amour n’épargne pas les tueurs. Martin et Mira ont alors décidé de frapper un grand coup, énorme, susceptible de les mettre pour toujours à l’abri du besoin, puis de se retirer, de procréer, bref, de quitter la Série Noire pour la Bibliothèque Rose à laquelle aspirent les malfrats. J’ignore comment Mira et Mme Alonzo Balmasquez y Suerunejava se sont rencontrées. Vous aurez le temps de faire la lumière sur ce point de détail. Toujours est-il que le faux abbé, tout comme Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir fit lever une tempête dans le cœur de la jeune femme. Il la subjugua, l’envoûta, la domina, la gourmanda, bref, en fit son bien, sa chose, sa colonie. Au point de l’amener à cette décision — combien extrême — supprimer son crétin de mari et sa pétasse de belle-mère pour, une fois libre, refaire leur vie ensemble !

— Jésus ! Jésus ! Jésus ! murmure le juge.

— Laissez, elle l’a déjà dit, fais-je.

— Mais ça existe donc ? exclame le magistrat en se contresignant.

— Tout existe, juge ! Vous voyez bien la situation, n’est-ce pas ? Inès, femme bafouée, dont l’orgueil saigne, découvre « autre chose » avec Mira. Elle lui est bientôt totalement soumise et accepte de faire supprimer époux et belle-mère. Son âme de fière Espagnole farouche…

— Laissez, coupe à son tour le juge, ça je connais. Quel était l’intérêt de ces démons ?

— J’y arrive. Vous savez en quoi réside la majeure partie de la fortune des Nino-Clamar ?

— Pas exactement, leur richesse est célèbre, mais…

— Ils possèdent les deux cinquièmes virgule trois du Maroc espagnol, juge.

— Je me le suis déjà laissé dire, mais…

— Mais vous ignorez un élément capital — et croyez-moi, capital est le mot qui convient, au sens marxiste du terme — quelques personnes seulement sont au courant. L’on a retrouvé des gisements d’ogivium de plaftâr au Maroc espagnol.

— Non ?

— Révélation vient de m’en être faite par ces deux dames d’à côté. Or la totalité des gisements appartient aux Nino-Clamar. Ils ont fait procéder à des analyses par deux spécialistes éminents de l’ogivium de plaftâr : les professeurs Prosibe et Cassegrène, dont l’un habite Berlin et l’autre Paris. Leur gisement est le plus riche du monde. La fortune qui en découlera sera — si vous permettez d’employer un « K », tant le cas présent le mérite — Kolossale !

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54

C’est pas « y Sueruntango, mais y Suerunpazo », quel c…, ce mec ! (L’éditeur).

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55

San-Antonio s’abandonne. Qualifier de « portugaises » les oreilles d’un Espagnol est une faute de goût caractérisée.